Un bluff historique

26 octobre 2010 à 11:19

C’est malheureusement toujours un peu comme ça : le buzz augmente sur une série, j’en entends beaucoup de bien lorsqu’elle sort, les reviews positives se bousculent, et, dans la crainte d’être déçue, je reporte le visionnage du pilote aux calendes grecques. Résultat des courses : quand je m’y mets, je suis déjà archi-convaincue que ça ne va pas être si bien que ça, rapport au fait que tout le monde répète depuis plusieurs semaines que c’est bien.
Chais pas si vous suivez l’truc…
Voilà donc la raison pour laquelle je dis et je redis : arrêtez avec votre promo, votre bouche-à-oreilles, vos posts et tweets dithyrambiques, arrêtez, ça ne marche pas si bien que vous le pensez. Pas avec moi en tous cas. En fait, vous obtenez même l’effet inverse de celui recherché. Vraiment, arrêtez.

Donc quand j’ai fini par me lancer Boardwalk Empire, j’en étais une fois de plus là, consciente que tout le monde trouvait que c’était énorme, et splendide, et incroyable, et Dieu sait quoi d’autre, et consciente aussi que lire tout ça, et entendre parler de la série depuis des mois comme une espèce de bruit de fond, comme un acouphène téléphagique, ça n’allait pas vraiment m’aider à être dans de bonnes dispositions, sachant ma vision forcément influencée par tout ça. Certains jours je voudrais juste être coupée du monde pour découvrir de nouvelles séries.

Mais ceci n’est pas un post sur Boardwalk Empire. Pas vraiment. Il viendra plus tard… s’il vient d’ailleurs. Non, je voudrais ici pointer du doigt ce que je pense être la raison de tout ce fol enthousiasme devant la série et son univers qu’on me présente depuis des lustres comme incroyablement superbe, ou superbement incroyable c’est au choix. Loin d’être doté d’une réalisation originale, Boardwalk Empire a surtout une énorme avantage, et c’est celui-ci :

Désormais, le monde téléphagique est changé. Désormais, si une série se pique d’aller se dérouler dans le passé, avec des chapeaux et des belles robes, des femmes bien maquillées et surtout, ah surtout, n’oublions pas les vieilles voitures et les cigarettes, ça y est, elle est marquée du sceau de la réussite.
C’est l’héritage Mad Men.

Ce n’est pas vraiment que nous sommes nostalgiques d’une époque révolue. Pas vraiment. Voulons-nous vraiment d’une société machiste ? Quelques irréductibles zemmouriens, sans doute, mais guère plus. Ce n’est pas de la nostalgie. C’est juste que nous ressentons un grand confort à retourner dans des époques révolues qui s’offriraient à nous dans un luxe de détails parfaitement maîtrisés, des grands évènements historiques à la moindre coupe de cheveux. Nous voulons nous replonger dans une époque qui nous semble, certes, glamour sous un certain angle, grâce au soin infini porté par les stylistes à l’apparence de chaque protagoniste savamment looké, parce qu’elle nous semble rassurante. L’époque est clairement définie par des codes qui lui donnent ses limites, et actuellement, notre époque nous semble tellement floue et insaisissable que nous avons terriblement besoin de connaître les limites du monde.
Le reste n’est que folklore. Nous voulons simplement un monde facile à aborder, et dans lequel nous retrouverions tous les signaux qui nous disent que ce monde est tel qu’il est, sans grande nuance, sans zone grise. Nous voulons nos séries en noir et blanc.

Quand j’étais adolescente, je me suis prise de passion pour la Prohibition. Appelez-ça un transfert si vous voulez. Soudain c’était le monde le plus séduisant possible dans lequel trainer mes rêveries et mon imagination, et je vous fais grâce de toutes les histoires que j’ai alors inventées de façon plus ou moins abouties sur cet univers qui me permettait, oh ironie, d’échapper à ma propre Prohibition.
Mais il y a eu Mad Men. Et il y a maintenant Boardwalk Empire. Et désormais j’ai l’impression que si une série est capable de donner l’impression d’être exacte historiquement (et peu importe qu’elle ne le soit pas), alors elle trouvera son public, elle trouvera le moyen de combler les spectateurs en leur donnant les clés d’un monde ni trop lointain ni trop proche qui les accueillera une heure par semaine.

Faites une série historique, fendez-vous de tous les détails possibles et imaginables pour lui donner un air authentique (réalité historique ou décorateurs et stylistes de génie, vous avez le choix des armes), et vous obtiendrez la promo, le bouche-à-oreilles, les posts et tweets dithyrambiques.

Je suis, définitivement, irrémédiablement, fâchée avec la fiction historique à cet égard. Je n’arrive tout simplement pas à apprécier une série historique simplement parce qu’elle est historique, il me faut bien plus. Peut-être parce que j’aime regarder ce qui se passe dans la zone grise. C’est plus… grisant.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

3 commentaires

  1. Livia dit :

    C’est marrant cette fascination adolescente pour la Prohibition (que j’ai partagé, même si moi c’était plus sous l’angle « crime organisé »). ^_^

    Après, je sais qu’on a une approche complètement différente de l’histoire en générale, et donc par ricochet peut-être, de la série historique en particulier. Mais j’avoue que j’ai un peu de mal à te suivre dans tes raisonnements et la façon dont tu décris finalement le téléspectateur face à de telles fictions.

    Si je saisis bien la manière dont tu conçois la réception du concept de séries historiques parmi le public (et la mode Mad Men, Boardwalk Empire…), par contre, je n’arrive pas à comprendre la conclusion sur « ne pas apprécier une série historique uniquement parce que c’est une série historique »… Je veux dire : Toute série a une problématique propre, des enjeux, des personnages, bref un univers à elle. Après, le cocktail prendra plus ou moins, les enjeux comme les personnages aussi, mais pourquoi donc -et surtout comment?- réduire une série historique à son caractère « historique » ? Ni Mad Men, ni Boardwalk Empire ne se sont une simple reconstitution d’époque. Il y a une histoire travaillée, des thématiques récurrentes, des dialogues ciselées… Si je peux concevoir le fait qu’il y a peut-être plus de mises en scène théâtrales dans une fiction historique – où la tentation peut être plus forte justement de mettre en avant décor & costumes, tout simplement parce qu’il y a une valeur ajoutée supplémentaire à mettre en valeur (mais ça vaut pour d’autres genres : Caprica n’a pas lésiné sur la mise en scène futuriste de la planète)) – comment on peut aimer une série « juste parce qu’elle est historique » ?

    Cette généralisation me dérange un peu, notamment parce qu’il y a mille et une façon de faire une série « historique ». Il n’y a aucune comparaison possible entre Rome et Spartacus si ce n’est un cadre historique de départ. Est-ce que John Adams – qui est une fascination réflexion sur le pouvoir, le politique et la naissance d’une nation – ne serait qu’un assemblage de décors et de costumes ?
    Et si on va un peu plus loin et qu’on traverse l’Atlantique, les anglais ont une réelle tradition télévisée pour les costume dramas, avec pourtant une telle diversité dans l’approche. Adapter une oeuvre littéraire du XIXe ou simplement raconter un quotidien comme le fait Downton Abbey actuellement, ce n’est pas juste offrir un dépaysement et une autre société au téléspectateur.

    En fait, en te lisant, j’ai presque l’impression que le cadre historique confèrerait une légitimité moindre à raconter une histoire.

    A moins que ton angle d’attaque soit plus un reproche qui s’adresse plutôt au public, accusé de céder à des artifices narratifs sous le seul prétexte du contexte historique & à un effet de mode facile ?

    (Oulala, désolée du roman)

  2. ladyteruki dit :

    En fait tu as très bien compris mon problème : si on entend tant d’échos sur les séries, c’est que beaucoup de spectateurs (pas tous évidemment) se laissent bluffer par l’aspect reconstitution, et on tendance à vouer un culte à une série « simplement parce qu’elle est historique », tout justement. C’est vrai que ça m’énerve quand une série me donne l’impression d’en rajouter dans le côté « couleur locale » (parfois ça m’énerve rien qu’à voir le générique), je trouve que c’est un peu trop facile (et parfois j’ai quand même l’impression que ce n’est pas qu’il y ait moins de légitimité à raconter une histoire, mais qu’on s’épargne quand même d’aller trop loin ; citer The Tudors serait sans doute un peu facile de ma part mais tu saisis l’idée). Mais surtout, ce qui m’agace le plus, c’est qu’on soit souvent enclins à s’arrêter à ce côté spectaculaire et que ça suffise pour chanter les louanges d’une série. Boardwalk Empire n’a pas une réalisation originale, mais elle a de jolis costumes et de beaux décors, alors on entend tout un tas de choses et ce dés son pilote.

    …Uniquement par ce qu’elle historique. On s’en satisfait, parce qu’on n’en attend pas tellement plus. Si ça fait authentique alors tout est joué, quelque part, aux yeux du public.

  3. Nakayomi dit :

    Ayant un peu des réactions similaires à force d’entendre parler avec beaucoup de termes élogieux d’une série, je comprends… En général, c’est pas ce qui nous empêche de bassiner à notre tour pour certaines séries mais bon…

    En tout cas, je me sens pas inclus dans ce lot de téléspectateur gaga des séries historiques… Moi ça me fait fuir dans beaucoup de cas, surtout si c’était il n’y a pas que si longtemps que ça (genre Mad Men justement)… Mais bon, de toute manière, je ne crois pas être très fasciné par les costumes et les reconstitutions qui font vrai, dans les séries historiques que j’ai apprécié, c’est pas ça que j’avais envie de mettre en avant… Genre dans Musée Eden, c’est plutôt le cadre particulier du lieu et son côté thriller. Après, qu’on ait pas l’impression de se trimballer au 21ème siècle, c’est bien aussi, mais je pense pas que ça me fasse beaucoup parler. (De toute manière, moi, les costumes de Xena, je trouvais qu’ils faisaient très crédibles, alors bon ! )

    Après, est-ce que j’ai cette sensation de ce cadre qui fascine peut-être plus qu’il ne devrait dans ce que je peux lire ? Peut-être…

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