Les vrais mensonges

22 mars 2014 à 22:29

Pas facile tous les jours de rivaliser qualitativement avec certaines productions de la planète, et ce, y compris sur son propre sol. Les exemples sont multiples, et on en a un, après tout, juste sous les yeux en France. Alors chacun y va de sa technique.
En Bulgarie, après avoir longtemps choisi la facilité de l’import, du remake et/ou de la série kilométrique (sitcom, telenovela, etc.), depuis quelques années, on essaye de faire du drama « sérieux ». Ça coûte une blinde, mais ça a tendance à rapporter, comme l’a montré le succès du drama Stuklen Dom sur la chaîne privée bTV. Alors la première chaîne publique, BNT, lui emboîte le pas, et lance en avril 2011 le crime drama Pod Prikritie au même créateur et producteur exécutif, Dimitar Mitovski.

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La recette, on la connaît, pourtant.
L’histoire est celle de Martin Hristov, que le pilote nous introduit de façon assez complète. Élevé par un père peu regardant sur la légalité de ses affaires, pris la main dans le sac alors qu’il aidait celui-ci à faire un coup, Martin n’a pas 10 ans quand il est envoyé en centre de redressement ; progressivement remis sur la bonne voie, il se consacre au sport, et finit par être repéré pour entrer dans les forces de l’ordre. Envoyé en formation en France où il apprend comment devenir un infiltré, il retourne ensuite en Bulgarie, à l’âge adulte, où il est pris sous l’aile d’un vieux flic qui est son seul proche. Avec lui, il se construit une couverture : il purge une peine fictive en prison pour se créer un casier et des contacts, et finit par se rapprocher d’une organisation mafieuse qu’il va tenter d’infiltrer.

Martin n’est pas un protagoniste spécialement attachant ; au contraire, c’est le type-même du héros qui reste relativement indéchiffrable, qui a des nerfs d’acier et qui est si bien capable de mentir sur commande, qu’au final on n’apprend ni ne partage rien de son ressenti. Plus intéressant, par rapport, est l’unique flic au courant de son existence et de son travail d’infiltration, Emil Popov. Son implication dans son travail, dans chaque degré, chaque détail de la préparation de Martin, sont beaucoup plus intéressantes ; il se place, pendant les 10 premières minutes introductives du pilote, assez rapidement dans une position de figure paternelle que ne semble pas percevoir Martin de prime abord, mais qui en a toutes les manifestations. L’inquiétude d’Emil lorsque l’opération commence concrètement est palpable à un tel point qu’il est clair qu’elle dépasse la seule question de l’infiltration.
Et puis, du côté des mafieux, il y a un personnage pour le moins savoureux, celui du boss de l’organisation que Martin tente d’infiltrer. Pod Prikritie nous explique brièvement un point pourtant capital : la mafia, en Bulgarie, n’est pas centralisée. Ce qui fait que des organisations évoluent chacune de leur côté, avec évidemment des problèmes quand elles se rencontrent, bien qu’elles aient parfois besoin de faire des affaires ensemble. Ainsi, Jaro, n’est pas le Parrain, mais il a suffisamment d’influence sur sa propre organisation pour être une cible de choix pour Martin et Emil. L’avantage c’est que dés ce pilote, Jaro se présente comme un homme dont le calme n’est pas une façade : c’est un vrai serein. Il ne prend pas de décision sous le coup de l’émotion, écoute les conseils qu’on lui donne, n’est pas une brute, et ne règne pas en terrorisant les gars qui bossent pour lui (même si c’est précisément ce comportement froid qui leur inspire de la crainte). C’est, dans son genre, un type raisonnable, et ça permet de poser un vrai « méchant », intéressant, dés le début de la série, même si son bras droit Ivo est, lui, beaucoup plus violent (mais au moins aussi réfléchi et prudent) et que quelques clichés sur la mafia restent tout de même présents.

Le résultat ne va pas révolutionner la face de la télévision, mais reste carrément regardable, sinon plus. Il faut dire que la marque de fabrique des séries de Dimitar Mitovski (et il est également le réalisateur de ce premier épisode), c’est aussi une production léchée, un sens aiguisé de l’angle qui va tout changer dans la façon dont on regarde une scène, et grosso-modo, suffisamment d’attention à la photographie et l’ambiance pour que le produit renvoie une impression de qualité, presque de raffinement, en dépit du sujet assez peu excitant a priori, de la criminalité.

Si Pod Prikritie n’est pas une série plus originale que, disons, Un Flic dans la Mafia, ce n’est pas en fait très important ; d’ailleurs la production admet sans problème avoir été inspirée du film The Departed.
Ce n’est pas tant son pitch de départ qui intéresse la série ; l’idée de Mitovski est en fait de reprendre de véritables faits divers, de véritables crimes faisant l’actualité, pour les intégrer à son histoire et dépeindre la « réalité » des activités mafieuses bulgares post-Union soviétique. D’ailleurs, les activités de l’organisation de Jaro touchent un peu à tout, du trafic de drogues aux braquages, en passant par le vol de diamants (le 6e épisode de la première saison reprend ainsi intégralement les faits et le décor d’un véritable « casse »). Naturellement, cette réalité a ses limites, et Mitovski a d’ailleurs été critiqué pour au contraire rendre l’univers trop télégénique, et peu compatible avec ce que vivent les Bulgares au quotidien. Reste que paradoxalement, c’est cette impression de réalisme (« ça fait vrai ») qui a fait le succès de la série.

Oh, car c’est un succès. Lancée en avril 2011, la série achèvera le mois prochain la diffusion de sa 4e saison sur BNT, ce qui est quand même un rythme plus que correct. A raison de 12 épisodes par saison en général, parfois espacées de 6 mois à peine, le public bulgare ne semble pas se lasser de la série. Pod Prikritie faisait également partie de la sélection lors du Festival de Télévision de Monte Carlo en 2012.
Quant à Mitovski, c’est un peu le roi Midas de la télévision bulgare en ce moment ; outre Stuklen Dom puis Pod Prikritie, il a également à l’antenne deux autres séries : Revolution Z (une sorte de Skins musical) et Familiyata (un thriller se déroulant dans la haute société). Toutes se classent dans les palmarès annuels des meilleures audiences de Bulgarie, devançant les imports étrangers… et s’exportant dans divers pays, dont la Turquie. Ce qui, vous le savez si vous me lisez régulièrement, n’est pas rien.

Si jamais vous faites partie de ceux qui ont des idées reçues sur les séries bulgares (hey, déjà, vous aviez des idées sur les séries bulgares, c’est pas si mal !), le visionnage de Pod Prikritie pourrait tordre le cou à plusieurs d’entre elles. Difficile de parler de révélation en ce qui me concerne, surtout que comme vous le savez je ne suis pas fan des séries sur la mafia, mais je suis contente de l’expérience parce qu’il est quand même rare de réussir à mettre la main sur une série des Balkans, et que, là où manque l’originalité, le divertissement est clairement présent, et de qualité. Si vous en avez l’occasion, essayez l’expérience, vous aussi.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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