Time is money

17 décembre 2013 à 16:15

T’as deux secondes ? Est-ce que tu as deux secondes ? Alors si t’as, mais vraiment, mais deux secondes quoi, même pas trois, ptet que tu peux prendre le temps de faire un truc dans ton premier épisode, un truc vraiment sympa, un truc qui s’appelle : l’exposition.
Non ? T’as pas le temps ? T’as raison. Le temps, c’est de l’argent.

TokyoToyBox-650

J’écrirais bien une lettre ouverte aux scénaristes Yuuichi Tokunaga, Shinsuke Yamaoka et Takahashi Hattori, qui sont derrière Tokyo Toy Box, mais ils ne prendraient sans doute pas le temps de la lire. Ce sont des gens pressés, voyez-vous : même nous délivrer les noms des personnages est fait à la va-vite, entre deux portes, vraiment on s’excuse si on dérange. Le scénario de leur premier épisode n’est qu’une enfilade de 20 minutes de précipitation. Ce qui ne serait à la limite pas si grave si l’épisode en lui-même réservait quelque surprise que ce soit. Au lieu de ça, on a la sensation que si on passait le doigt sur l’écran, on pourrait sentir les pointillés que suit l’intrigue. Vite vite introduire le contexte non hop ça y est on en est déjà à l’évènement pertubatrop tard c’est déjà une péripétiet non nous voilà déjà dans la résolution ah bah tiens c’est le générique de fin en fait.

Ou comment avoir la preuve par l’exemple que pour une chaîne, produire une nouvelle série tous les trois mois constitue un exercice de rapidité qui a ses inconvénients. La pression sur les auteurs est palpable dans le cas de Tokyo Toy Box.

Du coup, comment éviter l’inéluctable ? Impossible de trouver le moindre personnage bidimensionnel ; il faut avouer même que très franchement, certains d’entre eux n’ont pas même une dimension… Les deux personnages masculins secondaires sont, par exemple, totalement interchangeables, si ce n’est pour leur coupe de cheveux. Quant à l’intervention de l’un des personnages féminins secondaire, elle se bornera à quelques moues mignonnes et une sexualisation quasiment gratuite d’une minute à peine… Pas franchement la panacée.

Alors pourquoi ai-je décidé de vous parler du pilote de Tokyo Toy Box malgré tout, surtout alors que j’ai omis de vous parler de bien des pilotes laborieux de l’automne à travers la planète ? Qu’est-ce qui justifie que je me fende de quelques centaines de mots sur le sujet ?
Eh bien précisément, le contexte de la série. Car je ne vous ai même pas encore dit de quoi il retournait !

Tokyo Toy Box est l’une des deux séries japonaises cette saison à s’intéresser au monde des jeux video, et se penche sur le cas du Studio G3, une petite compagnie de jeux videos qui n’a rien d’extraordinaire et travaille sur de modestes projets. Sauf que même le peu d’envergure de ces projets a tendance à prendre des proportions gigantesques, pour ne pas dire catastrophiques. La raison ? Taiyou Tenkawa, le chef de la petite équipe, un homme qui n’a pas du tout les pieds sur terre et qui persiste à inclure des changements profonds aux jeux… la veille de leur livraison ! Malgré les excentricités du patrons, la team du Studio G3 reste soudée et bosseuse, ce qui reste un mystère pour Hoshino Tsukiyama, une exécutive qui débarque au Studio G3 afin de lui faire redresser la barre financièrement.
L’idée de prendre une compagnie qui coule pour la sauver grâce à un intervenant extérieur n’est pas nouvelle à la télévision japonaise ; le ressort est abondamment utilisé dans divers milieux professionnels, et j’ai par exemple eu la joie puis la déception de vous parler de dinner plus tôt cette année. Généralement, ces séries ont pour message que redresser une entreprise en difficulté passe par un recentrage sur ses richesses humaines avant tout, chose dont l’outsider devra prendre conscience avant de travailler avec les employés et non malgré eux. C’est typiquement ce qui se passe dans cet épisode à grande vitesse que nous propose Tokyo Toy Box, Hoshino étant mise devant une réalité : il a beau être inconséquent dans le domaine financier, Tenkawa est un homme passionné et impliqué dans son art, et quand on lui lâche la bride, il fait un travail exceptionnel. Qui plus est, il inspire ceux qui sont autour de lui ; à la petite exécutive de composer avec cette facette fascinante du personnage pour aider l’entreprise. Avec lui, non malgré lui.

Quant à l’aspect geek, la série ne s’appesantit pas dessus, tout en infusant des rappels réguliers. Pas de dépaysement au programme ici ! Cela a cependant des avantages : le spectateur a conscience d’être à la fois dans une problématique universelle et dans un contexte particulier, ce qui donne à la série un air très authentique, quelque chose qu’assez peu de séries « de geeks » rendent avec un tel naturel. En même temps rien de si étonnant ici : le scénariste Yuuichi Tokunaga a fait ses premières armes sur un épisode de Densha Otoko !

Le premier épisode de Tokyo Toy Box est si prompt à faire avancer son intrigue, qu’il lui est pour ainsi dire impossible d’achever ses 20 minutes contractuelles sans donner l’impression qu’il a déjà fait le tour de la question. Tout cet empressement pourrait achever de décourager le spectateur, qui n’a guère eu de temps pour s’attacher à qui que ce soit, auquel on ne propose pas une série très originale, et qui n’a même pas l’excuse de pouvoir se plonger dans un univers totalement « exotique ». Mais en choisissant un contexte original, en nous plongeant dans la passion de ces personnages, à la fois pour les jeux videos et pour leur chef, Tokyo Toy Box parvient à être étrangement sympathique, en dépit de sa précipitation constante. La toute fin de l’épisode introduit d’ailleurs une parade : un personnage de « méchant », un peu mystérieux, qui va probablement donner du fil à retordre à l’équipe du Studio G3, assurant par la même occasion des péripéties qui pourraient bien être autrement plus surprenantes. Preuve qu’on peut dépasser MACH 5 et quand même regarder où on va.

D’ailleurs TV Tokyo a semblé convaincue par Tokyo Toy Box, puisque Dai Tokyo Toy Box démarrera début janvier sur son antenne. Il s’agit d’une sorte de saison 2/spin-off (comme les Japonais savent si bien les faire) prenant pour objet une jeune femme qui rêve de devenir designer de jeux videos et qui va se confronter au milieu, en intégrant le Studio G3. Les deux séries sont directement inspirées des mangas de l’auteur Ume, et offrent résolument une cohérence prometteuse. Comme quoi, l’univers de la série est riche… quand on prend le temps.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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