80s kids will know

17 mai 2013 à 16:39

Lorsque Reed between the Lines avait occupé mon automne, il y a de cela maintenant un an et demi (…cette deuxième saison se fait attendre, c’est interminable), j’avais esquissé un début de marathon The Cosby Show. Esquissé seulement : ça avait duré une petite douzaine d’épisodes, et je m’étais lassée.
Ce n’était simplement pas le bon moment ; c’est le danger quand on pense pallier au manque d’une série en regardant une autre qu’on croit proche.

En ce moment, c’est différent : je suis en plein marathon Brothers & Sisters ; ce qui signifie que, si les thèmes peuvent être voisins, The Cosby Show ne pâtit d’aucune forme de concurrence déloyale de la part du drama d’ABC. Du coup, j’ai fini l’intégralité de la première saison, dont voici un petit bilan en attendant, peut-être, un bilan plus général de la série. Parce que j’ai quand même Brothers & Sisters à finir, nan mais ho.

Et je dois dire que cette première saison m’a mise à genoux. J’avais pourtant, comme de nombreux spectateurs de ma génération, vu de nombreux épisodes de la série à l’occasion de ses multiples diffusions sur M6, en alternance avec Madame est Servie généralement, et pourtant, je ne les avais pas regardés. A l’époque je n’étais pas téléphage, faut-il préciser : je consommais de la télévision dans une fringale peu regardante, parce que chez moi, le meuble télé était sous clé, que mon père estimait que l’écran ne devait être allumé que pour le journal et les grands prix de Formule 1, et que tout ce qui pouvait être récupérer en-dehors de ce contrôle strict était bon à prendre, sans chercher à distinguer des critères de qualité, ou même vraiment faire attention à ce qui se regardait. Attraper des images par poignées, goulument, et les enfourner sans prendre le temps ni de mâcher ni de faire fonctionner les papilles. Vite, avant d’être prise sur le fait. Je ne dis pas que je ne riais pas, ça s’est sûrement produit, je ne dis pas non plus qu’il ne m’en est rien resté, car j’ai des souvenirs, quoique flous, de plusieurs épisodes ; c’est surtout que The Cosby Show a fait partie des séries que je regardais sans les laisser me marquer.
Pendant tout ces années où pourtant j’étais postée devant les épisodes à 20h, guettant le bruit de la porte du garage d’une oreille, je n’ai pas vraiment apprécié sa série à sa juste valeur.
Combien je le regrette et m’en réjouis à la fois aujourd’hui ! Je le regrette parce que j’étais clairement passée à côté de merveilles.

Mais je m’en réjouis car ce (re)visionnage est l’occasion de découvrir les trésors recelés par ce sitcom, à tort considéré, comme beaucoup de séries dont nous avons été nourris à l’époque, comme totalement anecdotique. Dans le Grand Livre de l’Histoire des Séries que nous avons tous un peu en tête, nous nous souvenons du Cosby Show pour avoir été la première comédie mettant en scène une famille afro-américaine à rencontrer un tel succès aux USA. Si naturellement il n’est pas inutile de se souvenir de cette donnée lorsqu’on parle de la visibilité des minorités à la télévision américaine et de leur évolution (bien que le Cosby Show soit loin d’être le premier « sitcom black » de l’histoire américaine – Beulah, en 1950, fut la pionnière du « genre », et Bill Cosby lui-même n’en était pas à son coup d’essai), elle ne doit pas être le seul critère sur lequel nous appuyer pour en parler. Et la seule nostalgie ne suffit pas.

Car finalement, dans cette première saison au moins (on verra par la suite ?), il est plutôt anecdotique que les Huxtable soient afro-américains. En-dehors de quelques détails (certaines oeuvres accrochées sur leurs murs, la couleur peu représentée à la télévision d’une poupée de Rudy, etc.), rien ne distingue cette famille de celles que nous avons vues, beaucoup plus souvent, sur nos écrans. C’est sûrement en cela que la série est finalement si fine, dans son choix de normaliser ce qui restait pourtant plus une exception qu’autre chose à la télévision (même alors que Beulah précédait Heathcliff de 34 années).

Mais ce qui rend The Cosby Show proprement brillante, n’ayons pas peur des mots, c’est que c’est un sitcom avec une vraie thèse (contrairement à ce que beaucoup de comédies aujourd’hui voudraient vous faire croire, il ne s’agit pas d’un oxymore). Comme une poignée de créateurs de séries, Bill Cosby a quelque chose à dire, à communiquer, à partager ; il a un univers dans lequel il veut faire entrer les spectateurs afin de leur donner son point de vue sur le monde, à son échelle. Pas d’univers fantasmagorique à la Whedon ici ; Bill Cosby vit dans un monde au contraire très réaliste où il veut parler des rapports au sein du cercle familial. Dans l’espoir de les assainir, sans aucun doute : il ne faut évidemment pas oublier que c’est DOCTEUR Bill Cosby, s’il-vous-plaît, diplômé en sciences de l’éducation, qui a donné naissance à la série (chose que le générique rappelle au bon souvenir du spectateur étourdi). Et de la même façon qu’un Kelley va employer son expérience professionnelle pour donner son point de vue (et ses questions) sur la société, Cosby va faire de même avec la cellule familiale. Ah d’accord, elle a comparé Cosby à Kelley, on sait donc désormais que toute forme d’objectivité sera absente de ce post.
Regarder le Cosby Show n’est pourtant en aucune façon une leçon sur les valeurs familiales. En tant que grande consommatrice de fictions familiales depuis que j’ai su crocheter la serrure du meuble télé, et pour avoir vu l’intégralité oui, l’intégralité des 5 premières saisons de 7 à la Maison, je suis en mesure de vous assurer qu’il y a une énorme différence. Cosby écrit avec sa série le même manuel d’optimisme et d’humanisme que Gene Roddenberry avec Star Trek. Ah ouais, donc maintenant on en est à comparer Bill Cosby au Great Bird of the Galaxy, carrément.

A travers le Cosby Show, on devine quelles sont les convictions profondes de Bill Cosby ; la plus prégnante est le respect des enfants.
Cosby, par le truchement de Heathcliff Huxtable, met un point d’honneur à ne jamais les regarder de haut, il leur parle toujours avec clarté et honnêteté, et ne prend jamais leur intelligence à défaut. En somme, il traite chaque enfant, quel que soit son âge, comme un égal, tout en adaptant son discours à leur compréhension du monde, en bon pédagogue.
Un détail m’a particulièrement impressionnée. Il arrivera à deux reprises, pendant cette première saison, que Heathcliff, la mine accablée par la dernière bêtise inventée par un de ses rejetons, s’empare d’une batte de baseball avant de toucher deux mots à sa progéniture. C’est généralement le moment de toute série où je réprime difficilement un frisson, je l’admets. Mais la batte de baseball n’effleurera pas le plus petit popotin, pas même pour plaisanter : on ne lève pas la main sur les enfants, chez les Huxtable. Jamais. Se saisir de cette batte est plutôt une façon pour Bill Cosby de dire : « je pourrais régler les choses comme ça, et imposer mon autorité par la force et donc la peur » ; chaque fois, Heathcliff posera la batte aussi vite qu’il la prise et entamera une vraie discussion. Cette batte de baseball, c’est en fait la matérialisation de ce que Cliff expliquera à son fils dans un épisode : « dans le temps, quand le père voulait que le fils fasse quelque chose, il l’ordonnait et le fils s’exécutait. Mais on n’est plus dans le temps », racontera-t-il en substance (les histoires-fleuves de Heathcliff Huxtable ayant fait sa réputation…). Ce qui m’a impressionnée ? Les enfants n’ont pas de mouvement de recul, ils ne cillent pas, ils ne regardent même pas la batte quand il l’attrape ; il est acquis que cette batte n’a aucune existence dans leur rapport à leur père. Son utilisation n’est jamais qu’anecdotique.
L’un des meilleurs exemples au long de cette première saison (et, si mes souvenirs sont justes, des suivantes) de la volonté de Cliff de parler à ses enfants comme à des êtres sensés et de toujours privilégier ce mode, sera sa relation à Théo, unique fils de la maisonnée, un peu irresponsable mais pas mauvais bougre. Le Dr Huxtable passe un temps considérable à essayer à la fois de lui inculquer le sens des responsabilités et de préserver leur camaraderie. Ce sera sensible dans le pilote, comme j’ai pu le souligner par le passé, mais aussi dans l’épisode où Clair découvre un joint dans un livre de classe de Théo ; au lieu de virer à la prêche, l’épisode va au contraire prendre un tour surprenant quand les parents croient Théo sur parole (lequel affirme « c’est pas à moi », défense plutôt classique du genre), et que Théo insiste pour prouver son innocence afin de préserver l’estime de ses parents, qu’il n’avait pourtant jamais perdue. Dans la façon que Cliff et Clair ont d’adresser le problème, il est net d’emblée que personne ne va « engueuler » Théo. Il n’est pas question de le sermoner. Il ne vient à l’idée de personne de commencer par punir et poser les questions après (on n’est pas chez les Kyle de Ma Famille d’abord, ici !). On se parle, chez les Huxtable.
Mais le plus merveilleux dans cette famille, c’est que se parler n’est pas réservé aux situations « de crise ». On prend aussi les décisions en commun comme dans une démocratie où chaque vote compte (c’est ce qui se passe quand Sondra veut passer l’été en France avec des amies), ou tout simplement on débat de sujets divers, pour le plaisir d’échanger des idées (à l’instar des questionnements soulevés sur le remariage par un ami du couple Huxtable qui a trouvé une nouvelle compagne de plusieurs décennies sa cadette). Il n’est pas rare que les enfants se sentent, dans ce contexte, autorisés à contester les décisions ou le comportement de leurs parents, comme quand Cliff découvre que Denise a un nouveau petit-ami qu’elle ne veut pas lui présenter car ses réactions sont souvent épidermiques, et que Vanessa comme Denise adressent à leur paternel des remontrances à ce sujet.
Cette croyance que les générations peuvent communiquer s’élargit au-delà de la relation parent-enfant ; dans un épisode, les parents d’Heathcliff viennent dîner, l’occasion de comparer les générations entre elles alors que Théo vient de se faire percer l’oreille en cachette de ses parents juste pour impressionner une fille. On en concluera d’ailleurs que si les modes opératoires changent, dans le fond, les adolescents restent les mêmes génération après génération, et les parents aussi. La fin de l’épisode, dans un joyeux brouhaha, montrera des personnes âgées partager avec leurs enfants et leurs petits-enfants leurs souvenirs de jeunesse sans fard ni faux-semblant (attention spoiler : grand-père Huxtable s’était fait tatouer sur le torse le nom de sa promise à l’époque du lycée !). Bill Cosby ne croit vraisemblablement pas au « white lie », considérant qu’il ne sert à rien de faire croire à une image immaculée des générations précédentes, et tenant en plus haute estime la franchise que l’espoir de servir de modèle parfait. Un autre épisode montrera au contraire Cliff Huxtable s’amuser avec plusieurs camarades de Rudy pendant de longues scènes ; mais je vais y revenir.

Outre la position de Bill Cosby sur les rapports intergénérationnels, The Cosby Show est aussi une ode au partage des responsabilités domestiques et familiales, au point qu’on se demande pourquoi cela pose encore problème aujourd’hui si en 1984, le sujet est posé comme une évidence par la série.
On le sait, les Huxtable travaillent tous les deux : Heathcliff est gynécologue et obstétricien, Clair est avocate. Le premier travaille dans un cabinet aménagé au sous-sol de la maison, mais peut être appelé au beau milieu de la nuit, ou d’un évènement important, pour accoucher une patiente à l’hôpital ; la seconde ne compte pas ses heures de travail, et peut parfois enchaîner les heures supplémentaires en soirée. La résultante de ces deux vies très occupées, c’est que, paradoxalement, Cliff est plus facilement à la maison que Clair pour s’occuper des enfants, et considère tout-à-fait normal de les prendre en charge, parfois à la grande surprise de Clair. Celle-ci opposera une ou deux fois de la résistance, généralement parce qu’elle voudrait tout de même pouvoir s’occuper des enfants elle-même (comme dans l’épisode où Rudy tombe malade et que Clair a une réunion très importante qu’elle ne peut déplacer alors qu’elle ne souhaite que cajoler la petite), ou, parfois, parce qu’elle pense que son mari va être dépassé (il lui prouvera le contraire ; sauf dans la mesure où les enfants n’apprécient pas la cuisine de leur père !). Heathcliff et Clair sont donc à pied d’égalité dans la maisonnée, en partie parce que les circonstances s’y prêtent, et en partie parce que le Dr Huxtable éprouve un plaisir visible à passer du temps avec ses nombreux rejetons.
Quant à leur relation de couple, elle fait partie des choses les plus vibrantes de cette première saison. Quand on les voit ensemble, on ne se demande absolument pas comment Heathcliff et Clair ont pu avoir 5 enfants (alors que la question est légitime dans le cas des Camden de 7 à la Maison, pour prendre l’exemple le plus frigorifiant de couple télévisuel de parents supposés s’aimer). C’est bien simple, ils sont toujours l’un sur l’autre ! Ils s’aiment visiblement comme au premier jour (ils se sont pourtant connus au lycée, comme l’expliquera Heathcliff dans un épisode où il se souvient avoir choisi sa fac uniquement sur la base du choix de Clair), et cet amour ne se vit pas en cachette dans la chambre à coucher, bien que celle-ci soit évidemment le théâtre idéal pour leurs interactions. Dans le salon, la cuisine, PARTOUT ! Les Huxtable s’embrassent, se taquinent, s’entrelacent, s’allument, se suçottent les lobes d’oreille… ils sont inséparables, et très tactiles.
Leurs échanges ne se limitent pourtant pas à leurs nombreuses preuves d’amour physique : on se raconte sa journée (comme Heathcliff qui rentre à 3h du matin et raconte à son épouse à demi-endormie : « on dit qu’un bébé naît en moyenne toutes les 9 secondes, cette nuit, ils avaient choisi mon hôpital pour le faire »), on partage ses préoccupations, des plus profondes aux plus futiles (« si je meurs et que tu rencontres une femme qui me ressemble trait pour trait, est-ce que tu gardes ma photo ? »), ou évidemment, on discute des enfants. Le rapport d’égal à égal est valable dans tous les domaines.
D’ailleurs, preuve que Cosby est là avant tout pour parler d’un univers et non d’un couple, le Dr Huxtable aura l’occasion plusieurs fois d’expliquer ces principes à ces propres patients. Au mari d’une parturiente qui insiste pour se comporter comme chef de la maison (ce qui ennuie bien la future maman), il expliquera : « l’époque où on était le chef, sérieusement, ça date d’il y a 30 ans ! L’homme à l’ancienne, c’est fini ! Une relation, c’est bien plus que d’être le chef. Vous n’êtes pas le chef, elle ne sera pas le chef ». Evidemment, comme on parle d’une comédie, la tirade se conclut sur : « le bébé sera le chef ! »… mais le message est clair. Et il sera répété, de façon plus subtile et cette fois sur le ton de l’évidence, tout au long de cette première saison. On est en 1984, rendez-vous compte ; pourquoi a-t-on encore des débats sur le sexisme en 2013 alors que Bill Cosby avait classé tout ça il y a belle lurette ?

Il faut avouer que même si Cliff est, de toute évidence, au centre de la série, Clair est un personnage, pardon pour le jeu de mots, parfaitement lumineux. Phylicia Rashad a d’ailleurs l’air de passer de bons moments sur le plateau, éclatant de rire spontanément lorsque Bill Cosby fait le pitre, et apportant sa classe naturelle à son jeu d’actrice qui n’endosse jamais tout-à-fait dans le rôle du clown blanc. Clair est la voix de la raison… souvent. Pas tout le temps. Clair est bon public pour Cliff… jusqu’au moment où c’est elle qui va nous épater, nous prendre par surprise.
Personne ne s’enferme dans une caricature, dans le Cosby Show.

Quand j’avais 5 ans, ma mère m’avait laissé voir Rencontres du troisième type ; il est de notoriété dans ma famille qu’à l’issue de film, je me suis précipitée vers l’écran en répétant que je voulais rentrer dans la télé, et partir rejoindre les personnages (eh oui, déjà alors). J’ai ressenti cette émotion, que je n’avais plus connue depuis un quart de siècle, devant cette première saison du Cosby Show. Et quand je vous disais, plus tôt, que le premier volet de mon intégrale m’avait mise à genoux, ce n’est pas une image : je suis littéralement tombée devant mon écran, les joues en larmes, devant certaines scènes absolument magiques. MA-GIQUES. J’assume mes adjectifs.
Et pas juste parce que les Huxtable forment une famille géniale, ce que je me suis ingéniée à expliquer jusqu’à présent, mais aussi parce que la série offre des moments… eh bien, je l’ai dit, magiques.

Il suffit, pour se convaincre de l’énergie de certaines idées du Cosby Show, de voir les épisodes-ovnis comme Jitterbug Break (1×16) ou Slumber Party (1×22), à la narration fantaisiste.
Le premier raconte comment la famille Huxtable se prépare à passer un vendredi ou samedi soir ; les parents s’apprêtent pour sortir avec un couple d’amis pour aller danser, la babysitter annule sa venue et Denise est chargée de la remplacer, qui invite donc les amis avec lesquels elle devait sortir à venir à la maison. Denise, dont on apprend qu’elle pratique le breakdance avec une boombox dans la rue (hello, années 80). L’épisode commence donc de façon assez classique, mais son dernier quart d’heure sera en réalité entièrement dédié à faire danser les personnages dans le salon, ce salon que nous connaissons tous où les meubles ont été poussés par Denise, ses amis et Théo, et où chacun s’en donne à coeur joie sur du hip-hop, puis du jazz quand arrivent les amis des parents, des danseurs émérites qui prouvent qu’ils ont encore quelques tours dans leur manche, puis finalement, quand les deux générations se mettent à danser ensemble dans la joie et la bonne humeur. L’épisode ne veut a priori envoyer aucun message : chaque personnage prendra la suite d’évènements comme un bon moment dont il faut profiter, le bonheur du moment dans une maison qui n’en manque pas. Son but est simplement de finir sur une célébration de l’envie de danser. Le scénario de départ n’a été qu’une excuse pour profiter de ce moment magique du quotidien des Huxtable. « C’est pour ça que j’aime venir ici », soufflera leur ami dont la voix est couverte par la musique, « on ne sait jamais comment la soirée va finir ».
Dans le second de ces deux épisodes, Rudy s’ennuie copieusement, et Heathcliff lui suggère (après lui avoir proposé d’être son camarade de jeu, et de s’être gentillement fait rappeler « tu es mon papa, pas mon copain » par la petite) d’inviter des amis à dormir. Huit enfants de cinq ans vont donc être lâchés dans la maison (huit !), alors que Clair est, une fois de plus, retenue à l’extérieur (une conférence, cette fois) et que Cliff doit donc gérer tout seul la petite tribu, même s’il embarque finalement Théo et Denise pour lui prêter main forte. L’épisode n’a pas de conclusion à proprement parler : où Cosby veut-il en venir en parlant de la pauvre Rudy qui se sent seule ? Nulle part, la pauvre n’aura pas plus de trois lignes de dialogues à partir du moment où ses camarades arrivent à la maison. L’épisode va en fait consister en une enfilade de scènes pendant lesquelles le Dr Bill Cosby va simplement interagir avec les enfants : leur parler (encore), jouer avec eux, les taquiner, et ainsi de suite. Reconnaissant que les petits bouts sont bruyants, il aura juste le temps de lancer un pari avec son propre père (de passage) afin d’essayer de réussir à faire taire les gamins pendant une minute. Et c’est tout. Juste ça : Bill Cosby et huit enfants joyeux. Les scènes sont longues, mais on s’en fiche. Ca respire la vie !

Contrairement à la plupart des séries de son époque (puis des années 90) à vocation familiale, The Cosby Show n’a donc, vous l’aurez compris, aucune ambition moralisatrice, et ne s’embarrasse pas de conclusions. La narration de nombreux épisodes de cette première saison n’aura pas conclusion claire, sans même aller jusqu’aux exemples que je viens de citer ; ce sont simplement des tranches de vie, légèrement plus comiques que celles que vous et moi avons pu connaître pendant notre propre vie familiale, mais qui ne sortent jamais de ce registre.
Même quand l’avant-dernier épisode de la saison s’aventure au centre communautaire du quartier (posant ainsi comme une nouvelle évidence que Cliff et Clair participent à la vie de quartier sur leur temps libre, of course), on évitera pourtant tous les écueils du genre. L’épisode, qui devait être un backdoor pilot, mettra en retrait les Huxtable pour souligner plutôt le quotidien de Tony, responsable du centre, et de sa petite-amie, conseillère et psy travaillant avec lui. L’épisode, qui porte le titre de Mr. Quiet, montre alors Tony qui fait la connaissance d’un petit garçon très secret, lequel vient de se faire battre par un groupe d’enfants, et refuse de parler à qui que ce soit de ce qui est arrivé. Va-t-on essayer de comprendre pourquoi on s’en est pris à lui et ainsi aborder, je ne sais pas, le problème du racisme ou des violences ? Va-t-on découvrir que le garçon, que Tony n’a jamais vu au centre communautaire, est un SDF à prendre en charge ? Pas du tout. Le seul « enjeu » de l’épisode est que Tony tente de se lier à l’enfant et de lui faire simplement dire son prénom, et l’épisode se concluera quand le petit rentre chez sa mère après avoir non seulement parlé à Tony, mais aussi dévoilé son surnom « pour les amis ». Voilà, c’est tout. Pas de mission. Une tranche de vie qu’on ne prend pas pour prétexte à moraliser la discussion.
The Cosby Show, regardable par toute la famille, ne donne pas dans l’éducation des enfants, de toute façon, mais plutôt des parents. Si la série poursuit un but, c’est à la rigueur d’apprendre à ces derniers à parler aux plus jeunes, pas à aborder les problèmes rencontrés par ceux-ci pour les aider à grandir. La télévision de Bill Cosby n’éduque pas les enfants à la place des parents. Personne ne doit éduquer les enfants à la place des parents, voilà ce que croit Bill Cosby, et c’est pour ça qu’il faut apprendre aux parents à être pédagogues. A observer. A écouter. A parler. A interagir avec les plus jeunes, de façon simple mais sincère. Mais ça, vous l’aviez compris depuis le début de la lecture de ce post…

Avec son rythme souvent à contre-temps, et ses multiples tentatives d’expérimenter des structures narratives atypiques pour ne pas dire, parfois, inexistantes, la première saison du Cosby Show vaut largement le coup d’oeil. D’autant qu’au-delà de ça, ses gags sont tout simplement intemporels…

Pour conclure, je dirais : il faut signer où pour se faire adopter par les Huxtable ? Avec tout ça, mais aussi les coiffures de l’impossible, les pulls pas croyables, et les musiques d’un autre temps, j’ai eu l’impression de replonger dans l’enfance que je n’ai jamais eue, c’était un vrai délice.
…Et dire que ça, c’était pour une seule saison ! Bon, il est un peu acquis ce marathon, maintenant, non ?

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2 commentaires

  1. Scarlatiine dit :

    L’histoire du joint et de la comparaison avec « 7 à la maison » me rappelle le traitement fait dans cette dernière quand la famille apprend dans le 1er épisode, je crois, que Matt fume. C’est à peine si Papa Camden ne lui dit pas qu’il n’est plus son fils, qu’il le déshérite, ou un truc du genre. Et le foin quand ils découvrent, plus loin dans la série, que Mary a bu de la bière ! xD

    Comme tu le soulignes très justement, le traitement est différent dans « The Cosby Show ». Les enfants Huxtable ne sont pas parfaits, font des bêtises, mais ça n’empêche pas leurs parents de les aimer et de les accepter tels quels. Et les enfants le leur rendent bien.

    Merci pour ce long billet, qui m’a donné envie de rejoindre la famille Huxtable

  2. capecodmiss dit :

    très joli post! que je n’aurais pas dû lire, en cette période de révisions! j’ai envie de me plonger dans cette que je n’ai entre aperçu à l’époque que par bribes! ah fichtre! bah si l’été est pourri, j’aurai de quoi m’occuper!

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