Les séries corénnes, ces VRP

15 avril 2010 à 21:57

Depuis quelques jours, la série Shinira Bulriwoon Sanai (alias A Man Called God) fait parler d’elle en raison de ses dialogues. Sauf que ce n’est ni leur qualité ni leur originalité qui a lancé le débat (loin de là), mais plutôt l’une des phrases fétiches du personnage principal, Michael King, régulièrement reprise par les autres personnages, et qui n’est pas insérée de façon innocente dans les épisodes. Cette réplique, « why not ? » (pourquoi pas), en apparence totalement inoffensive, est en réalité le slogan de la marque Samsung Card, une filiale de Samsung proposant des cartes de crédit.

Pourquoi opter pour cette technique si cryptique pour faire du product placement ? C’est que, voyez-vous, en Corée du Sud, le product placement, c’est officiellement illégal. Et le mot « officiellement » n’est pas employé ici par hasard…

Entre les pubs… il y a de la pub !

Le recours au product placement, cette technique consistant à introduire des références à des produits dans les fictions, est à l’origine une question purement financière. En effet, les annonceurs paient pour que leur marque apparaisse à l’écran, de façon intégrée dans l’histoire, et cela représente une rentrée d’argent substantielle pour la production de la série concernée, à plus forte raison quand celle-ci ne jouit pas d’un budget pharamineux.

En Corée du Sud comme ailleurs, le product placement est en pleine ascension, car les restrictions budgétaires sont de plus en plus le mot d’ordre. Que la production soit assurée par la chaîne (c’est très souvent le cas) ou par une société indépendante, il faut donc chercher les subventions ailleurs ; deux alternatives se présentent donc, soit la vente des droits à l’étranger, soit le product placement. Bien que le procédé soit normalement illégal (les marques doivent, comme en France, être floutées à l’écran), il est très largement toléré par les autorités. Mais le public coréen, qui ne laisse rien passer et n’hésite pas se manifester lorsqu’une série fait le moindre écart de conduite, se montre souvent rétif à ces techniques. Les annonceurs doivent donc ruser, et il faut donc que le procédé soit le plus discret possible afin de ne froisser personne. Comprenez : insidieux.

Faire du product placement avec Style

Car lorsqu’on manque de discrétion dans la démarche, le public coréen tire à vue. L’été dernier, la série Style, centrée sur un magazine de mode, s’était attirée les foudres du public avec son product placement franchement appuyé. Références permanentes à une marque d’eau minérale au très reconnaissable package violet, longues scènes se déroulant intégralement dans une pâtisserie ou dans un café franchisés… tout cela pour faire honneur à trois marques qui étaient également sponsors de la série et voyaient déjà leur logo apposé plusieurs fois pendant la diffusion. Mais ce n’est rien en comparaison de certains dialogues, uniquement dédiés aux explications d’un personnage sur le choix de sa marque de voiture, ou sur la démonstration détaillée du tout nouvel emballage du dernier chewing gum à la mode. Autre exemple, l’un des épisodes qui devait se dérouler sur le tournage d’une publicité a réellement servi à faire 30 secondes de promotion pour un téléphone portable dernier cri, les employés du magazine montrant plusieurs fois et en détail comment utiliser une fonction particulière de ce modèle. Oh mais, les logos sont flous, ça, il n’y a pas de problème !

Les réactions ne se sont pas faites attendre, notamment sur le site officiel de la série où les spectateurs se sont plaints d’assister à une heure non-stop de publicités, au lieu d’un épisode de fiction. La production s’était réfugiée derrière les coûts de production, les salaires des acteurs, et les exigences d’audience de la part de la chaîne, pour justifier sa démarche. En dépit de ses audiences correctes, Style a pourtant perdu des spectateurs chaque semaine, à cause de ces pratiques et de leur inévitable répercussion sur les intrigues déjà assez indigentes.

Bien malin le Coréen qui reconnaitra ce logo habilement flouté !
Dans Style, on respecte la loi, on ne montre pas le logo… du moins pas en entier.
Publicité indirecte et institutions sud-coréennes, une histoire d’amour

Pourtant, tout le monde n’est pas forcément opposé à l’emploi de ces techniques. En avril 2005, le Ministre de la Culture et du Tourisme (notez les deux attributions de ce ministère) annonçait face aux premières plaintes qu’un groupe d’étude allait se réunir conjointement avec la Korean Broadcasting Commission (KBC), l’équivalent du CSA, afin de réfléchir à la question. Une question qui couvre bien plus que la problématique du marché télévisuel national.

En effet, depuis plusieurs années, on peut observer une mode surnommée de « hallyu » ou « Korean wave », entre autres au Japon, en Chine et en Asie du sud-est, et qui a permis l’exportation de nombreux produits culturels comme les séries ou la musique. Les résultats financiers sont au rendez-vous, et cette vague coréenne, outre le fait qu’elle permet de vendre les droits de diffusion de plusieurs séries, a aussi un autre effet secondaire : celui de drainer les touristes, toujours plus nombreux à passer leurs vacances sur la péninsule coréenne. Le gouvernement encourage donc les scénaristes et producteurs à mettre en valeur le pays dans leurs séries ; comment, dés lors, empêcher les entreprises privées d’en faire autant ?

Finalement, en décembre 2006, après un ultime colloque sur la question, le Ministère de la Culture et du Tourisme annonçait qu’il ne fallait pas nécessairement voir dans le product placement une menace pour le consommateur, mais au contraire une opportunité pour l’économie coréenne. Une conclusion qui n’a pas fait l’unanimité parmi les consommateurs, les journalistes ou l’opposition, mais qui a ouvert la porte aux pratiques abusives comme celles de Style.
Finalement, la loi a changé fin 2009, et autorise l’apparition de logos sous certaines certaines conditions : l’introduction d’une marque ne doit pas influencer l’histoire, ne doit pas détourner l’attention du spectateur, ne doit pas être mentionnée par qui que ce soit dans le programme, et enfin, le programme ne doit pas encourager le spectateur à acheter le produit mentionné. Tout ça a l’air bien raisonnable, sauf qu’on a depuis longtemps dépassé ce stade…

Pourquoi se contenter d’un simple logo ?

Si un certain nombre de marques strictement coréennes, qui ne commercialisent pas leurs produits à l’étranger, ne sont pas concernées par les justifications du ministère sur les conséquences touristiques du product placement, reste que plusieurs multinationales basées en Corée du Sud profitent de la mansuétude du ministère, qui ferme les yeux même lorsque les conditions de la loi ne sont pas respectées. Et quand la KBC décide de sanctionner les chaînes, celles-ci paient désormais leur amende rubis sur l’ongle… un comble !

C’est que, de toutes façons, montrer son logo à l’écran, ça ne suffit plus aux annonceurs. Il faut désormais montrer les produits, mieux encore, les dévoiler en exclusivité, offrir des prototypes aux personnages, leur faire faire quelques démonstrations… Outre le cas de Style, on peut mentionner que pendant l’automne dernier, la marque Kia Motors a prêté pas moins de 19 véhicules à la série IRIS, la série ayant même la primeur d’un nouveau modèle de la marque sorti quelques semaines plus tard.

Kia Motors et IRIS, une affaire qui roule
La K7, modèle de Kia Motors introduit dans un épisode d’IRIS et promu par l’acteur principal
La palme de l’ironie du sort revient aux constructeurs étrangers de voiture : comprenant l’enjeu du product placement à la télévision coréenne, et voyant les portes s’ouvrir devant elles, plusieurs marques occidentales (qui jusque là n’ont jamais réussi à dépasser 1% du marché automobile sud-coréen) ont commencé à leur tour à monnayer l’apparition de certains de leurs modèles dans des séries. Une véritable épidémie de marketingite aiguë !

Rien ne peut plus s’opposer à une avalanche de product placement en Corée, la loi s’étant assouplie et les contrevenants ayant beaucoup plus à gagner qu’à perdre en cas de conduite illégale.

Mais il reste un véritable défi, et c’est auprès du public coréen qu’il faut le relever : les spectateurs réagissant de façon épidermique à ce procédé, il faudra désormais trouver des façons les plus subtiles possibles pour poursuivre dans cette voie sans écœurer les amateurs de séries… et donc les consommateurs potentiels. Le cas récent de Shinira Bulriwoon Sanai, avec ses slogans placés dans les dialogues, deviendra donc bientôt la norme.

Allez, une note positive pour finir : les développements récents de la question du product placement en Corée du Sud pourraient débloquer la situation autour de la version coréenne de Kami no Shizuku. La série, qui a pour thème le monde de l’oenologie, est en projet depuis 2008 (quand les droits ont été achetés à Kodansha, la société japonaise publiant le manga). Mais la loi interdisait jusque là de faire apparaitre les noms des crus à la télévision, et le développement en était resté au point mort ; l’acteur principal Yong Jun Bae avait dû accepter d’autres rôles en attendant que la série obtienne le feu vert. Désormais, ce genre de considérations ne fait obstacle à l’avènement de cette série…

Article également publié sur SeriesLive.com.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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