Douleurs muettes

19 juin 2013 à 17:13

Cette fois j’y vais. Cette fois je parle.
Depuis environ 6 mois, cette hésitation me tue plus encore que ce sur quoi elle porte. Je n’arrive pas à ouvrir ma gueule. Ma réponse-type, quand on me demande ce qui ne va pas, est de dire « j’ai pas envie d’en parler… d’ailleurs j’en parle même pas avec moi-même », et j’ai honte de ça. Parce que l’une des rares qualités que je me suis toujours attribuées est que je me vante de pouvoir parler de tout, à tout moment et avec tout le monde, d’être un livre ouvert, de communiquer facilement. Et si je perds cette qualité-là, il ne m’en reste plus beaucoup.

En toute sincérité j’ai essayé d’en parler, de temps en temps.
Avec moi-même, un peu ; par murmures étouffés et messes basses. Avec ma soeur, à une occasion, alors qu’on se livrait l’une à l’autre, pour une fois, juste avant qu’elle ne me parle de ses préoccupations qui sont devenues très largement prioritaires à mes yeux (notre relation a incroyablement changé ces 6 derniers mois… mais je ne vais pas me saisir de cette excuse pour changer de sujet). A mon ancienne psy, que je suis revenue voir exprès dans mon ancien département et qui m’a dit qu’elle préférait m’encourager à commencer une thérapie chez un nouveau psy… mais qu’elle voulait bien qu’on se refasse 3 ou 4 séances à 50€ non prises en charge avant (inutile de dire que je n’ai pas spécialement repris rendez-vous, ni eu envie de voir quelqu’un d’autre du coup). Quelques bribes, aussi, sur Twitter, quand ça débordait un peu trop (ce qui a incité T. à me prodiguer un plutôt pas mauvais conseil par le biais d’une vraiment belle attention).
Mais dans l’ensemble, je suis restée soit évasive (évoquant certains évènements contrariants, quelques problématiques réelles, mais moindres, que je brandis pour ne pas avoir à aborder ce qui me travaille, et qui sont traitées à la légère par la plupart de mes interlocuteurs, confirmant que j’ai bien fait de pas ouvrir ma gueule sur le vrai problème ; cercle vicieux ?), soit silencieuse.

Par plusieurs fois, j’ai ouvert un onglet sur ce blog et essayé de me motiver : poser des mots sur les choses, d’ordinaire, je sais le faire, et d’ordinaire, ça marche plutôt bien. Le soucis ce n’est pas de poser des mots, cependant ; les mots ne manquent pas, ne manquent jamais, j’en ai les poches pleines, je n’ai qu’à les prendre par poignées. Simplement je suis prise dans une série de pièges que je me suis posés par le passé, et qui maintenant me donnent l’impression de n’avoir pas le droit de m’exprimer sur ce qui me ronge.
Parler aujourd’hui me demande du courage… et rien que ça, ça m’énerve. L’état de blocage dans lequel je suis m’agace, m’insupporte. Mais chaque fois que j’ouvre mon navigateur, qu’au téléphone ou de vive voix, je prends l’inspiration qui précède ma phrase, je m’agace et m’insupporte tout autant. Aujourd’hui je me lance parce que je viens de réaliser que ça va bientôt faire six mois que je suis dans cet état ; et aussi, un peu, par fierté. La fierté de pouvoir me dire que rien ne peut m’empêcher, jamais, de m’exprimer. On est fier de ce qu’on peut.

Il y a plusieurs mois maintenant, mon subconscient s’est retourné contre moi et a commencé à me harceler. Je ne sais pas quel a été l’évènement qui a tout déclenché, le trigger moment, mais ça a été le lâchage complet en l’espace d’une semaine à peine.

D’abord il y a eu un cauchemar. Mais les cauchemars, ce n’est rien, au sens où tout le monde en a, et que je suis une vieille habituée du cauchemar, en plus. D’ailleurs ce n’était même pas vraiment le plus horrible de tous mes cauchemars ; mais ce qui était assez violent était mon ressenti nauséeux au réveil. A partir de là, j’ai passé la journée à essayer de me débarrasser du malaise ; mais évidemment ça s’est traduit par une tendance à ressasser le cauchemar, et je pense que ça a fait boule de neige. Ce qui s’est produit ensuite est vite devenu hors de contrôle.
J’ai fait des cauchemars les deux nuits suivantes, avec le même réveil aussi difficile et physiquement insupportable, si bien que l’insomniaque en moi, contre laquelle je lutte depuis des années, a décidé derechef au bout de la troisième nuit qu’elle ne dormirait plus. Du tout. Ce qui a d’office réveillé la migraineuse en moi, qui n’attendait qu’une bonne excuse pour se manifester à cause du manque de sommeil. Mais à ce stade c’était encore dans le domaine du gérable, au sens où je suis déjà passée par des périodes sans sommeil, avec juste de l’évanouissement au bout d’un moment, ponctué parfois par une heure ou deux de perte de conscience, avant que mes trois réveils ne me remettent en route vers le boulot, et comme vous le voyez : j’ai un système bien rodé. Ca demande du boulot de se remettre ensuite à dormir, mais au bout d’un mois environ, l’affaire est généralement bouclée. C’est l’avantage de se connaître, au bout d’un moment.

Ceux que je n’avais pas prévus, c’étaient les flashbacks. Je n’avais jamais connu ça et d’ailleurs au début je n’avais même pas identifié que c’étaient des flashbacks, au sens où j’avais « simplement » une image atroce qui arrivait, qui me glaçait sur place, me prenait au ventre, et me replongeait pour une bonne heure dans un état de quasi-blackout. Ca induisait une telle panique que l’effet d’un seul flashback pouvait me mettre KO pendant une bonne demi-journée, je devenais une vraie loque, j’étais en mode automatique au boulot, je ne mangeais presque plus rien (ou alors une crise d’hyperphagie une fois par mois, typique aussi de mes moments de crise passés), bref la complète débandade.

C’est une chose de se rappeler, intellectuellement, que telle chose pas franchement agréable s’est passée. Je suis capable de me rappeler de nombreuses, très nombreuses scènes particulièrement difficiles avec mon père, de paroles spécifiques, de gestes, j’ai aussi un certain nombre de « photographies mentales » de scènes marquantes. Je ne suis pas capable de me les rejouer en video, mais je me rappelle que tel jour pendant telle crise j’étais assise là, par exemple, ou une couleur, un objet, ressortent particulièrement quand je les associe à un souvenir ; je revois par exemple très clairement la robe que portait ma mère le jour où elle m’a poussée dans les pattes de mon père, lequel me poursuivait comme une furie en hurlant que cette fois, il allait se la faire (« la » c’était moi, bien-sûr).
Ce n’est pas un soucis de savoir intellectuellement que ces choses se sont passées, ni de me rappeler de ces détails. C’est, contrairement à ce qu’on pourrait penser, une façon de gérer ces souvenirs, les trier, et parfois y faire appel, comme par exemple pendant une thérapie : si je pense à la robe, je repense à l’évènement et je peux le décrire plus facilement que j’ai des éléments matériels auxquels me raccrocher, l’odeur de poussière de l’escalier du sous-sol, le bois lisse de la rampe d’escalier, les cris de mon père dans mon dos. Solliciter ces détails provoque un certain détachement, qui permet ensuite de vivre avec ces souvenirs. D’ordinaire, y penser n’a pas d’effet négatif : ce sont tout simplement mes souvenirs d’enfance.

Mais être noyée, en une fraction de secondes, à la fois dans la scène elle-même avec ses repères physiques, mais se rappeler aussi des gestes précis de l’évènement, de leur déroulement seconde par seconde, cette fois sous forme de film précis, et surtout, oh surtout, se retrouver à nouveau à ressentir les mêmes choses comme si elles arrivaient au moment où le flashback survient… ça, c’est insurmontable.
Le flashback intervenait, et il me figeait. Il me fallait de longues minutes pour décrisper mon corps, me sortir de la peur que je n’avais pas ressentie depuis plus de 15 années, et bouger à nouveau, penser à nouveau. C’était une vague tellement violente que généralement je n’avais même pas le temps de pleurer, je passais directement de la fraction de seconde que durait le flashback à un état figé complet, physique et surtout mental, pendant lequel la peur me submergeait. Ensuite, je reprenais lentement le contrôle, et j’étais trop occupée justement à reprendre le contrôle pour pleurer. J’ai sincèrement passé les premières semaines à être trop choquée par cet enchaînement d’évènements pour verser une seule larme. Même après, en repensant (non sans terreur) à la façon dont j’avais pu me bloquer sans préavis plusieurs heures plus tôt, je ne pleurais pas. Ca m’a manqué au bout d’un moment, mais j’allais faire quoi ? Forcer ?

Le pire, ce n’est pourtant même pas ça. Le pire, c’est qu’une fois que les flashbacks ont commencé, mon cerveau a tourné en boucle sur ces images. Il y a un flashback en particulier qui, après qu’il me soit revenu aussi vivace que si je l’avais expérimenté le jour-même (il a été l’un des premiers à m’apparaitre d’ailleurs), m’a bien fait deux semaines. Mon cerveau semblait se vautrer dans ce souvenir comme un cochon dans la fange, c’était hors de contrôle. Et le simple fait d’y repenser, suite à flashback, me replongeait dans une terreur similaire ; pas figée, juste pareillement épouvantable.
Il y avait une chanson bien précise, une chanson que j’ai découverte bien après les évènements d’il y 15 ans, et que pourtant, par associations d’idées, j’avais assimilée à ce souvenir ; une chanson donc qui me relançait d’office dans la sordide contemplation de l’horreur jadis éprouvée. On a atteint des sommets quand, en essayant de me changer les idées, peu de temps après que le flashback auquel la chanson est liée soit survenu, j’ai entendu ce même air dans un épisode que je regardais, concluant l’un de mes pilotes pourtant coup de coeur de la midseason. This is why we can’t have nice things, me suis-je dit. Pour vous dire à quel point j’étais dans une spirale absurde, j’ai téléchargé la chanson, l’ait réécouté en boucle pendant plusieurs heures, et ait laissé mon cerveau, qui me le réclamait de façon perverse, ressasser les images de ce soir d’automne. Complètement droguée à ma propre douleur, je suis allée jusqu’à excaver mes journaux intimes de jeune fille pour y retrouver le soir où je parle de cette scène. Je n’ai pas été déçue puisqu’on peut y lire noir sur blanc : « je n’ai pas parlé de ce qui s’est passé hier soir exprès, parce que c’est trop horrible ». J’ai quand même fini par m’effondrer en larmes en voyant la date, parce que le 9 octobre a toujours eu une signification particulière pour moi (pour de toutes autres raisons), et de réaliser que cette scène s’était déroulée un 9 octobre m’a achevée.
Je ne sais d’ailleurs que trop pourquoi ce souvenir est celui qui a dominé les autres. C’est la première fois où j’ai compris que ce qui m’arrivait n’était pas normal. C’est la première fois où j’ai compris que la souffrance était due à une violence, et non à une punition méritée. C’est aussi la dernière fois que je n’ai rien dit ; le lendemain, j’ai expliqué la scène à ma bande de copines, et là j’ai compris que ce n’était pas normal.

Pendant toute cette période de flashbacks, je somatisais à mort, donc en plus de l’état pitoyable dans lequel je me trouvais émotionnellement, je me suis enfilé un nombre incroyable de rhino-pharingo-sinusites successives… que je n’ai pas bien traitées parce que je ne voulais pas aller voir mon médecin dans l’état où j’étais, de crainte qu’il ne m’engueule comme à l’automne juste parce que lui a eu un cancer et que du coup tous les bobos qu’il voit défiler lui semblent dérisoire (je sais, il faut que je change de médecin, mais j’ai juste pas l’énergie d’en chercher un autre, j’ai aussi pas du tout envie de laisser mon médecin qui a un cancer, du coup je ne vais voir aucun médecin du tout et ça rend la SECU heureuse). Il a fallu qu’on me le fasse remarquer sur Twitter pour que je prenne conscience de tout ça, c’est dire si j’étais déconnectée de tout.

Bref je cumulais. Et je cumulais MAL. Au sens où au bout d’un temps, j’aurais dû me dire : bon, ma ptite caille, on va ptet s’occuper de soigner tout ça à un moment, ça commence à faire beaucoup non ? Mais à la place je me disais : putain je peux pas parler de ça, c’est pas possible.

Les deux seuls professionnels que j’ai vus, c’est donc, d’une part, une fois, mon ancienne psy. Courant mars je me suis dit : prends-toi par la main, prends un RDV, sauf que j’ai obtenu un RDV pendant la seconde quinzaine d’avril, à ce stade j’avais atteint un degré de repli et de dégoût de tout qui fait que l’entretien a parfaitement été inutile… Sans mentionner le fait que j’avais pas compté sur un facteur complètement idiot, qui est que la dernière fois que j’avais posé les pieds dans cette ville, dans cette gare RER et tout le bordel, c’était le jour où j’ai rendu les clés à mes parents, ça m’a mise dans tous mes états rien que faire le trajet, j’ai hyperventilé dans la rue, pleuré dans l’ascenseur, la totale. Tout ça pour que l’autre me dise qu’il fallait que je commence une nouvelle thérapie avec un nouveau psy. Résultat absolument en-dessous de zéro.
La seconde fois, c’est que j’ai commencé un traitement assez lourd il y a quelques mois chez une spécialiste, pour un problème de santé que je me traine depuis des années ; je suis allée à tous les RDV fixés parce que c’était l’une de mes bonnes résolutions ; j’avais pris le premier RDV avant que tout ça ne me tombe dessus, il y avait de gros délais d’attente, j’allais pas passer mon tour, donc j’ai fait la bravache pour tous les tenir, en faisant bonne figure comme je le faisais au boulot, en me mettant en automatique, et finalement la seule personne qui aurait ptet eu une chance de dépister la crise n’en a pas eu l’occasion parce que je suis perverse au point de ne pas laisser les médecins voir quand ça ne va pas. Je somatisais de partout, j’avais les paupères gonflées, des plaques rouges et des kystes partout, impossible que la spécialiste n’ait rien vu d’étrange ; mais j’ai fait ma maligne, j’ai pris mes ordonnances pour l’autre truc pour lequel j’étais venue, et j’ai pas moufté. Et sur le chemin retour, j’étais presque fière d’avoir fait illusion, la conne.
Comme j’ai une pharmacie en bas du boulot, tous les deux jours j’allais voir mes nouvelles copines les pharmaciennes pour leur demander des crèmes pour dégonfler les paupières, du concealer pour planquer à peu près les plaques et les kystes visibles, de quoi me brûler la peau pour les autres, les cachetons pour soigner n’importe comment les rhino-pharingo-sinusites, des sirops dégueulasses au lierre (jamais plus jamais), des tout ce qu’on veut, et je vous prie de me croire, je leur ai doublé leur chiffre d’affaire ce semestre.

Vu que je dormais peu, et que j’avais totalement arrêté de regarder des séries (là encore, un effet secondaire inédit chez moi) et même d’écrire à leur sujet (rapport de cause à effet assez logique, me direz-vous ; mais je m’étais quand même forcée à faire illusion plusieurs semaines), j’avais aussi décidé de faire un peu d’exercice ; moitié parce qu’au moins ça m’occupait, moitié dans l’espoir que ça me fatigue un peu (de ce côté-là j’aime autant tout de suite vous rassurer : j’ai échoué lamentablement). J’ai donc commencé à me surmener, ce qui allait formidablement bien avec l’absence de nourriture normale. Je me suis payée des crampes pas possibles en pleine nuit, des courbatures de l’impossible là où je ne pensais même pas avoir fait de mouvements, et évidemment, vous pensez bien que tout le poids perdu pendant cette période a été repris au double dans les phases d’hyperphagie. Il manquait juste un magicien disant « abracadabra » à côté de mon miroir de salle de bains pour que le spectacle soit complet.
J’ai tenté de prendre un jour de congés histoire de souffler loin du boulot, mais dans un premier temps ma binôme au bureau, Unau, me faisait reporter sans cesse, c’était jamais le bon moment. Il y avait toujours une « grande » échéance qui faisait qu’elle ne pourrait pas tenir si elle devait assumer le secrétariat seule toute la journée. La première fois j’ai dit, ok, admettons. La deuxième j’ai pensé, oui enfin, c’est à peu près tout le temps comme ça, on est en cabinet, hein. La troisième, j’ai commencé à me demander si j’étais pas en train de me faire enfler, mais j’ai arrêté d’insister. C’est quand j’ai craqué devant elle, un après-midi, alors que jusque là j’avais eu suffisamment de chance pour n’avoir aucun témoin de mes crises de flashbackite aigüe, que j’ai décidé que j’avais atteint le point de non-retour, et j’ai pris quinze jours d’un coup… que j’ai passés moitié au fond de mon pieu, moitié à un évènement sur les séries qui m’a mise sur les rotules parce que je voulais en « tirer le maximum » (voir aussi : syndrome du puisque-je-dors-pas-autant-mettre-mon-temps-à-profit, doublé du fait que comme je dis pas ce qui me tracasse, je mets les bouchées doubles pour faire illusion). Pour se venger, à mon retour elle a également pris quinze jours, pendant lesquels, pas du tout retapée (par ma faute, certes), j’ai fait des journées de jusqu’à 12h sans pause (« désolé lady on a une urgence, vous rattraperez demain, d’accord ? » tous les jours), si bien que finalement non seulement il n’y a pas vraiment eu bénéfice, mais en plus tout éventuel bénéfice a été perdu dés que j’ai posé un pied au bureau.

Et je ne mentionne pas les coups de fil de mes proches prenant de mes nouvelles, à qui je finissais par parler de séries (que je ne regardais pas) ou de faits d’actualité. Quant à mon activité sur les réseaux sociaux, elle était parfaitement divisée entre « j’arrive à faire semblant de rien youpi chouette déconnons avec les gens » et « que personne ne me parle aujourd’hui d’ailleurs tiens, je vais tout éteindre », et donc magnifiquement schizophrène. Pendant que j’opérais le mouvement de balancier, soit je culpabilisais de n’être pas capable de m’ouvrir aux autres (qualité dont je me suis si souvent vantée haut et fort), soit je culpabilisais de vouloir parler et dans ce cas de passer pour une attention whore. Car oui, dans ma grande logique du moment, essayer de dire que je vais mal (un peu beaucoup, d’ailleurs), c’était mal. Comme si j’étais supposée être toujours dans une humeur de cheerleader ! Alors du coup je disais rien, et EN PLUS, je m’en voulais de ne rien dire.

Tout ça pour pas avoir à parler.

Alors voilà le secret du pourquoi j’ai fermé ma gueule. Le secret, c’est que JE VAIS BIEN.
Sérieusement, JE VAIS BIEN… la preuve : tout ce qui m’est arrivé est au passé ! J’ai mon propre appartement, un boulot stable quand bien même il est parfois « prenant », des loisirs que j’aime (enfin, quand j’arrive à me mettre devant une télé, ce qui m’a été impossible pendant plus de 40 jours), quelques amis, des projets, des chats… franchement, quand on compare à ma situation à plusieurs points du passé, JE VAIS BIEN, non ?
Mais plus sérieusement encore, JE VAIS BIEN parc que je n’ai pas le droit de ne pas aller bien. Je me disais que je n’avais pas le droit de me plaindre, j’ai plaqué mes parents il y a presque deux ans, je ne leur ai plus parlé depuis lors, qu’est-ce que je veux de plus ? Le soucis c’est que j’ai beau pensé que ça devrait suffire, pour autant, il y a une réalité à laquelle je ne peux pas échapper : arrêter de prendre du poison au quotidien n’implique pas qu’on a expurgé toutes les toxines précédemment avalées. Pendant des mois, j’ai essayé de me convaincre que youpichouette, ma nouvelle vie est géniale et tout va bien et je suis libre ! …Quand en réalité, j’ai simplement arrêté d’être enchaînée. Grosse différence. Lourde différence, qui pèse sur moi à retardement, mais dont je ne peux pas me débarrasser d’un geste las de la main, comme si, oui bon, c’était un détail.
Je m’enorgueuillissais tant de ne plus avoir fait un seul cauchemar avec des vampires ! Rendez-vous compte : j’avais fait ces cauchemars pendant 29 années, plusieurs fois par semaine, ou parfois « seulement » plusieurs fois par mois, et plus rien ! Certes j’avais quelques cauchemars de zombies qui s’étaient déclarés, mais qui n’avaient pas de signification autre que : faut arrêter de regarder The Walking Dead maintenant, hein. Les cauchemars symboliques appartenaient au passé ! Et maintenant il fallait s’en prendre d’autres dans la tronche ? Et pire encore, depuis janvier, les non-cauchemars sont encore plus terrifiants au réveil : ils se passent tous, systématiquement, dans la maison de mes parents et/ou avec eux. TOUS. Comment vous voulez vous lever le lendemain matin quand vous avez vu les visages de vos… je vais utiliser le mot « bourreaux » ? Allez, disons « bourreaux ». Comment faire quand vous voyez toutes les nuits les visages de vos bourreaux ? Comment accepter de fermer l’oeil quand tout ce qui vous attend, c’est que votre subconscient va vous ramener là où vous avez mis 29 années à ne plus être ? J’étais tellement fière d’être allée de l’avant et d’avoir mis tout ça derrière moi, je n’avais pas le droit d’aller mal à nouveau.
Parce qu’aller mal à nouveau signifie qu’il n’y a pas de solution. Que même prendre toutes les précautions (ne plus les voir, ne plus leur parler, ne même plus les évoquer…) ne suffit pas à se prémunir contre le cercle infernal.
Et puis, je suis une femme de 31 ans, ressasser encore et toujours les histoires de quand je vivais avec eux (ou chez eux, quand je leur louais), à un moment, ne devrais-je pas avoir passé l’âge ? Sans compter que franchement, ça n’intéresse personne toute cette histoire. Ca n’a jamais intéressé grand’monde mais, à présent, tout le monde la connaît, la tragédie grecque de lady. On veut changer de disque !
Moi aussi je veux changer de disque. Je veux penser qu’il y a une issue, à un moment. Que je peux aller de l’avant au lieu d’être toujours ramenée en arrière.

Alors je ne disais rien. Pour toutes ces raisons et encore quelques autres. Et ça n’a sûrement pas aidé.

J’ai fini par sombrer dans une dépression parallèle aux cauchemars et aux flashbacks (le PTSD était déjà largement suffisant, pourtant, à la base), où tout semblait sans issue.
Me dire qu’à mon âge j’en suis encore à me glacer parce que j’ai ressenti à nouveau la peur pure que j’éprouvais en tant qu’enfant ou adolescente, et que j’en ai probablement jusqu’à la fin de ma vie comme ça. Que je ne devrais pas chercher à me faire, ou à me garder des amis dans ces conditions ; c’est pas juste d’imposer ça aux gens, ou alors ça veut dire le leur cacher et c’est pas juste de me forcer à cacher que je vais mal juste par crainte de leur faire peur. Pis ne parlons même pas de la question du célibat qu’une fois de temps en temps il faudrait que je me pose plus sérieusement que je ne le fais : comment s’investir dans une relation où on peut même pas promettre un minimum de santé mentale ? J’ai fait 10 ans de thérapie, j’ai pris de la distance émotionnelle (le pensais-je), physique, tout, et ça ne suffit pas…
Dans ce cas, autant se flinguer tout de suite, parce que je suis inadaptée à toute vie sociale !
Que suis-je supposée attendre de la vie si ça me poursuit à ce point ? S’il y a encore des surprises que mon subconscient me réserve et dont je n’ai aucune idée ; et si dans quelques années je me mettais à faire d’autres sortes de crises ? Si je devenais incapable de travailler ? Comment je peux faire des plans pour moi-même si je ne peux pas partir du principe que je suis fonctionnelle ?

Alors pardon si aujourd’hui mes douleurs muettes sont très bavardes. Ca faisait presque 6 mois qu’elles se retenaient. Je ne dis pas que je résous quoi que ce soit en parlant, mais j’espère en tous cas que ça arrêtera d’empirer…
On se satisfait parfois de peu de choses.

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3 commentaires

  1. Ludo dit :

    lu

    Coucou, Lady.

    Je suis très touché par ce que tu as écrit, et d’une certaine façon, content que tu aies réussi à en faire sortir un peu.

    Il faut bien comprendre que le subconscient est une bitch, et que l’inconscient un enculé d’égoïste.
    Même si je ne sais pas ce que tu voulais dire par « Il allait se la faire », mais la violence du terme, l’intervention de ta mère, et la durée dont tu parles, font froid dans le dos. Je comprends que ça tai laissé des traces.

    Et ton psy a raison, d’une certaine façon : il ne faut pas que tes visites soient une contrainte (géographique temps pour y aller, conditions, etc…), car sinon, tu trouveras toujours une raison pour ne pas y aller. Or, si tu as déménagé et que ton psy « habituel » est trop loin, il faut que tu en trouves un plus « accessible ».

    J’ai, à une époque, fréquenté des forums où se retrouvaient des écorchés de la vie, pour diverses raisons, et j’y ai retenu qu’un moyen de se sortir de la douleur est de réussir à s’ouvrir, à parler : trouver la bonne personne, le bon endroit, et t’y ouvrir, même en plein anonymat, parler. Ce ne sont pas forcément les réponses que tu y liras qui seront importantes, mais juste le fait de réussir à en parler; et pour vaincre ta phobie de paraitre pour une personne en recherche d’attention (« attention whore »), l’anonymat sera la meilleure arme.

    Je te souhaites vraiment vraiment, du courage, Lady et je t’envoies mes meilleurs pensées positives, et tout plein d’énergie.

    Amicalement, autant que faire se peut,

    Ludo

  2. T dit :

    Pour le peu que je comprends de ces choses (et une bonne partie de ce que j’en comprend vient du bouquin que je t’ai envoyé) le souci de ces souvenirs que tu as en flashback c’est justement qu’a force d’évitement et de refoulement, ils n’ont pas été « processed » émotionnellement, qu’ils gardent toute leur capacité a traumatiser qu’ils avaient sur le moment. Tu n’as pas eu l’occasion de construire une distance émotionnelle avec ces évènements, et ils te frappent a chaque flashback avec autant de force que lorsqu’ils se sont réellement passés. Je ne crois pas qu’il y ait de solutions faciles, mais je pense qu’il existe des solutions, même difficiles, et je pense qu’en parler aide (donc félicitations pour ce premier pas).

    Bon courage, et n’oublie pas que tu as mon numéro si tu veux parler. J’ai fini mon concours, j’ai plus de temps maintenant.

  3. Cédric dit :

    C’est toujours un plaisir de te lire !

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