L’art de la guerre

12 janvier 2010 à 0:47

« Tu veux savoir ce qui s’passe (et c’est arrivé à toutes les femmes, à pratiquement chacune d’entre nous) : on commence à sortir avec vous, vous nous dites qu’on est fantastique, et fabuleuse, on pense que c’est sérieux, vous nous laissez penser que c’est sérieux, alors on y croit, on dit à tout l’monde « oui, c’est vraiment sérieux » ! Et après… après les coups d’fil se font plus rares. Vous savez c’que c’est d’être assise là à attendre que le téléphone sonne ? Vous n’vous douchez plus, pour ne pas être en plein orgasme si le téléphone sonne, vous n’mangez plus, vous n’pouvez pas avoir la bouche pleine en décrochant le téléphone, vous décrochez le combiné de temps à autres, pour être sûre qu’il fonctionne bien, après vous l’reposez, et après, quand vous recommencez, c’est là qu’il appelle et que ça sonne occupé ! Et vous faites ça… des semaines, jusqu’au jour où finalement… vous sentez si mauvais… et vous êtes si maigre, que vous comprenez… que vous avez été plaquée… Et vous n’savez pas du tout pourquoi, vous, vous pensiez que c’était sérieux ! Et des années après, cinq, dix, vingt ans, vous y pensez toujours en vous demandant POURQUOI… il ne vous a pas rappelée, et si c’est vraiment à cause de vous qu’il ne vous a jamais rappelée, et vous n’le saurez jamais, non ça jamais ! Sur leur lit de mort, vous croyez qu’les femmes s’apprêtent à mourir en paix, mais non ! Elles sont raccordées de partout à des dizaines de tubes en se demandant c’qu’elles ont fait, et pourquoi vous n’avez pas rappelé, voilà c’qui s’passe sale pourri ! »
Trois hommes sur le green, une série méconnue qui a pourtant su offrir quelques perles…

J’ai toujours ce dialogue dans un coin de ma tête au moment d’une rupture. Pas parce que ça se passe forcément comme ça (quoique, hein les filles, ça nous est vraiment arrivé à toutes au moins une fois…), mais parce qu’il semblerait parfois que les places respectives de l’homme et de la femme soient codifiées à l’extrême dans la plupart des séries, notamment en cas d’interaction.
C’est Sex & the City qui, sans être la première série à le faire, ni forcément la meilleure pour le faire, a popularisé les interrogations explicites sur le rôle que chacun joue dans chaque relation. Et il est étrange de constater que c’est toujours le même. Non, pas pas étrange : communément admis.

Quand j’avais une quinzaine d’années, je ne sortais pas (mon éducation étant ce qu’elle était), et j’essayais de me projeter dans l’avenir et d’imaginer ce qu’était l’âge adulte, et plus particulièrement ce qu’était la vie amoureuse d’un adulte. Je me tournais vers la télé pour trouver des idées, pour imaginer ce qu’était la vie des autres, « dehors », et je voyais des personnages comme ceux de Friends ou Ally McBeal, et les choses étaient également très codifiées sitôt qu’on parlait de relations amoureuses.
Il y avait la première sortie, avec un premier baiser sur le perron si le dîner s’était bien passé, il y avait la seconde, plus mitigée souvent, parce que porteuse de méfiance et d’espoir, et puis, surtout, il y avait la troisième, et c’était là qu’on savait si les choses prenaient tel ou tel chemin. Au bout d’une période de temps convenable, on présentait l’autre à ses amis et/ou à ses parents, on allait rencontrer les siens, et on pouvait admettre que les choses étaient « sérieuses ».

Tout un tas de codes que finalement, étant une adolescente impressionnable et (par la force des choses) réservée, j’avais intégrés au prétexte que, si la série trouve son public, c’est qu’elle a nécessairement une certaine résonance sur le mode de vie de ses spectateurs. Ce n’est quand même pas de la science-fiction. Les « dates » existent.
Et pourtant, de vous à moi, ma vie amoureuse ne s’est jamais déroulée comme cela. Je ne me suis jamais demandé s’il allait m’appeler, ou si je passais pour une fille trop collante si je l’appelais en premier, ou si cela faisait trois soirs et qu’il s’attendait donc à quelque chose, ou si au second soir je ne passais pas pour une fille facile, ou rien de ce genre. Et si je reconnais bien volontiers que ma vie amoureuse s’est montrée assez atypique, dans son genre, je refuse néanmoins de croire que je sois la seule à ne pas me reconnaître dans ce système guindé où il y a des règles du jeu soit à respecter, soit à transgresser.

Mais la télévision continue de les populariser. Il y a quelques semaines, on m’a convaincue de regarder un épisode de How I met your mother (et je me suis laissée convaincre à cause de Joanna Garcia) et il s’est avéré que les choses n’avaient pas vraiment changé depuis un peu plus de 10 ans que j’avais commencé à les observer à la télévision. On tient pour acquis qu’il faut faire certaines choses après une rupture, ou pour trouver quelqu’un, ou pour approcher quelqu’un… Alors qu’il y a autant de façons que de couples !

Bien-sûr, poser l’existence de tels codes permet de les transgresser, notamment à des fins comiques (il ne vous aura pas échappé que la plupart des séries citées sont des comédies ou, au pire, des comédies dramatiques), mais globalement, est-ce que ces codes ne finissent pas par transpirer sur la société ? Est-ce qu’on ne rencontre des prétendants potentiels que dans les bars ? Bien-sûr que non. Mais c’est quand même comme ça qu’on nous fait croire que la plupart des rencontres se font. Et cette règle des trois rendez-vous, sérieusement, vous la gardez toujours en tête au commencement d’une relation ? Moi pas, je me laisse porter, parfois ça prend beaucoup plus de temps, parfois moins, ça dépend de plein de facteurs qui dépassent largement la frigidité des règles édictées par ces fictions (et les autres).

D’ailleurs les scénaristes ont-ils inventé ces fameux codes de la relation amoureuse ? Je n’en suis pas sûre. J’ai l’impression que ça vient d’un autre média, de la presse (féminine par exemple). A mes yeux la meilleure preuve, ce sont les séries dirigées vers un public masculin, et là on se rend compte que la gamme des expériences, des possibilités de rencontre, des possibilités d’évolution de la relation, est bien plus diversifiée. Un exemple récent serait Men of a Certain Age, disons.
Les séries comme une version moderne du conte de fées qui emprisonne la population féminine dans une vision étriquée des relations homme/femme ? Je ne suis pas loin de le penser.

De toutes les valeurs véhiculées par les séries télé, la rigidité du fonctionnement des relations amoureuses est celle qui, en ce moment, me frappe et m’irrite le plus.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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