Jour sans fin et voie sans issue

6 février 2013 à 23:58

En tant que téléphages, nous sommes habitués à considérer qu’il est impératif qu’il arrive quelque chose aux personnages des séries que nous regardons ; assez peu de place est faite, à bien y réfléchir, à de simples chroniques, et moins encore à des oeuvres purement contemplatives. Les séries où il « ne se passe rien », ou si peu, sont pourtant, sur un plan dramatique et/ou esthétiques, très réussies, encore faut-il avoir la patience de les suivre. C’est presque, d’ailleurs, un défi, que de trouver cette patience, tant nous sommes conditionnés à attendre du rythme, des retournements de situation, du grand spectacle narratif ; et pourtant, la récompense est immense si on prend le temps de simplement observer des personnages dans leur milieu naturel.
Une fois de temps en temps, ces séries-là font un bien fou ; c’est la raison pour laquelle j’avais, d’ailleurs, adoré The Café, son goût pour l’observation des gens et des choses simples, son rythme très lent et sa photographie apaisante. Je ne m’en remets pas que la sortie du DVD passe son temps à être reculée, d’ailleurs, elle était quand même supposée sortir initialement en même temps que celui de Threesome, et je n’en peux plus d’attendre la saison 2 ; ça sent mauvais ou c’est une impression ?

Demain, la chaîne Eurochannel diffusera le premier épisode de la mini-série anthologique Prosperity, un ovni en quatre parties diffusé en 2007, largement salué dans son pays natal, l’Irlande, et nommé dans la catégorie mini-série à l’occasion du Festival de Monte-Carlo en 2008 (elle a perdu au profit de la mini-série américaine John Adams, forcément qui peut lutter contre une série de HBO qui a déjà reçu des Emmy Awards et des Golden Globes…?).
Mais fort heureusement, il est d’ores et déjà possible de découvrir le premier épisode sur Dailymotion, et puisque la série est proprement introuvable sans cela, inutile de dire que je ne me suis pas fait prier pour faire une entorse à ma règle d’éviter le streaming comme la peste, et je me suis donc mise devant le pilote de Prosperity.

Et comme je vous le disais en préambule, Prosperity est dans une démarche purement descriptive. Son principe ? Suivre quatre personnages, chacun n’ayant a priori rien en commun, pendant une seule journée, à raison d’un personnage par épisode (sachant qu’évidemment, ils vont plus ou moins se croiser pendant cette journée).

Le premier épisode est consacré à Stacey, une adolescente de 17 ans qui a un bébé de quelques mois, Lorna, et qui va passer l’épisode à… tuer le temps. Elle vit dans un bed and breakfast un peu miteux où logent de nombreuses mères célibataires, dont elle est obligée de sortir en journée, et n’a rien d’autre à faire que de trainer au centre commercial du coin en attendant de pouvoir réintégrer sa chambre. En-dehors de ça, c’est tout. Ah, si, de temps en temps, elle va collecter ses allocations, ou bien elle retrouve une copine… La vie de Stacey n’a rien d’enviable, donc.
A expliquer, ce n’est évidemment pas glamour ; à regarder non plus à vrai dire. Le concept de Prosperity laisse assez peu de place à une intrigue fascinante, et son intention n’était de toute façon pas là. Nous allons suivre la laborieuse journée de Stacey, au contraire, et non pas attendre qu’il lui arrive quelque chose mais plutôt attendre qu’elle ressente quelque chose, qu’elle exprime quelque chose. N’importe quoi.

Il faut dire qu’on a affaire ici à une adolescente à la fois blasée et meurtrie, qui a eu un enfant très jeune avec son petit ami (Dean ; nous aurons la chance de faire sa charmante connaissance pendant l’épisode), qui a quitté le domicile de sa mère, n’entretient pas non plus de relations avec sa soeur aînée, bref, qui a toutes les raisons de s’être endurcie, d’avoir pris de la distance avec tout et tous, et qui trimbale sa poussette pendant toute la journée absolument sans but, sans attache… sans avenir.
Le ton froid, hâché de ce premier épisode est percutant ; il nous emmène dans un monde où il n’y a pas d’espoir, pas de lendemain. Pour Stacey, chaque journée ressemblera, à peu de choses près, à celle-ci. Il n’y a rien à espérer de l’avenir, il n’y a qu’à attendre l’heure de rentrer dans la chambre, le jour où on pourra toucher les allocs, le moment où on pourra aller boire une bière, peut-être. Stacey s’exprime par monosyllabes, désabusée, cassée, et pourtant pas vraiment triste ; il faudra attendre la fin de l’épisode pour lui extirper une confession. Mais ça n’empêche pas ce premier épisode de Prosperity d’être poignant, bien au contraire ; cette journée sans fin est terriblement émouvante, parce qu’on prend conscience de quelque chose dont Stacey est parfaitement au courant : rien ne peut vraiment lui arriver. Elle vit, fantômatique, dans une zone où elle existe sans exister, où elle fait des rencontres et où en même temps tout glisse sur elle. C’est un peu moins d’une heure à expérimenter en sa compagnie et, dans le fond, c’est important de prendre le temps de mesurer cela.

Car dans le fond, c’est de cela que veut parler Prosperity. De tous ces anonymes sans avenir qui se croisent dans un quartier populaire, qui ont perdu une guerre qu’ils n’ont même jamais menée. Eurochannel explique que Prosperity, filmée avant la crise, est une sorte de signe avant-coureur de la fin du miracle économique irlandais, mais les protagonistes de Prosperity, on les croise dans plein de villes d’Europe, dans plein de banlieues ou de quartiers populaires, ils n’ont rien et n’auront jamais rien, crise ou pas crise. Et ils le savent.

Les prochains épisodes de Prosperity ne raconteront pas nécessairement la même apathie, mais, on peut le sentir à travers les pistes données par cet épisode, ils raconteront d’autres formes de désillusion. Ce n’est pas forcément très drôle, mais c’est aussi ça, la fonction d’une série dramatique.
Si ça m’est techniquement possible, e serai sans faute devant les trois autres épisodes, je ne manquerai l’immersion pour rien au monde.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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