Photographie musicale

14 avril 2010 à 23:06

C’était l’été. Je passais quelques jours dans la maison de campagne de mon tout premier petit ami, et, un après-midi, le dernier avant de rentrer je crois, je suis tombée par hasard sur ce documentaire sur la Nouvelle-Orléans. J’ai passé, oh je ne sais pas, trois quarts d’heure, peut-être une heure, fascinée, devant l’écran.
Maintenant, comprenez-moi bien : je n’en étais pas à ma première découverte télévisuelle de la ville. Vous parlez à quelqu’un qui a regardé Flic de mon cœur autant de fois qu’il lui était humainement possible de le faire pour quelqu’un qui, a) n’était pas forcément à la maison tous les après-midis devant France2, b) n’avait à l’époque aucun accès libre à un magnétoscope. J’aimais Remy, mais pas autant que j’aimais la Nouvelle-Orléans.

Pour ceux qui n’ont pas lu mes lamentations d’alors, vous n’aurez aucune peine à imaginer ma déception devant K-Ville. La seule chose en rapport avec cette série que j’accepte de revoir de temps à autres, c’est le générique. Et quelque part, voilà qui augurait déjà de ma réaction face à Treme.

It sounds like rebirth…!

Treme n’est que musique ! …Ce qui peut être vu comme un avantage autant qu’un inconvénient, à vrai dire.
C’est un plaisir de chaque instant pour les oreilles, cette série. L’une des raisons qui me faisaient aimer la Nouvelle-Orléans sans jamais l’avoir vue (et hélas, je ne verrai jamais la Nouvelle-Orléans que j’ai toujours rêvé de visiter), si on omet l’architecture dans le quartier français, le bayou et la nourriture évidemment.

C’est aussi par son abondance de musique, étrangement, que Treme dévoile sa faiblesse la plus difficile à surmonter. Car au-delà de son ambiance musicalement enchanteresse et jouissive, ce qu’offre Treme, c’est un style quasi-documentaire dans le plus pur style d’une série de David Simon. Et ça, il faut aimer. Oh le style est léché, le casting impeccable et sobre, et il n’y a pas à dire, le mot d’ordre est « authenticité ». Mais justement.

Parce que… et après ? Treme a finalement de quoi laisser circonspect. S’il n’y avait pas la musique ? S’il n’y avait pas l’omniprésence du label « couleur locale » ? Aimerais-je autant Treme ?

Il ne fait aucun doute que Treme est une excellente série, maîtrisée dans sa forme. Mais le pilote laisse un goût d’inachevé. La série s’attache à prendre le pouls de la ville et en vient à négliger ses personnages, alors que pourtant elle s’ingénie à les suivre à la trace pendant de longue séquences. C’est, paradoxalement, comme si ce pilote n’était pas assez long, et qu’on n’avait pas le temps de prendre la mesure des personnalités auxquelles on est censé s’attacher (un minimum). On laisse dans le flou des éléments qui nous permettraient de comprendre tout-à-fait le ressenti des personnages, parce qu’on ne nous donne pas assez d’éléments pour comprendre ce que chacun vit.

L’émotion est présente, mais on se borne à compatir superficiellement à cela. A la connivence avec le DJ épris de musique en dépit du bon sens, à la colère du vindicatif intellectuel défendant sa ville sinistrée avec véhémence, à la résistance de la patronne du restaurant qui manque de tout… Certains personnages semblent plus définis que d’autres : la barmaid à la recherche de son frère, le vieux pépé borné qui tient à se réinstaller en ville quoi qu’il en coûte. On comprend mieux les problématiques de ces personnages et vers quoi elles peuvent nous mener.

Comme souvent, le ton documentaire (et, je le répète, il est parfaitement maîtrisé) prend le pas chez Simon sur l’exploration dramatique. Ce qu’il fait, et c’est normal en tant que journaliste, c’est de la photographie, et c’est superbe.
Mais ce n’est pas ce que j’attends d’une série, fut-elle réalisée avec talent, et je me sens légèrement frustrée par ce choix. Je pense qu’il parle beaucoup plus à ceux qui se sentent personnellement touchés par le drame de Katrina et qui ont leur propre histoire à intercaler dans ces images et ces sons.

Le pilote diffusé dans un bar de la Nouvelle-Orléans

De Treme, je ressors pourtant avec une bouffée d’espoir. J’ai eu l’impression d’assister à une trilogie ; The Corner, le désespoir d’une communauté condamnée ; The Wire, les sursauts d’une ville qui se débat pour ne pas succomber ; Treme, les efforts d’un quartier qui veut renaître malgré tout.

Trois photographies détaillées d’une certaine frange de la nation qui se bat sans avoir son mot à dire dans les médias. Mais que Treme sort du silence.
C’est très beau, mais ça ne marche pas pour moi.

par

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2 commentaires

  1. Livia dit :

    Olala, petit HS, mais me voilà rassurée et toute étonnée de ton introduction : il n’y a pas que moi qui a vécu une période de fascination devant Flic de mon coeur ! Je n’ai que des vagues souvenirs désormais, mais ils sont associés à une chaleur et à un plaisir rares, sans doute un brin nostalgique. Reste que Flic de mon coeur demeure gravée dans mon coeur (même si je n’ai jamais dû faire pleinement la part des choses entre mon amour pour Remy et mon amour pour le portrait proposé de la Nouvelle-Orléans), avec une place à part !
    (Et avec une décennie de retard, je suis heureuse aussi de savoir qu’il n’y avait pas que moi qui ait dû jongler avec mon emploi du temps et France 2 en ces fins d’après-midi ! – c’est une série que je vois rarement mentionner sur le net, d’où ce petit pré-commentaire).

    Pour en revenir à Treme, on a effectivement une approche de quasi-documentaire et un style très caractéristique qui se rapproche des précédentes productions de l’équipe créatrice.

    Après c’est sans doute une question de goûts et de ressentis, mais pour ma part, ce pilote m’a fasciné, mais indubitablement plu. J’ai accroché à ces premières esquisses de personnages, à leur préoccupations. La mise en place est progressive, volontairement lente. Il y a un souffle profondément authentique qui se dégage de la narration. C’est une forme d’exposition et de style de récit que j’aime bien. Bref, les ingrédients ont pris chez moi.

    J’ai également apprécié l’instrumentalisation qui est faite de la musique. L’épisode ne devient jamais un « clip », mais, au contraire, la musique est utilisée pour raconter également une histoire, pour apporter au récit. J’adore ce soin apporté aux détails, à la façon dont tout cela est exposé.

    Certes, j’ai mis trois jours à réussir à rédiger une review, pour pouvoir ensuite oser aller lire ce que les autres blogueurs avaient écrit dessus, mais c’est sans doute parce qu’il m’a fallu du temps pour digérer tout cela. Cependant, je suis vraiment conquise !

  2. lowtekh dit :

    Eh bien alors? Pas d’autres posts sur Treme? La série vaut pourtant mieux que ça, à la fois géniale et problématique. Problématique surtout parceque si elle a eu d’abord un impact positif sur l’image et le renouveau de la ville de la Nouvelle-orléans, elle accompagne aujourd’hui une gentrification des anciens quartiers qui est très critiquée (de la même manière qu’on a reproché à The Wire de coller une image indélébile de ville pourrie à Baltimore). Mais bon c’est ce qui est passionnant dans le travail de David Simon et son ancrage dans la réalité.

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