La vie, tout simplement

14 avril 2012 à 17:16

Depuis quelques mois, j’essaye d’être plus rigoureuse dans la planification de mes objectifs téléphagiques. Comme je réagis essentiellement aux coups de tête et aux coups de coeur, il faut parfois une vigilance soutenue pour ne pas bêtement se laisser emporter par une découverte ou une nouveauté qui pourrait me faire mettre de côté certaines séries. Et alors que la saison actuelle est pour moi une corne d’abondance de ravissement, comme j’ai déjà pu vous le dire, il s’agit aussi de ne pas se reposer sur les acquis (notamment avec la tendance que j’ai à revoir certains épisodes ou certaines scènes qui m’ont énormément plu). Bref, d’essayer, dans ma fringale constante et ma tendance à la monomaniaquerie, de trouver le moyen d’être raisonnable.
Et il me semblait déraisonnable de n’avoir pas vraiment donné leur chance à la plupart des séries britanniques récemment. A part Pramface, je n’ai le souvenir d’en avoir tenté aucune de ma propre initiative ; et on m’en a recommandé chaudement plusieurs pour lesquelles j’attendais en quelque sorte le bon moment.

Pour Call the Midwife, le bon moment est venu. Et s’est prolongé sur 6 épisodes incroyablement bons aussi, un bonheur ne venant jamais seul.

Call the Midwife commence avec l’arrivée d’une jeune sage-femme dans le quartier de Poplar, dans l’Est de Londres, peu après la Seconde Guerre Mondiale. Mais le terme de « quartier populaire » ne commence même pas à décrire l’état dans lequel se trouve cet endroit surpeuplé. Si les vêtements et les débris ne nous indiquaient pas que nous sommes dans l’après-guerre, on croirait que la série se déroule au début du siècle : la pauvreté est partout, dans le monde ouvrier de Poplar, entassée dans des bâtiments délabrés dont les cours et les rues sont baignées par la brume du port voisin.

La formule de la jeune recrue qui arrive, innocente et encore pleine d’illusions, est un grand classique des pilotes, et la voix-off est un autre procédé sur-utilisé de nos jours ; mais étrangement cela fonctionne très bien dans ce contexte. On a sans doute un peu besoin, nous aussi, d’apprendre à nous familiariser avec Poplar, et d’ailleurs je confesse une ignorance absolue quant à l’état du Londres d’après-guerre. Le portrait qui est fait de l’endroit est à vrai dire saisissant. En fait, on aimerait y passer plus de temps, et parfois même (sacrilège !) sacrifier quelques unes des minutes accordées à d’autres angles pour mieux comprendre l’histoire de nombreux habitants de Poplar. Évidemment, Call the Midwife n’est pas là pour nous parler des traumatismes de la guerre ou de l’après-guerre, mais pour nous parler de sage-femmes et donc de femmes enceintes, de bébés, de pères… cependant certains aspects de la vie de tout ce petit monde m’étaient tellement inconnus que j’aurais aimé en savoir plus. Les workhouses, notamment, évoquées à plusieurs reprises, ont piqué ma curiosité sans vraiment la rassasier ; tout ça va finir sur Google, à n’en pas douter, mais il n’empêche, j’aurais apprécié que la série explore plus ces sujets.

La raison en est simple : si les premiers épisodes (notamment en répétant dans le deuxième épisodes la formule du « nouvelle arrivant ») trouvent un juste équilibre entre les cas médicaux/sociaux rencontrés et la vie des infirmières, la série prend progressivement la fâcheuse habitude de passer de plus en plus du temps dans la vie privée de ses héroïnes, ce qui forcément rogne un peu sur le reste. C’est le seul blâme que j’aurai à adresser à Call the Midwife : s’attacher à ses protagonistes principales au point d’en oublier parfois sa vocation première.
Pour autant, il est des personnages dont on a du mal à ne pas dire du bien de bout en bout, même quand la série s’attarde un peu trop dans leur vie privée. Camilla, alias Chummy, en est le plus frappant exemple. Portée par une Miranda Hart qui trouve le moyen à la fois d’être totalement fidèle à elle-même et de se transcender, la sage-femme Chummy est émouvante, drôle, et capable d’une évolution incroyable pour un personnage qui n’est présent que pendant 5 épisodes (sur une saison qui n’en compte que 6). Le mérite en revient autant à l’écriture qu’à l’interprétation, mais le travail conjoint des deux fait de Chummy un héroïne cent fois plus attachante que ne peut l’être Jenny Lee, pourtant narratrice.

Mais si j’ai l’air de médire çà et là, ne croyez pas que je sois déçue. En réalité, j’avais envie que Call the Midwife parle plus des cas rencontrés et de la vie à Poplar, tout simplement parce que quand la série le fait, c’est avec le plus magistral brio. Dans ce quartier où la population semble livrée à la pauvreté, la maladie et la crasse, on a l’impression d’être à la croisée de deux mondes : la première moitié du siècle, consacrée aux guerres, se termine, et le progrès peut reprendre. La médecine et la couverture sociale apportent énormément à de tels endroits, et on assiste aux balbutiements de leurs bénéfices pour les plus démunis. La série va, en de nombreuses reprises, attirer notre attention sur le paradoxe de l’exercice des professions médicales à Poplar : on y manque de moyens, mais on y fait résolument de grands progrès tout de même dans le soin apporté notamment aux femmes.
Ainsi Call the Midwife va nous parler aussi bien de l’amélioration des chances de survie des prématurés, des débuts de la contraception, ou encore d’avortement, mais sans jamais en faire de la matière à une démonstration ou l’objet d’une quelconque revendication.
Comme les nonnes de Poplar, Call the Midwife se garde bien au contraire de porter le moindre jugement. C’est d’ailleurs incroyablement reposant. Les histoires ne se finissent pas toujours bien : on fait avec ce qu’on a. Et on n’a pas grand’chose. Mais qu’elles se finissent dans le bonheur ou la tragédie, on y trouve toujours quelque chose de profondément humain. Il faut dire qu’on garde en permanence à l’esprit (peut-être de par les uniformes et les décors, sans doute aussi à cause des chants) qu’on est dans un contexte très religieux. Mais religieux dans le « bon » sens du terme, dans son expression quotidienne ; il n’y a aucune forme de prosélytisme dans cette série. Pour l’athée que je suis, c’est probablement la religion la plus agréable à la télévision : celle qui ne s’invite pas de votre côté de l’écran, mais qui offre un contexte, un mode de vie et de pensée, qui apportent une sorte de beauté paisible à la série.

Dans cette atmosphère parfaitement sereine, les séquences médicales, principalement les accouchements, deviennent presque choquants. On dit souvent que quand un homme en voit un autre se prendre un coup dans les parties, il a immédiatement l’impression de partager sa douleur ; je crois que j’ai ressenti quelque chose de similaire pendant les accouchements de Call the Midwife. Sans être très graphiques (bien que plus que la plupart des fictions dans lesquelles j’ai pu assister à un accouchement ; le juste milieu est trouvé avec une précision incroyable), ces scènes parviennent à retranscrire à la fois la difficulté de l’exercice pour la sage-femme, et la douleur de la patiente.

Il y a quelque chose de parfaitement sincère et humble dans Call the Midwife, quelque chose qui relève de l’excellente narration mais aussi de l’infinie tendresse un peu contemplative qu’ont certaines séries pour les simples choses de la vie ; ou quand prendre le temps de parler d’Histoire à travers une multitude d’histoires anonymes devient un art.
C’est une qualité qu’on ne retrouve totalement, d’après mon expérience, que dans les fictions de deux pays : la Grande-Bretagne et le Japon. Il doit y avoir quelque secret, caché sur le sol de ces deux pays îliens, qui leur donne le don de rendre le quotidien tellement palpable et télégénique. Dans l’attention portée aux histoires, dans l’affection palpable aux protagonistes, dans le sens aiguisé du détail, dans le choix des musiques ou dans les dialogues, se loge une qualité qu’on ne retrouve que dans des séries britanniques et des dorama. Entre The Café et Shinya Shokudou, il y a la moitié d’une planète, et pourtant une parenté énorme, partagée par Call the Midwife.

Et du coup chaque épisode est l’occasion d’une émotion permanente. Chaque instant est à la fois simple, réaliste, et en même temps terriblement touchant ; parfois parce que c’est triste, parfois parce que c’est joyeux, très souvent parce que c’est quelque chose entre les deux. J’ai passé quasiment chaque minute avec les larmes aux yeux ou roulant sur mes joues, il était impossible de faire autrement et je n’ai même pas eu envie de les refouler.

On regarde Call the Midwife comme on écoute sa grand’mère raconter des anecdotes : les coudes posés sur les genoux, le visage lové dans le creux des mains, les yeux rivés à l’écran et avec un petit sourire fasciné. Et les pommettes humides, donc.

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2 commentaires

  1. Toeman dit :

    J’ai versé une larme pour la naissance d’un porcelet !

    Je crois que ça résume bien tout l’effet qu’a eu cette série sur moi. Comme tu le dis, on est touchés sans arrêt, parfois c’est triste, parfois c’est le contraire, mais bon sang ce que c’est émouvant. Et je dois dire que ça fait un bien fou.

    Et Chummy, oh Chummy, mon personnagé préféré.

    C’était trop bref, l’attente sera trop longue, vivement la saison 2.

  2. watcher dit :

    Eh bien pressée de découvrir ça alors ! (merci pour la review sans spoiler)

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