Soapesque (adj.)

2 décembre 2012 à 20:59

Soapesque-580

Bon alors c’est peut-être du fait de mon état de santé qui n’est pas génial, je ne sais pas ; mais je me suis rendue compte d’une chose : je ne sais plus quelle est la différence entre une série dramatique et un soap.

Ah, ne riez pas dans le fond : il n’y a pas que moi. ABC a de gros problèmes avec le concept également.
A vrai dire, ce sont justement ses séries qui ont suscité une interrogation chez moi, lorsque j’ai essayé de décrire Nashville à un tiers. Puis 666 Park Avenue. Puis Revenge. Puis… Et à chaque fois, l’adjectif « soapesque » revenait dans mon explication, suivi d’un « mais c’est pas un soap comme Les Feux de l’Amour, hein, non : c’est plutôt… comme un primetime soap ». Ouhlà, attendez ! Mais en fait, toutes les séries d’une heure d’ABC sont soapesques, non ?
Non, et Dieu soit loué pour Last Resort. Mais quand même.

Il faut dire que la définition de soap opera est assez élastique par les temps qui courent, de toute façon.
Il y a encore quelques années, pour moi, un soap se définissait très clairement : c’était une série diffusée en quotidienne, aux intrigues extrêmement lentes et aux techniques narratives paresseuses, dotées de retournements de situation exagérés à intervalles réguliers (un jumeau maléfique, des personnages qu’on croyait morts qui réapparaissent, des bébés volés/échangés, etc.). Et ce, sur des années et des années et des années, jusqu’à ce que mort s’en suive.
Mais voilà : entretemps, la telenovela est entrée dans mon univers. en tous cas au moins sur le papier ; rapport au fait que je n’ai pas encore eu la possibilité de suivre une telenovela dont le sujet pique ma curiosité. Et une telenovela, eh bien, c’est une série en CDD, et ça, ça heurte un peu la vision que nous avons du soap, que ce soit aux USA ou en Europe.
Le problème de la telenovela, c’est son succès. En soi c’est bien, hein, tant mieux que des formats de fictions trouvent un souffle qui incitent les télévisions de la planète à adopter de nouveaux standards de durée ou de périodicité, je suis la première convaincue que la télévision, c’est quand même mieux quand on regarde ce qui se fait ailleurs ! Mais des séries comme Desperate Housewives, par exemple, sont typiquement des séries dramatiques qui lorgnent méchamment sur la copie des voisins, et relèvent en fait plus du soap sur pas mal d’aspect. En-dehors de la diffusion hebdomadaire, et sans doute aussi du budget, tout y est : c’est du primetime soap, clairement. Une fois par semaine, avec le savoir-faire des séries dramatiques américaines, un soap quand même.

Evidemment, la télévision américaine n’a pas attendu Desperate Housewives pour connaître le primetime soap. Des séries comme Dallas, Beverly Hills ou encore Melrose Place, pour n’en citer qu’une poignée, ont été qualifiées de primetime soap en leur temps sans que cela ne choque qui que ce soit. Pas même moi. Et s’en sont tirées avec un succès public incontestable, et, dans une certaine mesure, un certain succès critique, au sens où ces séries ont marqué leur époque, chacune à sa façon.

Cependant le terme de primetime soap semble toujours très négativement connoté. L’utiliser, c’est comme caractériser une série de qualificatifs pas franchement recommandables, sauf qu’en disant primetime soap, on peut le dire à mots couverts.
Par exemple j’attendais pas mal de choses de Desperate Housewives quand elle a commencé ; j’avais regardé la première saison de façon très régulière, en espérant que sa corrosivité irait croissant ; c’est l’inverse qui s’est passé et c’est la raison pour laquelle la série est devenue un primetime soap plus qu’une série dramatique. Un qualificatif assumé de façon très variée par les spectateurs qui ont poursuivi la série bien longtemps après que je me sois arrêtée. L’an dernier, j’ai décidé de regarder l’épisode final de la série, et il était clair pour moi qu’elle n’en méritait pourtant nul autre. Desperate Housewives n’était pas une série dramatique : c’était un soap hebdomadaire, diffusé en primetime (jusque là j’ai bon) dont le caractère over the top des situations n’avait plus rien d’impertinent.

Mais désormais, la définition semble encore élargie. Ce n’est pas simplement l’absence de second degré qui semble permette d’appeler une série un primetime soap. Certes, Revenge est extrêmement dépourvue d’humour, mais ce n’est clairement pas à ce défaut qu’elle doit sa parenté avec les soaps, mais plutôt à sa thématique de la vengeance, à son héroïne féminine, et à sa claire inspiration de formules venues des telenovelas. Peut-être aussi au jeu des acteurs, ou au moins à leur direction.

Voyons ailleurs ce qui se passe. Par exemple, Grey’s Anatomy, en se concentrant tant sur les amours de ses personnages que son caractère médical semble passer totalement inaperçu, est clairement un primetime soap, non ? Et pourtant, objectivement, Urgences aussi était truffé d’intrigues personnelles : quelle est la nuance qui empêche de qualifier Urgences de primetime soap ? Et si, dans certains articles ou ouvrages, un auteur/analyste/vendeur de barbapapa quelconque décide d’utiliser ce terme, pourquoi cela me choque-t-il un peu, au point de quasiment le voir comme une insulte ?
Plus flou que celui de Grey’s Anatomy est le statut de Nashville. De par la qualité du jeu de nombreux acteurs (je me repasse de temps à autres la scène pendant laquelle Rayna est interrogée en vue de la campagne de son mari, c’était d’une force incroyable), de par l’écriture qui n’a pas grand’chose à voir avec des intrigues à rallonge de mon point de vue, et de par l’impression de consistance et de sérieux qui émane, il me semble, de la façon dont son monde est construit, Nashville n’est pas vraiment un primetime soap selon ce qui me semble être la définition du « genre ». Pourtant, difficile de ne pas parler de tournure soapesque dans les amours de l’une des stars ou les liens familiaux et financiers de l’autre ; mais n’est-ce pas un glissement de sens ?
A ce tarif-là, des séries comme Brothers & Sisters puis Parenthood sont-elles des primetime soaps ? Il m’est arrivé de le lire. Je trouve pourtant la chose plus difficile à admettre encore que pour Nashville. Le fait que les personnages forment une famille en proie à un certain nombre de retournements de situation (notamment la thématique de la demi-soeur cachée qui a lancé la première saison de Brothers & Sisters, et effectué plusieurs rebonds ensuite ; d’ailleurs j’ai jamais vu la fin de cette série, mais bon, pas le moment de se mettre des idées d’intégrale en tête).
Mais plus intrigant encore : pourquoi m’acharner à utiliser l’adjectif « soapesque » et/ou d’appeler primetime soap une série comme 666 Park Avenue ? C’est clairement une série fantastique ! Le simple fait que son héroïne (outre le fait d’être une jolie femme) vive dans un univers un peu plus luxueux que la moyenne et que des « méchants riches » occupent des rôles importants suffit-il à décrocher ce qualificatif ? Est-ce parce qu’on effleure la vie de plusieurs autres résidents de l’immeuble ? Ca semble un peu réducteur ! Et pourtant, j’aurais tellement de mal à dire que c’est simplement une série fantastique (et pas juste parce que je pourrais faire un jeu de mots sur « fantastique »).

Au final, il me semble de plus en plus difficile d’établir clairement où est la ligne de démarcation entre une série dramatique et un primetime soap, à plus forte raison sur les networks où les intrigues dramatiques ont tendance à n’être pas aussi incroyablement sombres que sur le câble (qui irait dire que Breaking Bad est un primetime soap ? quoique, je me demande s’il est déjà arrivé à quelqu’un de parler de soap pour Mad Men ou Game of Thrones, à ce tarif-là).
Et surtout, accepter ce qualificatif est-il une façon de d’admettre que la série est inférieure à une série dramatique normale ? Sinon, comment surmonter ce réflexe ?
L’existence du primetime soap me semble difficile à nier, et pourtant, elle est aussi difficile à expliquer. La lecture de la définition de Wikipedia, en préambule de ma réflexion pour ce post, ne m’a par exemple pas du tout aidée, alors qu’on imagine qu’a priori, elle fait consensus…

Sans la fascination actuelle d’ABC pour tout ce qui ressemble à 1) un format facile à exporter en telenovela 2) une telenovela facile à adapter pour le primetime américain, peut-être que mes repères ne seraient pas autant brouillés. Peut-être que je serais capable de reconnaître un primetime soap aussi sûrement que je suis capable de faire la différence entre une comédie et un drama, ou entre un western et une série policière… Mais ce n’est qu’une supposition.

D’ailleurs, le primetime soap est-il un genre, au sens du contenu, ou une structure ? Son nom semble essentiellement indiquer une case de diffusion, et pas vraiment expliciter le reste de sa condition. La fusion des genres, oui… Mais un genre bâtard issu du néant, non. Plus j’essaye de définir ce qu’est un primetime soap, plus j’ai l’impression qu’il s’agit d’une étiquette qu’on peut coller et décoller selon l’image que renvoie une série, mais qui n’a en réalité que peu à voir avec ses sujets ou sa formule. C’est une grande valise fourre-tout qui sert peut-être surtout à décrédibiliser une série qu’on ne peut/veut pas décrire comme suffisamment « sérieuse »…
Quand j’ai utilisé l’adjectif soapesque pour Nashville, je l’ai tout de suite regretté, parce que ça ne donnait pas une image attrayante de la série à mon interlocuteur qui ne la connaissait pas. La question que j’aurais dû me poser, c’est : pour quelle autre raison l’utiliser ? Qu’est-ce que le terme « primetime soap » décrit d’autre, finalement ?

Il y a probablement une part de fierté personnelle à dire qu’on ne regarde pas de primetime soap quand on est un téléphage un rien exigeant, ni à en recommander spontanément. Mais d’un autre côté j’avoue sans un soupçon de honte regarder des séries comme Happily Divorced, alors…
Le cas du primetime soap me laisse décidément perplexe… Je prends tous les points de vue que vous voudrez bien me livrer sur le sujet.

par

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2 commentaires

  1. juju dit :

    Article intéressant ! Je me suis déjà fait la même réflexion. Moi je pense que la différence entre un primetime soap et un drama est le réalisme des personnages et de certaines intrigues.

    Par exemple, GA met énormément en avant les histoires de cœur/de famille (parfois bien tirés par les cheveux) dans l’hôpital. Il y a aussi les gros drames qui s’enchainent très rapidement (accident de fou, prises d’otages, etc.). Bref, c’est loin d’être réaliste. Urgence raconte un peu la même chose mais pas du tout dosé et rythmé de la même façon. C’est beaucoup plus réaliste (et donc moins soapesque). Après, je pense aussi que les acteurs et la réalisation ont leur rôle.

  2. JainaXF dit :

    C’est vrai qu’on emploie le terme pour pour un peu tout et n’importe quoi, mais toujours de manière négative…

    Je suis assez d’accord avec juju, pour moi le soap, c’est d’abord les intrigues over the top !
    D’ailleurs, des séries dramatiques peuvent tendre vers le soap au fur et à mesure des saisons…Par exemple, j’ai arrêté Guilmore Girls le jour où l’intrigue sur la fille cachée d’un protagoniste est apparue !

    Évidemment, le niveau des acteurs et le budget peuvent renforcer l’impression de soap ou au contraire redorer son blason…

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