Nöel blanc

29 novembre 2009 à 23:53

J’ai demandé la traditionnelle liste de Noël à mes parents. Ma mère m’a envoyé quelque chose de très bref, avec une échelle de prix assez basse. Bon, apparemment, ils ne veulent pas de beaux cadeaux. Ça les regarde, je suppose.
C’est dommage parce que quand j’ai de l’argent, je ne suis pas pingre. C’est d’autant plus dommage que même pour eux je suis prête à mettre de l’argent dans les cadeaux. J’aime faire de gros/nombreux cadeaux, je trouve que ça participe à la fête. Et pour moi, elle n’est jamais assez belle. Malgré tout, Noël reste ma fête préférée, et il faut qu’elle soit réussie, ça ne se discute pas.

Si j’organisais un jour Noël chez moi, ce serait une constante surenchère de cadeaux, de guirlandes lumineuses, et de mets fabuleux, et j’aurais envie que tout le monde passe la soirée à se dire « wow, bah dis donc, elle a fait les choses en grand, ça c’est un vrai Noël magique comme il faut ». Pas un Noël où on compte ses efforts, où on se force un peu ici et un peu là, et où tout le monde vient parce qu’il le faut et non parce que ça va être superbe. J’en ai trop vu, des comme ça.

Alors d’un autre côté, ils savent aussi et justement très bien que depuis que j’en ai les moyens, chaque fois qu’on me donne une liste, j’offre en plus plein de trucs qui n’étaient pas dessus. L’an dernier, ma soeur avait dit « une paire de boucles d’oreilles fantaisie », et elle s’est retrouvée avec une dizaine (bah oui mais à moins de 10 euros la paire, je trouvais que c’était trop peu… et puis yavait vraiment plein de choses sympa pour une petite nana comme elle). Donc peut-être qu’ils s’attendent à ce que de toutes façons j’aille au-delà de la liste.

Mais enfin l’impression est têtue, et il me semble que Noël a pris un mauvais départ.

J’ai aussi constaté qu’à ce jour personne ne m’a demandé de liste, à moi. Ce qui me vexe à mort, mais d’un autre côté il faut bien avouer qu’après avoir passé 15 jours consécutifs au boulot et à l’Assemblée Nationale, à raison de 15 heures de travail par jour en moyenne, j’ai pas spécialement eu le temps d’en faire une. Le problème c’est que c’est l’intention qui compte et en l’occurrence, personne ne semble avoir l’intention de me demander ce que je veux. Notez bien la contradiction : je n’ai rien préparé. Mais ils ne peuvent pas le savoir avant de me l’avoir demandé, on est d’accord ?

C’est ça qui est merveilleux, finalement. C’est que, encore moins que l’année dernière, il n’y a pas grand’chose que je veuille pour Noël.
L’an dernier, il y avait une chose, et une seule. J’ai fini par l’obtenir en février. Noël raté de ce point de vue. C’était encore partie remise.
Cette année c’est pire : tout ce que je veux du fond du cœur ne s’obtient pas sous un sapin. Je veux que les choses se passent bien au boulot (et notamment que ces deux pétasses qui m’empoisonnent la vie professionnelle reçoivent un bon coup de pied au cul, histoire qu’elles bossent un peu ou que, au moins, elles ne m’empêchent pas de le faire), je veux recevoir mon arrêté de titularisation (je vais peut-être avoir le temps de m’en inquiéter cette semaine), je veux avoir tous les documents pour me lancer dans la rechercher d’appartement, je veux continuer à bien manger, je veux…

Comment ai-je réussi à éliminer de ma liste toutes les choses matérielles ?
J’aimerais dire que c’est grâce à une vie ascétique et une élévation morale, mais c’est uniquement parce que quand je veux quelque chose, je me l’offre moi-même. Ou je me promets de me l’offrir plus tard, et comme je sais que j’ai un salaire qui tombe tous les mois, ça ne me fait rien d’attendre. Ça viendra forcément. Ce qui est merveilleux c’est que moi au moins, je tiens les promesses que je me fais.

Et pourtant, je veux bien d’un cadeau de Noël, n’allez pas croire. C’est pas parce que je me suis déjà acheté le mien que je boude les traditions. Mais, après mûre réflexion, la liste serait en fait libellée ainsi : « Cette année, pour Noël, je voudrais que quelqu’un m’offre quelque chose qui me fasse plaisir sans me demander ce qui me ferait plaisir« .
Parce que la seule chose que je ne peux pas m’offrir à moi-même, c’est une surprise.

Bon, avec tout ça, on dirait que mon contentieux avec Noël ne va pas encore se régler cette année.

Le problème, ce n’est pas qu’il existe des frustrations insolubles dans ma vie ; même si je râle, je sais bien qu’il y a eu un net mieux depuis quelques mois que j’ai intégré ce nouveau poste. Dans de nombreuses conversations, j’ai remarqué que mes phrases commençaient encore par « quand j’étais au chômage pendant 5 ans… » ; un indicateur assez clair que j’ai gardé en mémoire le sens des proportions. Cette blessure-là ne guérira jamais, et même quand je suis dans une colère noire comme mercredi soir, même quand je suis épuisée au-delà des mots comme vendredi après-midi, même quand je suis frustrée, déçue, inquiète, triste ou juste mélancolique, je sais que j’ai largement de la chance maintenant. Il y a toujours dans un coin de ma tête celle que j’étais il y a quelques temps, qui avait l’impression de manquer de tout.

Aujourd’hui je me gâte. Je trouve que je le mérite. Je mange bien, très bien même. Japonais deux à trois fois par semaine, par exemple. Avec la satisfaction de voir mon corps apprécier autant que mes papilles, en plus. J’ai besoin qu’on prenne soin de moi, je le fais beaucoup moi-même, je paie des gens pour le faire dans un restaurant ou un magasin où les gens seront obligés d’être tous sourires avec moi, je sais que j’ai un gros manque de 5 ans à combler, je l’ai gagné, j’y ai droit. Vendredi, pour la première fois depuis deux ou trois mois, j’ai été m’acheter des DVD, je ne me suis pas dit « ce n’est pas raisonnable », non, les seuls DVD que j’ai reposés en rayon, je les ai reposés parce que je n’avais qu’une envie modérée de les voir, pas parce que c’était trop cher. Je ne me refuse rien. J’ai pleinement conscience que je mène une vie solitaire, où les gens glissent sur moi mais n’accrochent jamais plus, et il n’y a que moi qui ai le pouvoir me faire tous ces plaisirs et ces faveurs. Alors je fonce. Parce qu’outre les 50 euros de Japonais par semaine, et les semaines de courses à 60 euros le caddie, et les sorties ici à Mogador, là à la FNUC, le plaisir ultime n’est pas de dépenser de l’argent mais de ne pas aller consulter mon compte bancaire trois jours plus tard, mais plutôt d’attendre la fin du mois, et alors voir qu’il restait un peu d’argent quand la paie suivante est tombée. Quand j’ai payé mes impôts en une seule fois, j’ai ressenti une fierté immense : non seulement c’étaient mes premiers impôts, ceux qui veulent dire que cette fois je suis sortie de tout ça, mais en plus, il restait encore plusieurs centaines d’euros pour finir le mois.

En fait c’est ça le truc. J’ai déjà la chose la plus importante au monde. Père Noël, j’ai déjà mon cadeau. C’est de n’avoir eu aucun jour de chômage depuis le 7 décembre 2007. Et c’est mieux qu’une lampe magique avec des souhaits à volonté.

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1 commentaire

  1. tokay dit :

    Life is a cabaret

    Dear Lady,

    bravo pour ce moment de lucidité et de de bravoure!

    la franchise de dire qu’on a les moyens d’être autonome (et même un peu plus)est suspecte de nos jours. Mais tu le fais avec une telle conviction, qu’on ne peut qu’adhérer à ta vision des choses. Je ne suis pas le Père Noël, mais je suis prêt à t’offrir un petit cadeau pour tout ce que tu m’amènes grâce à ta prose volontaire et déterminée.

    Ménages-toi des pauses, maintenant.

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