Dangereux mimétisme

19 avril 2010 à 17:21

Depuis qu’elle est partie, vraiment, c’est dur. Et très franchement, pour quelqu’un que j’ai rencontré « en vrai » il y a seulement 9 mois, ça m’étonne un peu de réagir comme ça, mais, comme le dit ma psy (en ce moment je fais partie de ces gens qui commencent leurs phrases par « comme le dit ma psy »), ça faisait très longtemps que je m’étais fermée aux autres, et pour la première fois depuis des années que je laissais quelqu’un entrer dans mon cœur, ça rend les choses encore plus difficiles. Elle avait de l’importance par elle-même, parce que c’était une personne absolument magique, et puis elle avait de l’importance à cause de ça aussi, parce que plus personne n’avait eu le droit d’avoir un tel accès à moi-même.

Je ne suis pas une personne secrète, pourtant. Loin de là. Posez-moi la question la plus intime qui vous vienne à l’esprit, et j’y répondrai, parfois avec une formulation un peu humoristique si je suis embarrassée, mais en tous cas toujours. C’est d’ailleurs en cela que l’expérience formspring s’est avérée décevante, les gens se sont souvent bornés à des questions simplistes et n’ont pas cherché à me pousser dans mes retranchements, je n’ai pas pu tester mes limites en la matière. Il doit bien y avoir pourtant une limite à ce que j’accepte de dire à tout le monde et n’importe qui, mais je ne connais pas encore cette limite. J’avoue être assez contente de ce trait de caractère que j’ai, qui fait de moi quelqu’un de fondamentalement honnête, d’une certaine façon. Je me vois comme Gally mettant tirant son coeur de sa poitrine et le posant sur la table, là où tout le monde peut voir qu’il est en jeu.
Mais étrangement, plus je suis prête à parler d’absolument tout avec tout le monde, moins il y a d’intimes dans ma vie. Je ne manque pas d’intime, mais je manque d’intimes, clairement. Je ne m’attache plus à personne.

Ou plutôt, je ne m’attachais plus à personne. Et puis il y a ce soir, dans ce bar, deux petits cocktails et beaucoup, beaucoup de souvenirs évoqués, et ce n’était que la seconde fois que nous nous rencontrions « en vrai », mais c’était comme si nous avions vécu côte à côte. Nous étions deux personnes fondamentalement différentes, au vécu différent, au présent différent, aux aspirations différentes, mais au ressenti absolument similaire.

C’était souvent une chose douloureuse. Elle me renvoyait le miroir de ma propre douleur. Parfois on parlait au téléphone une, ou deux heures, au beau milieu de la nuit, c’est principalement arrivé cet hiver suite au décès de son grand-père, et pendant plusieurs jours ensuite, je me sentais terriblement mal, comme une sorte de nausée émotionnelle, parce que tout ce qu’elle avait dit, je l’avais ressenti à un moment ou à un autre de ma vie, et ça faisait terriblement mal d’être mise face à tout cela.
Je suis habituée à parler de ma douleur, et aujourd’hui, je sais en parler sans sombrer systématiquement dans le pathos, ce qui est une immense victoire sur moi-même.
Mais entendre quelqu’un d’autre dire toutes ces choses-là, c’était une expérience terrible. Terrible.

Pour autant que ç’ait été infiniment douloureux de partager tous ces sentiments avec elle, c’était aussi profondément réconfortant d’avoir cette autre personne, qui savait. Qui savait ce que chaque chose pouvait représenter.

J’ai repensé aux mois que nous avons passé, depuis notre « vraie » rencontre, à la façon dont s’était déroulée notre amitié. Pas une fois, pas une seule, nous n’avons eu de dispute, de désaccord profond sur quoi que ce soit. Nos goûts variaient, nos expériences variaient, nos envies variaient… mais sur le fond, jamais le moindre désaccord.
Et je trouvais incroyablement confortable de sentir en elle cet accord constant avec tout ce qui me semblait être le pilier de mon être.

Mais en même temps, je ne nous prenais pas pour des jumelles ou quelque chose de ce genre. Ce n’était pas fusionnel. Je respectais le fait qu’elle mène une vie dont je désapprouvais beaucoup d’éléments.
Aujourd’hui je me dis que peut-être j’aurais dû quand même ouvrir ma gueule.

Quand ce soir-là, elle m’a appelée, et qu’elle m’a dit toutes ces choses gentilles, et que je lui en ai dit d’autres gentilles aussi… je n’aurais pas dû. J’aurais dû lui dire « écoute, ma chérie, c’est n’importe quoi, il faut que tu arrêtes tes conneries, tu te rends pas compte, t’es complètement pétée ma grande, explosée, c’est pas raisonnable, personne ne devrait boire comme ça à s’en rendre malade, il faut que tu fasses quelque chose ». Au lieu de ça j’ai été gentille et tendre et compréhensive, et quand j’ai raccroché, la première chose que j’ai dite à Tomcat, c’est « that cannot be healthy ». Et non, c’était pas sain, en effet, et ça s’est vérifié par la suite. J’aurais dû dire quelque chose. Me fâcher. Les amis font ça. Ils vous disent quand vous avez merdé. Ils vous disent que vous avez un problème. Quitte à se fâcher et se prendre la tête quelques jours ou une semaine, ou deux à la limite. J’étais en position de le faire. Mais je respectais trop le fait qu’elle soit différente de moi et qu’elle ait le droit de mener sa vie comme elle l’entendait. Oui, on peut respecter trop quelqu’un, au point de la laisser se perdre.

Ca fait 12 jours que tout le monde me répète combien elle m’appréciait et combien j’ai compté. A quel point j’avais été gentille avec elle. Et je suppose que c’est une consolation pour plein de monde de se dire que, pendant ces derniers mois où elle allait si mal, il y a eu des personnes dans sa vie (pas que moi évidemment) pour être là et être gentille et toujours avoir une attention. Et c’est parfait si ces personnes trouvent une sorte de consolation dans cette idée.
Mais moi. Moi j’ai été gentille. C’était la chose la plus importante au monde pour moi depuis quelques temps, une véritable obsession : être quelqu’un de bien. J’ai été bien. Gentille. Compréhensive. Tolérante.
Et finalement j’aurais dû être une chieuse. Ca ne l’aurait peut-être pas sauvée.
Ou peut-être que si, je ne saurai jamais.

Depuis 12 jours me voilà dans un étrange cercle où j’essaye de me distancier de notre ressenti commun mais où, en même temps, je suis attirée par lui. Je voudrais comprendre ce qui était tellement bien dans le fait d’être bourrée. Dieu merci j’ai comme règle depuis plusieurs années de ne jamais garder d’alcool à la maison, je n’ai aucune idée de ce qui se passerait si ce n’était pas le cas. Par contre des médicaments, j’en ai. Et pour la première fois de ma vie, je ne les dédaigne pas. D’ordinaire, on me les prescrit, je les prends pendant quelques jours, trois, quatre, cinq si je suis motivée, et puis j’oublie. Et le lendemain je me dis « oh, c’était pas si terrible de faire sans, pourquoi reprendre ? ». Et ça s’arrête là. Jusqu’à l’ordonnance suivante.
Mais là non. Là je prends mes médicaments, avec une sorte d’anticipation, même, ah, il est 22h, la bonne heure pour prendre les deux médicaments, celui pour se calmer et celui pour dormir. Et puis j’apprécie tellement la sensation d’avoir la tête qui tourne et de me prendre les pieds partout et de ne pas tenir debout que j’en rajoute un troisième. Et je sais que ce n’est pas la chose à faire. Et que le lendemain, les effets vont se poursuivre jusque tard dans la matinée, oh je vais me lever (enfin, pour le moment j’ai réussi à me lever sans problème, on ne sait pas ce que l’avenir réserve), mais jusqu’à 10, ou 11 heures, je vais être complètement shootée, et j’aime cette sensation. Et ça me fait peur parce que jusque là je l’ai détestée et méprisée, cette sensation.

Et tout est comme ça. Je pense au suicide, sans arrêt. Pas le mien, pas le sien, le suicide en général. A des façons de mourir, pas pour moi, pas celle qu’elle a choisie (même si elle me révolte), mais en général, comment mourir ? Je pense à la mort alors que je sais que j’ai dépassé ce stade il y a quelques années maintenant. C’est comme la sobriété, je compte le temps passé avec des petits jetons imaginaires, je sais que je tiens bon, je sais aussi que je peux glisser.

Elle a basculé et j’ai envie de faire le mouvement aussi. Je n’ai pas envie de binge drinking et je n’ai pas envie de mourir, mais c’est quand même une sorte de tentation permanente parce que, même si ma psy me le dit : « vous n’êtes pas elle », et même si je le sais et l’ai toujours su comme une évidence, je ne sais pas.
Il y a une sorte de besoin de mimétisme.

Je crois qu’elle me manque aussi comme ça. Ca me manque d’avoir perdu cette partie de moi qui était en communion avec quelqu’un, et je voudrais retrouver ça.
Et pour mon propre bien, je ne dois pas, il ne faut pas, et je ne le veux en fait qu’à moitié.

Mais ce soir, je sais que je vais regarder ma plaquette de médicaments comme je l’ai regardée hier soir. Avec soulagement.

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