Pas sage

14 juin 2010 à 23:01

Rubicon, ou l’art de nager à contre-courant sans en avoir l’air. Une série pas sagement paramétrée pour cueillir le spectateur sans effort. Une série pas sage.

Rubicon, c’est la série qui s’en fout si son personnage n’est pas sexy ni expressif et qu’il a les yeux clos à force de manquer de sommeil. Rubicon, c’est la série qui s’en fout si elle donne l’impression
d’être tournée en Allemagne de l’Est. Rubicon, c’est la série qui s’en fout d’être lancée au cœur de l’été et de proposer uniquement de la pluie et de la neige pour ses décors. Rubicon, c’est la série qui s’en fout si t’as pas de respiration un peu plus légère pour te reposer le cerveau entre deux scènes tendues. Rubicon, c’est la série qui s’en fout si t’as pas fait attention, elle le répètera pas. Rubicon s’en fout de n’être pas facile d’accès, et si t’es pas content c’est le même tarif. Rubicon, c’est la série qui emmerde le spectateur au QI d’huître qui jusque là a cru qu’une série intellectuellement stimulante, c’était The Mentalist.

Voilà pour la profession de foi et, franchement, à ce stade j’ai l’impression que tout est dit. Derrière son aspect le plus repoussant possible (que je soupçonne d’être volontairement décourageant histoire de faire un premier tri parmi les spectateurs), Rubicon possède une grande finesse et une grande intelligence, dont elle partage les manifestations avec son personnage principal (un type apathique dont on sent bien qu’il a l’air plus âgé qu’il ne l’est vraiment) : Will Travers un génie, mais un génie suffisamment doué pour ne pas ressentir le besoin de prendre la pose toutes les 5 minutes et lancer un trait d’esprit pour se faire applaudir. Rubicon et Will ont ceci de commun qu’ils sont tellement intelligents qu’ils n’ont plus besoin d’en faire étalage. A vous de faire attention aux détails, à vous de rester aux aguets, et c’est finalement tellement plus satisfaisant de se dire qu’on a tenu tout le long sans faillir, alors que l’épisode a tenu le rythme sans vous laisser une seconde de répit.

Pas d’humour, pas d’action, pas d’affectif… ce pourraient être des repoussoirs puissants (mais au moins, ceux qui se lancent dans Rubicon savent tout de suite à quoi s’en tenir ; à titre d’exemple, quelqu’un comme Naka saura immédiatement que ça ne lui correspond pas, tout le monde sait immédiatement à quoi s’en tenir), mais ce sont aussi les meilleures qualités de ce pilote.

Ou plutôt : de cette moitié de pilote. Car le pilote complet, il fait deux heures et on a rendez-vous avec lui le 1er août. Nul doute qu’il devrait éponger un peu de la frustration qu’on ressent lorsque le sneak preview diffusé hier soir s’achève.
Ce premier morceau de pilote, s’il pose bien les bases de la série, et son univers d’espionnage aux relents de guère froide, laisse un peu sur notre faim au moment certainement le plus capable de nous donner des perspectives concrètes sur les questions qu’on va probablement de poser pendant toute la saison. Ça va, ça va j’ai compris, je reviens le 1er août !

De la même façon qu’il y a 3 ans, Mad Men, lancée en plein été, faisait figure d’original au milieu des grilles dominées par le soleil, Rubicon joue la carte de l’anti-conformisme, et n’hésite pas à jouer avec les époques. Vraiment, si on n’avait pas cité le 11 Septembre, j’aurais juré qu’on était sur la fin de la guerre froide. Dois-je préciser que passée la surprise, j’ai trouvé cet élément formidable ? Dans les services d’intelligence du American Policy Institute, on ne combat pas les terroristes, on se contente d’essayer d’avoir un temps d’avance sur eux, et pour cela, il faut décrypter, réfléchir, des heures et des heures sans avoir la garantie de comprendre. Dans un bureau de gratte-papiers dont la vie est tout sauf excitante, on voit à quoi ressemble le véritable travail derrière la sécurité nationale. Pour un Jack Bauer, combien de Will Travers, dans la vraie vie ? Ce n’est pas glamour, ce n’est pas rythmé, mais c’est fondamentalement plus utile qu’un barbouze qui croit pouvoir tout régler avec un flingue et un portable.

Lente, froide, terriblement angoissante par ses silences, Rubicon n’est pas faite pour tout le monde, ne vous caresse pas dans le sens du poil et n’a pas la prétention de s’en cacher. Mais c’est un délice que d’atterrir dans ce milieu prometteur.
La première partie du pilote posait avant tout l’ambiance ; maintenant, pour attaquer le vif du sujet, rendez-vous le 1er août.

Et pour ceux qui manquent cruellement de culture : la fiche Rubicon de SeriesLive.

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4 commentaires

  1. Nakayomi dit :

    Déjà c’est AMC… En plus, vu le pitch, je vois pourquoi je ne me souvenais absolument pas de cette série (ou de l’annonce de cette série)… Donc oui, il y a de forte chance que cette série en reste bloqué au même stade que Mad Men. (Et si « rubicon » n’avait pas été en gras, j’aurai juré que ce fut un mot que je ne connaissais pas et qui s’appliquer à une série dont tu allais parler… -Mais non, Rubicon, c’est finalement le nom d’une rivière italienne qu’on retrouve dans l’expression « traverser le Rubicon » -merci MediaDico-).

    Sinon, bravo, tu m’as convaincu de ne pas y jeter un oeil ! ^_^;

  2. ladyteruki dit :

    Euh, d’ordinaire c’est pas le but du jeu, m’enfin on va dire que j’ai fait gagner du temps à tout le monde. On dit ça ?

  3. Nakayomi dit :

    Et dieu sait l’importance du temps en matière de téléphagie, donc c’est une mission pleinement réussie !

    (Par contre, on devrait pouvoir modifier les commentaires quand on y voit les énormes boulettes qu’on y fait ! Arf)

  4. Sowey dit :

    Plutôt que de s’aliéner une partie de son public potentiel(AMC oblige, déjà mince et relativement exigant) en découragant volontairement par son look et rythme sobres, c’est plutôt en se tournant vers les références du show qu’il faut trouver une explication.

    A savoir toute une batterie de thrillers conspirationnistes des 70’s (Three days of Condor, Parallax View, etc..), et des 60’s (Manchurian Candidate).

    Ce parti pris se reflète également dans une multitude d’éléments volontairement datés ; les rapports humains au sein de l’agence sont relativement sexistes et passéistes (réflexions et comportements vis-à-vis de la nouvelle recrue) et jamais la technologie ne vient au secours de l’intrigue.

    « si on n’avait pas cité le 11 Septembre, j’aurais juré qu’on était sur la fin de la guerre froide »

    Ils avaient déjà des écrans plats à la fin de la guerre froide ?

    En ce qui concerne la référence à Jack Bauer, il faut rappeller qu’il ne travaillent pas pour les mêmes personnes.

    Le CTU est financé par des fonds publics et aux ordres du gouvernement, tandis que l’American Policy Institute est un think tank, qui bien que travaillant en collaboration avec des instances gouvernementales, est un organisme privé.

    Avec ce que cela implique en termes de partialité et d’intérêts obscurs…

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