Ce qui ne nous tue pas

6 février 2011 à 16:13

Il y a des petites phrases que d’autres lancent et dont on se souvient toujours.
Pourtant les mots n’avaient pas d’importance. La plupart du temps, ils ont été prononcés sans y penser. Très franchement, ce sont rarement des phrases conçues pour faire mouche, celles des explications passionnées ou des confessions à cœur ouvert. Celles qui marquent le plus, ce sont les petites phrases d’une banalité à faire peur, lâchées dans le feu de l’action.

On se dispute avec sa mère et on entend soudain : « ton père et moi, on pense que tu es folle ». Et l’engueulade continue, avec des échanges mille fois plus argumentés et/ou élaborés, mais c’est cette phrase-là qui reste. Pour toujours. Ce sont des mots très simples, dans une formulation très simple, et la phrase n’a même pas été prononcée sur un ton particulièrement emphatique, c’est plus une sorte de soupir, le préambule d’une longue liste de reproches… qu’on aura vite oubliés. Mais ces mots-là marquent à jamais, ne s’oublient pas. Pas pour qui les a entendus.
L’ironie suprême c’est que la personne qui les a prononcés y a mis tellement peu d’intention qu’au final, elle ne s’en souvient pas, elle. Pas tant que d’autres choses qu’elle tenait plus à dire, qu’elle tenait à mieux formuler, qu’elle a assénés avec un ton plus maîtrisé et plus convaincu, espérant atteindre son interlocuteur. Et pourtant, ces mots-là ne sont pas restés.

Il y en a des tonnes, des comme ça. Des petites phrases sans grande envergure qu’on n’oserait même pas mettre dans des dialogues de film de série B, des petites phrases débordant de banalité dans leur forme, leur ton, même parfois leur message. « Vous avez de la chance, vous avez une maison. Une vraie maison je veux dire », « tu me dégoûtes, je sais pas pourquoi je t’ai eue », « je me suis demandée s’il t’avait touchée », et plein d’autres. Oh ces phrases banales que je n’oublierai jamais ! Ni comment elles ont été prononcées, ni dans quel lieu, ni quoi que ce soit.

Depuis quelques jours, la phrase de ce genre à laquelle je pense, je peux presque la situer aussi précisément. Presque, parce que ce jour-là, j’étais quand même pleine comme une outre de médicaments. Mais je m’en souviens quand même, parce qu’on n’y peut rien, ces petites phrases vous scarifient, même dans un moment où vous auriez tellement plus important à retenir, comme, je ne sais pas moi, la vie par exemple.
« Tu verras, dans 10 ans, tu en riras ». C’est d’une banalité sans nom. C’est un cliché atroce. C’est même dit sans conviction par la jeune femme rousse à mes côtés, assise dans l’ambulance, et qui me laisse reposer ma tête sur ses genoux à lui, alors que j’ignore pour le moment que c’est une faveur qu’ils me font tous les deux parce que ce n’est pas vraiment le moment idéal pour m’annoncer qu’ils sont ensemble.

On est presque 10 ans plus tard. Soudain cette phrase me revient. Et vous savez quoi ? Je n’en ris toujours pas.

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1 commentaire

  1. Cédric dit :

    Comme je l’avais anticipé : je continue ma lecture en remontant le temps. Toujours autant de plaisir à te lire. Et puis en remontant ainsi, la pensée « cela a-t-il changé depuis l’époque où elle a écrit ça ? » va immanquablement s’inviter de plus en plus régulièrement.

    En tout cas, pour avoir déjà lu quelques billets datant de 2004, je peux te dire que ton écriture n’a pas changé, c’est assez étonnant, la même fluidité déjà en 2004.

    Bref, je ne sais pas quel sort tu m’as jeté mais je ne peux pas m’empêcher de continuer à te lire….

    Au final, je vais en savoir beaucoup sur toi et toi très peu sur moi…( mais si tu veux en savoir un peu plus, tu as mon e-mail )

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