Si tu tombes neuf fois, toujours te relever dix

24 janvier 2010 à 21:56

Pauvres, pauvres télespectatrices japonaises ! Elles font l’objet d’un matraquage manifeste qui, s’il n’était pas aussi lourdement opéré, ferait quasiment rire de par ce qu’il traduit de désespoir dans l’industrie médiatique. Celle-ci semble s’accrocher à tout prix à une certaine vision du rôle de la femme dans la société, où chacune se doit d’être toute entière lancée vers le mariage et la maternité, alors qu’inexorablement, la société change et que les choses ne sont plus aussi nettes. On a déjà discuté de ce problème en de nombreuses occasions.

Magerarenai Onna prend le même postulat de départ, et se présente comme une nouvelle démonstration de sceller le sort des femmes par des modèles médiatiques rigides. Et ça n’a rien de nouveau… ou bien ?

Magerarenai Onna se traduit par « la femme qui ne plie pas », et il est vrai que le personnage principal, Saki, est l’illustration-même de notre expression « avoir un balai dans le cul ». Ou, en langage plus recherché : psycho-rigide.

Et c’est vrai que c’est pas une rigolote, la Saki. Jamais un sourire… d’ailleurs, peu ou pas d’expression du tout. Elle a raté l’examen d’entrée au Barreau par neuf fois déjà, oui, neuf années de suite, neuf années pendant lesquelles elle n’a rien fait d’autre qu’étudier. Et alors que le bon sens dicterait à n’importe quelle personne sensée d’en prendre son parti et de faire sa vie autrement, Saki persiste.

Au moment du pilote, Saki prépare donc son dixième concours d’entrée, et travaille à temps partiel comme clerc dans un cabinet d’avocats. Sa vie est réglée comme du papier à musique et, sincèrement, ça relève quasiment de la pathologie lourde à ce stade. On a un peu l’impression d’avoir trouvé la fiancée japonaise de Monk ! Les plats préparés à l’avance pour chaque repas de la semaine et empilés sagement dans des Tupperware carrés dans le frigo, le carnet où sont notées quotidiennement les heures passées à travailler comme autant de lignes strictement identiques, l’exactitude avec laquelle chaque activité de sa journée commence à une heure bien précise…

Pourtant, passés les clichés de rigueur et de pointillisme, on comprend que Saki a, en fait, optimisé chaque instant de son existence pour se consacrer au maximum à ses révisions. Chaque seconde compte, et ainsi chacune est économisée dans ce but. L’existence entière de Saki est pensée dans le détail afin d’atteindre cet objectif qu’elle s’est fixé (et on devine qu’en neuf ans, sa technique en ce domaine a largement eu l’occasion de s’affiner).

Au bout de la moitié du pilote, le spectateur occidental commence toutefois à ressentir des pulsions d’homicide.
Sur l’air de : » si les chaînes japonaises se sortaient un peu la tête du cul, elles verraient qu’un tel personnage n’a pas nécessairement besoin d’être la fille impossible à marier qui fait le désespoir de sa maman, c’est pas croyable ça, les commanditaires de Magerarenai Onna sont aussi informés sur l’état de la société japonaise que TF1 sur celui de nos contrées ! »
Voir Saki en indécrottable célibataire rigide relève en effet du cliché le plus navrant de la télévision japonaise. Quand on lui dit qu’une femme doit se marier et avoir des enfants, on a l’impression de lire dans son regard qu’elle se demande si elle pourrait concilier contractions et révisions, qu’elle en conclut que non, et qu’elle laisse tomber cette ridicule histoire de bonheur féminin. Alors sa maman, son patron, son petit ami, son ancienne camarade de classe, y vont chacun de leurs allusions plus ou moins fines sur ce qui rendrait Saki heureuse, et comme elle ne marque aucune émotion et semble ne jamais prendre de plaisir à rien, toute tendue qu’elle est vers son objectif, Saki accrédite la thèse du « elle est complètement barrée cette gonzesse qui ne veut pas se marier, faut surtout pas devenir comme elle ». Et ça c’est rageant.

Car en plus ces deux états n’ont rien d’antithétiques : Saki aurait aussi bien pu accepter de se marier à Masato, et aurait optimisé leur vie de couple de façon à tout de même préparer son fichu examen tout en faisant tourner la maison. Mais non, il nous fallait une mauvaise élève, on est allés jusqu’au bout de la démonstration, quitte à en faire des tonnes.

On en arrive donc comme ça à la moitié du pilote et, je vais être honnête avec vous, là, j’ai décidé d’arrêter les frais. Plus précisément, quand la maman de Saki est tombée malade et que Saki, allant la visiter, entend sur le répondeur de sa mère que celle-ci a récemment eu une conversation avec une amie où elle confiait avoir vraiment envie que Saki se marie et lui donne des petits-enfants. Le seul truc qui pourrait ajouter du pathos à la situation serait que Saki se découvre un ovaire paresseux histoire de vraiment mettre la pression.
Et donc là, c’est le drame.
Saki s’en retourne dans la neige, pensant à son papa qui est mort quelques minutes après avoir enfin décroché l’examen du Barreau qu’il avait eu beaucoup de mal à décrocher (parce qu’en fait elle ne le veut même pas pour elle-même mais au nom de son père, ce fichu examen), et là arrive Masato qui lui présente une bague et lui propose de l’épouser, et on vivrait ensemble, et on s’occuperait de ta mère, et tu repriserais mes chaussettes pendant que j’ouvre mon propre cabinet, et ce serait magnifique.

Donc voilà, c’est là que, découragée par la télévision japonaise et ses odieux clichés sexistes, j’ai décidé que j’avais suffisamment subi ces conneries avec les  foutaises sur la célibataire mal-aimable qui heureusement va rentrer dans le rang grâce à un gentil garçon, et j’ai déclaré que Magerarenai Onna et moi, on n’étais pas copines. L’effet d’accumulation avait eu raison de moi.

Passent plusieurs jours. Un soir que j’ai mal à la tête mais pas envie de dormir, je me dis, comme ça, que je pourrais regarder un truc pas trop intéressant histoire de passer le temps, et que mes 10g d’anti-migraineux fassent effet. Grand bien m’a pris (pas juste pour les médicaments). Car c’est très tard que la série Magerarenai Onna montre ce qu’elle a dans le ventre.
Sans vouloir vous spoiler, disons simplement qu’après avoir longtemps joué avec l’idée d’un mariage entre Saki et Masato, et vas-y que j’essaye des robes, et vas-y qu’on va réserver une salle de réception, le pilote décide d’enfin dévoiler une information capitale, mais jusque là complètement invisible à l’œil nu : oui, Saki est un être humain. Complexe. Intéressant. Peut-être que le personnage ne plie pas mais ça ne signifie pas qu’il n’a aucun doute.

L’issue de cet épisode connaît alors un très bon moment alors que Saki, au téléphone avec sa maman, fait face à ses projets d’avenir. L’examen au Barreau, pas plus que le mariage, ne sont des garanties de bonheur, et le monde autour d’elle se charge bien de ne pas lui rendre la vie facile quel que soit son choix. Mais Saki démontre soudain que la rigueur à laquelle elle s’était astreinte ne l’empêche pas de craindre pour son avenir. Alors qu’on l’imaginait sûre d’elle et de son objectif, on comprend que son obstination ne signifie pas forcément qu’elle est certaine d’avoir raison alors que le monde a tort à son sujet.

Il faut beaucoup, beaucoup de patience, pour aller au bout du pilote de Magerarenai Onna. Beaucoup. Cela demande de survivre au visage de marbre de Saki pendant pas loin de 50 minutes (sur presqu’une heure d’épisode, ça fait beaucoup), de surmonter courageusement le cabotinage de Riko, proprement insupportable pendant 99% de son temps d’antenne, et surtout de serrer les dents chaque fois qu’un imbécile se croit en droit de faire remarquer à Saki qu’il sait mieux qu’elle ce qui la rendrait heureuse. De nombreuses minutes de frustration, voire de colère, sont à prévoir. A plus forte raison si vous avez le malheur d’être une femme. Mais finalement, ça en vaut assez la peine.

Magerarenai Onna nous permettra-t-elle enfin de faire le ménage dans tous les énervants clichés sur le bonheur de la femme japonaise ? Il est permis de l’espérer. Et personnellement, je suis d’avis que si la série poursuit son chemin, maintenant que je sais qu’elle est capable de plus de nuances qu’à ses débuts, elle pourrait même s’avérer nécessaire.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

1 commentaire

  1. Nakayomi dit :

    J’avoue que je ne suis pas franchement attiré par la série… Mais maintenant, il faudra tout de même nous tenir au courant du choix qu’a fait la série sur ce statut de la femme… ^_^

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