Ascendant Caprica

29 mars 2010 à 0:06

Il est de notoriété publique que mon truc, c’est plutôt de parler de pilotes. D’abord à titre personnel, c’est une question de goût, puisque je suis pilotovore et ne m’en suis jamais cachée. Mais il me semble aussi que, ma démarche n’a jamais été de vous abreuver de reviews épisode par épisode (de toutes façons, si vous voulez lire un avis sur le dernier Desperate Housewives ou l’ultime saison de Lost, les adresses ne manquent pas), mais surtout de partager mon goût pour la curiosité téléphagique.
Et même si, au fil de mes visionnages, je partage bien volontiers quelques réflexions sur des épisodes plus tardifs, et si récemment j’ai lancé la rubrique To be continued… qui revient sur toute une saison (principalement parce que j’ai développé une certaine phobie de l’annulation due à une crise téléphagique), il est quand même assez rare que je vous fasse un post rédigé couvrant l’intégralité d’une saison. Fût-elle courte.

Pourtant c’est bien ce que je m’apprête à faire aujourd’hui à propos de Caprica.

Un petit mot sur « l’avant-Caprica » pour expliquer l’apparition de ce post atypique. Il faut pour cela remonter à Battlestar Galactica, série que j’adore et dont pourtant je n’ai toujours pas vu la dernière saison, vu que j’attends que ma frangine ait du temps pour la regarder et que je lui ai promis que je l’attendrais (peste, à l’époque elle s’est bien gardé de me dire que j’en avais pour plusieurs mois à faire le pied de grue). Alors, quand le pilote est sorti, je craignais un peu de m’y atteler ; le principe du prequel, c’est quand même bien de glisser tout un tas de sous-entendus sur l’univers qu’on connait déjà, mais n’ayant pas vu la fin de BSG, je risquais de ne pas saisir toutes les allusions et ça me contrariait beaucoup. Je bavais devant les affiches (qui auraient pu figurer dans ce post tant elles me semblaient alléchantes), mais je rongeais mon frein. Et pressais ma sœur pour accélérer le mouvement…

Plusieurs personnes m’ont toutefois assuré que je ne risquais pas grand’chose (sous-entendu : Caprica c’est vraiment bidon, ne crains pas une complication qui n’existerait que dans tes fantasmes de fan), alors me voilà à me lancer, tardivement mais qu’importe, dans la série, me disant qu’on peut difficilement imaginer moment plus idéal pour ce faire que le weekend pendant lequel SyFy programme une intégrale de la série pour gonfler les audiences du tout dernier épisode diffusé cette saison, sachant que pour la suite, il faudra maintenant attendre septembre.

Caprica, me voilà donc ! Ah, comme j’aime déjà ton look rétro des
années 50 ! Comme ton personnage principal (middle-aged, roux…) me
séduit par avance ! Et comme ton thème semble électrisant !

Caprica ou le péché originel ? Miam !

Le pilote a pourtant de quoi surprendre. S’ouvrant sur une ambiance de teenagerie tape à l’œil (le club, le petit groupe de lycéens qui semble vouloir accomplir quelque chose de grand alors qu’ils sont… lycéens, les parents qui ne comprennent rien à rien), on a l’impression que Caprica a misé avant tout sur un rajeunissement de son public-cible. Impression qu’évidemment, l’attentat et les problématiques autour du deuil vont atténuer, mais quand même.

Le pilote offre aussi une très exaltante lecture des problèmes que pose la robotique (j’ai dans l’idée que si le Dr Daniel Graystone avait pu lire Asimov, on n’en serait pas là…). La question que pose la seconde moitié du pilote, sur la possibilité de ramener les êtres disparus par le biais de la technologie, est captivante ; elle est parfaitement mise en lumière par un dialogue entre Graystone et Adama pointant du doigt la bascule morale que le scientifique exécute sous le coup de la douleur (et peut-être aussi de l’avidité) :
« It’s not natural ! No, it’s wrong… it’s an abomination !
– Well, define natural… These glasses help me to see, artificial limbs and organs help millions to live. You’d hardly call those aids natural, but I doubt you’d call them abominations.
– It’s not what I mean and you know it.
– Ah… Huh-uh. You mean : « only the Gods have power over death ». Well I reject that notion. I REJECT THAT NOTION ! And I’m guessing that you don’t put too much stock in those ideas either. We have a chance to have our daughters back. »
Cet échange pose les bases d’un vrai dilemme éthique qu’on était en droit d’attendre et de voir exploré dans la série. La confrontation de ces deux hommes qui, à partir des mêmes constatations, tirent des conclusions différentes sur le sens à donner leur à deuil, et donc à leur vie, n’était qu’une façon d’expliciter ce dilemme.

Ça, c’est le pilote. Un pilote souffrant encore de quelques défauts, mais dont on pouvait penser qu’ils disparaitraient. C’est pas comme si on avait affaire à des amateurs, non plus !

Mais au fur et à mesure que la série avance, ces questionnements sont balayés rapidement, voire carrément ignorés. Pas oubliés. Ignorés.
On peut pardonner à une série quand elle oublie d’emprunter un thème qu’elle avait commencé à raconter, c’est une erreur compréhensible, une étourderie qui peut coûter cher mais qui est humaine… mais le faire exprès alors qu’on a construit une grande partie du pilote dessus, non, ça ne se pardonne pas comme ça.

Les problématiques posées par le pilote sont vite laissés en stase totale. L’enfermement de Zoe dans le corps Cylon ? Une idée tordue mais qui pouvait donner quelque chose de bien. A travers ses trois identités (à partir de deux ou trois épisodes, le terme « trinité » s’est bien gardé d’être évoqué dans les résumés, ne parlons même pas dans les épisodes eux-mêmes), Zoe/U87 aurait pu explorer son humanité : une machine capable de ressentir des choses ? Voilà une thème de science-fiction intéressant et digne de la franchise BSG ! Mais au lieu de ça, Zoe va passer le plus clair de son temps à regarder tout ce qui se passe dans le labo avec un air constipé et les mains sur les hanches. Ne blâmons pas Alessandra Toressani pour cela, car dans les rares scènes où elle a la possibilité de s’exprimer, elle dresse le portrait d’une adolescente intelligente mais immature, vive et presqu’attachante. La faute en revient bel et bien au scénario qui, après avoir joué avec l’idée qu’on pourrait mettre l’avatar de la fille du Dr Moreau dans la créature mécanique créée par ce même savant, s’en désintéresse complètement, laissant la réalisation jouer avec les différents effets permettant de dire que Zoe est dans le corps de U87. Une fois. Deux fois. Trois fois. Cinquante fois par épisode s’il le faut.

Pendant ce temps, le monde virtuel qui au départ devait regrouper ce que l’humanité a de plus tordu et subversif, devient une autre façon de créer une cafète de sitcom pour que les personnages adolescents puissent se retrouver et s’exprimer loin de la censure parentale. Club hyper chic à la faune lookée, et progressivement, cadre plus calme (VIP room puis décors naturels), il pourrait avoir une signification dans la quête des personnages qui le fréquentent, mais y échoue lamentablement parce qu’il est sous exploité.
New Cap City, certainement l’endroit le plus sexy de toute la série par son univers extrêmement stylisé, ne s’en tire pas mieux. Comment cet appendice du V-world, censé représenter un jeu sans pitié, devient un trou béant scénaristique, je ne me l’expliquerai jamais. Voilà bien une intrigue qui ne mène à strictement rien. Elle ne définit ni les personnages qui y circulent, ni une thématique solide autour de laquelle la série pourrait prendre du sens.

Sur le plan de la religion (question centrale de la franchise s’il en est !), Caprica semble là aussi s’empêtrer dans les thèmes qu’elle a pourtant elle-même soulevés. On ne lui avait pourtant rien demandé ! Cette thématique lourde aurait pu être développée ultérieurement, en parallèle des progrès autour de la technologie Cylon (pour la défense des auteurs, il faut bien admettre que ladite technologie ne fait pas le moindre progrès à partir de la fin du pilote et ce, jusqu’au 9e épisode !), mais non, nous voilà dés le départ avec une chère sœur dans les bras, présentée comme forcément dangereuse car ayant de l’influence sur des adolescents, suivie de tout un mouvement monothéiste dont on a du mal à comprendre en quoi il est si minoritaire puisque plus la série avance, plus le nombre de personnages polythéistes se trouve en infériorité numérique. Et vas-y que je te brode sur la hiérarchie du STO, que je te rajoute une faction qui s’oppose à la bonne sœur (qui du coup n’est plus ni gentille, ni méchante, ni trouble, juste complètement lourdingue), tout ce petit monde se met des bâtons dans les roues et on en oublie ce qu’ils veulent, au juste. Sentiment désolant que de voir cet aspect s’évaporer à mesure que la saison progresse. Mais enfin Caprica, tu voulais parler de religion, d’extrémisme, d’endoctrinement… vas-y, fonce !

En fait, plus la série progresse, plus on a le sentiment que Caprica a deux type d’intrigues :
– celles qu’on développe parce qu’on a quelque chose à en dire, mais alors, ouh là, très, très lentement
– celles qu’on développe parce qu’on le peut, et croyez-moi on va délayer au maaaaaximum
Dans cette deuxième catégorie, on trouve des éléments qui semblent plus relever du plaisir des scénaristes que d’un réel fil rouge faisant partie du puzzle.

Et les scénaristes ont, c’est vrai, un univers à mettre en place. Tâche d’autant plus ardue qu’il faut à la fois que cet univers soit cohérent en lui-même, mais qu’en plus il s’inscrive dans la mythologie de Battlestar Galactica au détail près (parce que les fans connaissent toujours mieux la série que ceux qui l’écrivent, et qu’ils ne loupent aucune incohérence même mineure). Les intrigues du second type sont là pour étoffer cet univers, lui donner à la fois de la profondeur et insinuer qu’on y trouve des éléments constitutifs de la mythologie de la franchise. Mais le monde ainsi créé est si dense, et si attirant, que les scénaristes s’y perdent au lieu d’admettre que, bon, on va se contenter de ce qu’on en a déjà dit, et maintenant, on va essayer d’en tirer partie pour nos intrigues.

Mais voilà, le problème de Caprica, c’est ce phénomène de plus en plus courant et bordélique qui touche la télévision américaine, et conduit de nombreuses séries à être coupées en deux. Et qui a conduit à la création des posts To be continued…, alors attendez-vous à en trouver un dans quelques mois pour la série.
C’est un phénomène qui complique la vie des scénaristes qui travaillent sur des séries avec des arcs, parce qu’il faut en fait bâtir la série comme si elle avait deux saisons, une de 9 épisodes et une de 11 autres dans le cas qui nous préoccupe, au lieu de considérer que c’est une saison d’un seul tenant. Le cliffhanger de l’épisode 9 exprime bien ce problème, et en fait, tous les épisodes avant lui se heurtent à la difficulté d’installer un univers complexe tout en n’ayant pas tout dit dés le début. C’est un dilemme qui vaut bien celui de la robotique, et je le comprends.

Pourtant, voilà la vérité : entre le début et la fin de cette mini-saison, les personnages de Zoe, Daniel et Tamara n’ont pas avancé d’un iota ; Joseph, Amanda et Lacy expérimentent une descente aux enfers précipitée et assez peu cohérente qui relèvent uniquement du character development et pas du tout de la progression des intrigues ; sœur Clarice a prouvé son inutilité en tant que personnage dangereux pour l’équilibre des personnages principaux, supplantée par Vergis et Barnabus. La question de l’enquête terroriste est complètement passée au placard, conduisant à la disparition de l’agent Durham qui avait pourtant du potentiel.

Jeune fille, maintenant que tu as entamé cette pomme, tu vas me faire le plaisir de la finir !

 C’est donc un travail très inégal, ne remplissant pas [encore] toutes ses promesses, et jouant un peu trop avec ses effets spéciaux, qu’offre cette première partie de saison. On y trouve des thèmes captivants, de bonnes questions, des personnages intéressants, mais il faut vraisemblablement une patience de bénédictin pour y trouver son compte, notamment quant à la stimulation intellectuelle qu’on est en droit d’en attendre.

Oh, c’est prometteur, certes. Mais « prometteur » est un terme que je préfère réserver à un pilote, pas à 7h30 de programme.
Puis-je suggérer qu’à l’automne, on fasse un peu moins joujou avec le potentiel de l’univers (et le potentiel des ordinateurs en post-prod), et qu’on s’attaque au nerf de la guerre ? Sinon, faudra pas venir se plaindre.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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