B.A.BA

21 septembre 2012 à 16:45

Bon, comme on est un peu rouillés dans le coin, je vous propose de mettre les choses à plat. Jusque là, j’avais très peu écrit sur la vie en cabinet ; or, les cabinets ministériels, c’est un monde un peu à part, et mon rôle justement est d’essayer de vous en montrer les coulisses. Alors quoi de mieux qu’une petite révision des bases à connaître pour comprendre de quoi on cause ?

Alors, à quoi ressemble un cabinet ?
STOOOP ! Je vous arrête tout de suite, la blague sur les cabinets, ahahah en fait tu travailles au chiottes… ça va, on me l’a faite cent fois. JE l’ai faite cent fois ! Quand on arrive en cabinet il y a plein de termes qu’on utilise et qui ne veulent pas tout-à-fait dire la même chose qu’ailleurs. Le cabinet est en un (c’est marrant, d’ailleurs, hors-contexte genre au téléphone dans la rue, de dire « punaise j’ai passé la journée au cabinet, mais je me suis fait chier mais d’une force…! »), on en verra sans doute d’autres.

En tous cas, commençons par un bref récapitulatif de la faune qui peuple ce monde curieux des cabinets.

– Le ministre :
Ou la ministre si c’est une femme. Ou parfois le ministre si c’est une femme parce que certaines femmes préfèrent qu’on dise le ministre. C’est très compliqué. Accessoirement, quand on s’adresse à un ministre on dit « Monsieur le ministre » (avec variantes chiantes « Madame la ministre »/ »Madame le ministre »…), quand on s’adresse à un ministre délégué aussi d’ailleurs, et pour un Secrétaire d’Etat (ce qui existait dans le Gouvernement précédent)… eh bien, aussi. Jamais, JA-MAIS dire « Bonjour Monsieur le Secrétaire d’Etat », c’est un coup à lui blesser son petit ego fragile, malheureux !
Le ministre (la, le, enfin bref) est au sommet de la chaîne alimentaire dans son cabinet. Et il le sait, l’animal. Il en profite parce qu’une fois assis au Conseil des ministres le mercredi, il redécouvre tout un tas de choses moins drôles, dont l’ordre protocolaire. L’ordre protocolaire, c’est celui qui est établi dans la liste qu’on trouve ici, et qui dit que, tout ministre superpuissant que tu sois dans ton cabinet, si tu es chargé(e) des Français de l’étranger, tu es tout en bas de la chaîne alimentaire. C’est très mal vécu par certains (re: ego fragile), et ce serait mentir que de prétendre que les ministres n’y prennent pas un peu garde lorsque parait l’organigramme officiel. Mais au cabinet, le ministre règne en maître, et c’est déjà pas si mal.
Chances de croiser le ministre pour lady : environ une fois par mois, et encore, par erreur, dans un couloir, si possible pendant qu’on était en train de sortir une blague salace à un collègue. Sinon, au minimum, on peut le voir prononcer son petit discours pour le pot des fêtes de fin d’années ; pour les autres pots/célébrations divers, ça dépend de la jovialité de la bête. Le ministre appelle rarement le secrétariat d’un de ses conseillers, parce qu’il a les numéros directs, lui, nan mais. On va pas converser avec la populace, non plus.

– Le directeur du cabinet :
Le DirCab, comme on l’appelle, a tendance à être une personne d’une intelligence aiguë, ce qui l’oblige à rester cloitré dans son bureau à éplucher les dossiers adressés au ministre, un par un. Le DirCab assiste à tout un tas de réunion au nom du ministre (notamment les fameuses « réunions interministérielles », ou RIM), et organise hebdomadairement ce qu’on appelle une réunion de cabinet, sur laquelle on reviendra un autre jour.
Généralement (mais pas systématiquement), il est assisté par un directeur adjoint du cabinet (DirCab adjoint, donc), tout aussi intelligent que lui voir plus. Parfois même il y a plusieurs DirCab adjoints, mais là attention, c’est Byzance.
Les DirCab et leurs adjoints ont des profils très variés. Ils ont en tous cas un accès direct au ministre.
Chances de croiser le DirCab ou son adjoint pour lady : variable selon l’animal. Certains semblent ne fait des apparitions que pour le pot des fêtes de fin d’année, d’autres circulent dans les couloirs régulièrement ; on murmure que certains resteraient recroquevillés sous le bureau toute la journée, se balançant doucement en espérant que les dossiers cessent de s’empiler.

– Le chef de cabinet :
Le ChefCab, donc. Qui a parfois un adjoint, qui devinez quoi, se nomme alors le ChefCab adjoint. Punaise on apprend plein de trucs aujourd’hui.
Autant le DirCab est chargé des questions de fond, autant le ChefCab et son équipe gèrent plutôt les questions pratiques : déplacements du ministre, recrutement de collaborateurs, interface avec la paie, fournitures… certains ChefCab font aussi les frites mais c’est en option. Cependant, comme le ChefCab est, en résumé, chargé de rendre la vie du ministre un chouilla plus respirable, il est aussi la grande barrière entre le ministre et le reste du cabinet. Un dossier à faire passer au ministre ? Ca passe par le ChefCab, par exemple. Il se dit que certains ChefCab sont plus attentifs à la couleur de la chemise du dossier, et à la position des étiquettes autocollantes, qu’à son contenu, mais n’en croyez rien ; des médisances, sûrement.
Chances de croiser le ChefCab ou son adjoint pour lady : quotidiennes. Si vous n’avez pas vu le ChefCab aujourd’hui, ni même eu au téléphone, c’est qu’il y a un problème. Quelqu’un va sans doute mourir. Vous, probablement. Oooh oui.

Petite note : absolument, on dit « directeur DU cabinet » et « chef DE cabinet ». Aucune idée de pourquoi mais c’est comme ça. Je vous sens bien avancés.

– Le conseiller spécial / auprès du ministre :
Typiquement, un ami du ministre, probablement le parrain de son premier-né, d’ailleurs, qui a obtenu un poste de conseiller mais qui n’allait quand même pas se mêler au peuple. Donc, « spécial ». Ou « auprès du ministre ». Et quand, fait rarissime, un même cabinet comporte un « spécial » et un « auprès du ministre », l’organigramme est rigoureusement clair sur qui-qui-a-la-plus-grosse, n’en doutez pas.
En-dehors de ça, le conseiller spécial ou auprès du ministre est un peu le premier de la classe, il sert de DirCab bis, il est en charge de tous les dossiers intéressants, ou au contraire il a récupéré une mission super précise parce que rien d’autre ne l’intéressait, enfin bref, il a un rôle totalement sur mesure, et c’est un peu le foutoir.
A contrario, le conseiller spécial ou auprès du ministre peut aussi être un mec qu’on a casé là, parce qu’au parti on l’aime bien ou qu’il a plu à quelqu’un d’encore plus haut placé (comprenez : Premier ministre ou Président), et qu’on n’allait quand même pas le laisser au chômage alors que France 2 ne diffuse même plus Pyramide.
Chances de croiser le conseiller spécial ou auprès du ministre pour lady : proches de zéro. Parfois moins encore que le ministre, parce que l’emploi du temps d’un conseiller spécial peut être, selon le cas, très… élastique.

– Le conseiller :
Voilà bien une appellation qui veut tout et rien dire. Des conseillers, il y en a plein en cabinet. En fait c’est souvent l’espèce la moins menacée d’extinction, même en dépit des quotas, car des conseillers eh bien, il en faut, et dans plein de domaines. Par exemple il faut un conseiller parlementaire, qui puisse gérer les relations avec l’Assemblée nationale et le Sénat, et « vendre » un projet de loi quand il y en a un. Il faut aussi un conseiller presse/communication parce que, eh bien, les communiqués de presse ne vont pas se rédiger tous seuls. Bon, ça c’est la base, tous les cabinets ont ce genre de conseiller.
Et puis il y a les conseillers plus spécialisés, selon le domaine de compétence du ministère. Par exemple à Bercy, des conseillers chargés d’affaires budgétaires, mettons. Ou des conseillers chargés du développement durable à l’Ecologie. Ou bien des conseillers chargés de relations internationales, au Quai d’Orsay ou bien chez les anciens combattants. Bref, des mecs qui connaissent le sujet, parfois de façon très précise (Conseiller en charge de l’économie des petites et moyennes entreprises savoyardes, mais si, c’est très utile quand on veut réformer les… euh… ouais). Souvent ils ont lentement monté les échelons du ministère pour en arriver là (le conseiller est d’ailleurs souvent un fonctionnaire, c’est plus aléatoire pour ses supérieurs). Le conseiller a parfois la responsabilité d’un « pôle » autour de son domaine, dans lequel travaillent des conseillers techniques et des chargés de mission (mais on y revient dans un instant). Ou bien il travaille en solo et dans ce cas-là il a moins de chances de partager son bureau, ce qui a aussi ses avantages. Dans tous les cas, le conseiller répond au DirCab, mais doit quand même souvent affronter le cerbère de ChefCab pour atteindre le ministre.
Chances de croiser le conseiller pour lady : bah, mes conseillers à moi, je les croise tous les jours, si vous voulez. Les conseillers des autres, beaucoup, beaucoup moins, par contre. Voire parfois pas du tout. Exemple, dans un couloir : « Bonjour Monsieur ! …Eh, c’est qui le type qu’on vient de croiser ? Ah il est conseiller ici ? Oh, ok ».

– Le conseiller technique :
Le mec qui aurait pu être conseiller mais qui n’avait pas assez de galon au ministère, ou pas assez la grande gueule pour se vendre, ou ptet pas assez de piston mais vous ne le tenez pas de moi, et qui travaille sur un sujet précis (Conseiller technique en charge de l’économie des petites et moyennes entreprises savoyardes entre 1991 et 1997, par exemple). En général, lui, son patron, c’est le conseiller, mais selon les cabinets, parfois il est traité à pied d’égalité avec un conseiller, et dans ce cas il s’en réfère directement au DirCab. Ah ah ah, la bonne blague, un conseiller technique qu’on traiterait comme un conseiller, putain chuis impayable moi.
Chances de croiser le conseiller technique pour lady : les mêmes que pour le conseiller.

Note : généralement, la plupart des organigrammes de cabinet publiés officiellement s’arrêtent ici.

– Le chargé de mission :
Parmi les « membres de cabinet » (c’est-à-dire les gens qui comptent au cabinet, comprenez tout le monde sauf les secrétaires), il est généralement au bas de l’échelle. Toutefois, selon l’endroit, il peut être traité comme un conseiller… ou un simple stagiaire. En fait, le titre est un peu fourre-tout, c’est un véritable bonheur, à plus forte raison parce que, contrairement à tous ceux qu’on a cités précédemment, le chargé de mission n’a pas besoin d’être officiellement nommé avec un arrêté au Journal Officiel. Ce qui fait que des chargés de mission, un cabinet peut en avoir 712 et se moucher avec, c’est open bar. A partir de là, selon l’envergure de la personne, son dossier (et l’importance dudit dossier), l’ambiance du cabinet, le réseau, le sens du vent, l’âge du capitaine et le nombre de barreaux de chaise, le chargé de mission peut être aussi prestigieux qu’un conseiller spécial, parfois ! On a déjà vu des mecs être nommés chargé de mission pour ne pas apparaitre dans l’organigramme officiel, et en fait être méchamment copains avec des personnes haut placées. C’est vraiment le bazar, les chargés de mission. Ya pas de règle en fait.
Chances de croiser le chargé de mission pour lady : les mêmes que pour le conseiller.

Vous pensez qu’on a fini ? Pas tout-à-fait. Car il faut savoir qu’à chaque échelon, tout ce petit monde a un secrétariat. Pour le ministre, c’est le « secrétariat particulier » (ou SP) ; pour le DirCab (et souvent, le DirCab adjoint qui fait secrétariat commun), c’est le secrétariat de direction ; pour le ChefCab et souvent son adjoint, c’est la Chefferie ; et ensuite viennent les secrétariats de conseillers spéciaux/auprès du ministre/tout court/techniques et des chargés de mission. Quand il y a un pôle thématique, comme, disons, le pôle parlementaire, il n’y a évidemment pas un secrétariat pour chaque personne, mais un secrétariat commun pour le conseiller, les conseillers techniques et les chargés de mission. Faut quand même pas déconner, eh, on va pas dépenser vos impôts en payant des secrétaires ! Déjà qu’on paye 712 conseillers, on sait être raisonnables, quand même.

Donc voilà, vous savez à peu près tout sur l’organisation d’un cabinet.
Evidemment j’en ai laissé un peu de côté à des fins de simplification (un cabinet, c’est aussi des chauffeurs pour les voitures des ministre, DirCab et ChefCab ; un officier de sécurité pour le ministre ; du personnel de cuisine ; des huissiers, tiens bah en voilà un autre de terme qui a un sens différent en cabinet ; etc…). Mais enfin, bon, grosso-modo, voilà le monde dans lequel j’évolue.

Maintenant qu’on a tous les bases pour comprendre de quoi on cause, on pourra discuter plus facilement.
J’en profite pour vous rappeler que je prends les questions d’ordre général, pourvu de n’avoir pas à expliquer où je travaille ni avec qui. Donc je vous écoute s’il y a des points qui nécessitent une clarification, je suis à votre disposition !

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4 commentaires

  1. Toeman dit :

    « Chances de croiser le ministre pour lady : environ une fois par mois, et encore, par erreur, dans un couloir, si possible pendant qu’on était en train de sortir une blague salace à un collègue »

    Punaise, que j’ai ri !
    J’imagine parfaitement la scène XD

  2. capecodmiss dit :

    Tite question un peu technique: les secrétaires en cabinet sont fonctionnaires dépendant de quel Ministère? ou de l’Administration Centrale?
    ou c’est un recrutement différent?

    sinon c’est assez drôle, j’ai l’impression de découvrir tout ça à travers les yeux d’Une Donna Moss Française! (oui oui c’est un compliment)!

  3. ladyteruki dit :

    @Toeman : hélas, on sent aussi le vécu dans cette phrase u_u;

    @capecodmiss: en cabinet, les secrétaires qui sont fonctionnaires (elles ne le sont pas toutes) viennent généralement du ministère lui-même. Le cabinet du ministère de l’Education Nationale, mettons, recrute en priorité comme assistantes des fonctionnaires de l’Education Nationale.
    Ça c’est en théorie. Dans la pratique, c’est plus compliqué car en réalité, les secrétaires de cabinet ont tout un tas d’opportunités de passer d’un ministère à un autre. Certains conseillers arrivent par exemple avec leur propre secrétaire qu’ils ont rencontrée dans un cabinet précédent ; ou bien une secrétaire qui ne trouvait pas de poste qui lui convienne dans son ministère d’origine est venue postuler dans un cabinet n’ayant rien à voir. Moi par exemple, j’ai passé mon concours dans le ministçre A, et je n’y ai travaillé que 5 mois sur toute ma carrière ! Une fois c’est un conseiller qui m’a fait venir avec lui, une autre c’est une ancienne collègue qui m’a dit qu’un poste se libérait dans son cabinet, etc…
    Par contre, je me permets de clarifier ta question sur l’Administration centrale (ou AC). Ce n’est pas un recrutement central de fonctionnaires, commun à tous les ministères, hein ; je ne sais pas si la précision est utile mais la formulation de ta question me laissait penser qu’il y avait incompréhension. Un fonctionnaire est TOUJOURS recruté par un ministère spécifique. Ce qu’on appelle l’AC c’est en fait, pour un ministère, là où sont les directions du ministère (par opposition aux services déconcentrés).
    Il est d’ailleurs relativement rare qu’une assistante ait bossé en AC avant d’arriver au cabinet. Les deux milieux sont assez imperméables, ce n’est pas du tout le même fonctionnement. Quand une secrétaire de cabinet part en AC, c’est un peu l’équivalent du cimetière des éléphants, c’est qu’elle veut mettre la pédale douce sur les horaires (soit parce qu’elle veut avoir des enfants, soit parce qu’elle approche de la retraite…). A l’inverse, une secrétaire d’AC qui devient assistante en cabinet, c’est assez rare, car c’est un monde qui fonctionne plus ou moins en circuit fermé et qui, quand il s’ouvre, a tendance à s’ouvrir sur des assistantes non-fonctionnaires.
    C’est assez technique et vaste comme sujet, désolée de ne pas pouvoir faire plus court !
    PS : mais moi j’ai pas de Josh u_u

  4. capecodmiss dit :

    Ne t’inquiète pas j’aime les réponses longues! cela permet de la précision! merci pour toutes ces clarifications en tout cas!

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