Intrigues de palais

28 mars 2014 à 22:05

Trop rarement encore ai-je l’occasion de vous parler de séries sud-africaine. J’aimerais vous dire que ça va changer, qu’à l’instar de la Scandinavie ou, dans une moindre mesure, d’Israël, ces séries se rapprochent de nous, deviennent progressivement plus accessibles, piquent l’intérêt des chaînes de télévision françaises, mais hélas ce n’est pas encore le cas.
Vous voulez que je vous dise ? On va faire sans.

Aujourd’hui je vous embarque dans le pilote d’End Game, qui a remporté le sondage à l’occasion du 26e Friday Night Highlights. J’en profite pour vous féliciter de votre curiosité, parce qu’il y avait des séries anglophones en lice. Vous avez mérité une petite tape amicale sur l’épaule, tiens.

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Alors End Game, qu’est-ce que c’est, à part un faux-ami que vous pourriez confondre avec la série policière canadienne Endgame ? C’est une série que la chaîne publique SABC1 a présentée comme un thriller politique, qui a commencé en octobre dernier, et a achevé sa première saison fin janvier, au terme de 13 épisodes. La série a été créée par Thandi Brewer, président de la Writer’s Guild d’Afrique du Sud.

L’histoire est celle de Khosi Hlatswayo, l’épouse du ministre de l’Environnement, le suave Jet Hlatswayo. Tout le monde adore Jet, clairement, et surtout les médias. Mais aussi son épouse. Et également sa maîtresse. Ça fait du monde et c’est forcément une combinaison explosive !
Le pilote d’End Game est tout ce que l’on peut attendre d’un épisode d’exposition, comme se le permettent beaucoup les séries qui connaissent exactement leur durée de vie. La planification est ici très claire : le rebondissement qui enclenche toute la machine scénaristique n’apparaît qu’à la toute fin du pilote, les scènes précédentes permettant de soigneusement mettre les personnages en place. On va donc prendre le temps d’apprendre à connaître Khosi, notre personnage majeur, mais aussi dans une moindre mesure ses enfants, son mari, l’assistante de son mari, etc…

Khosi est le croisement parfait entre la « trophy wife » et la « good wife » ; elle maintient son image avec attention, dirige la maison, et supervise les évènements importants pour la carrière de son mari. On la verra ainsi, dans le pilote, organiser seule un gala de charité qui sert la cause environnementale que défend son mari, et se comporter en hôtesse parfaite. Bref, comme tant d’épouses d’hommes politiques de par le monde, elle est la femme derrière le grand homme.
Mais naturellement les choses ne sont pas si simples. D’abord parce que certaines choses lui échappent, comme sa fille aînée Ayanda qui vient d’entrer à l’université et réclame maintenant son indépendance, ou comme son fils Zweli qui est la cible de camarades de classe mais qui tait le harcèlement dont il est la victime. Et puis évidemment, vous l’aurez compris, elle passe à côté de l’information capitale, qui est que Jet la trompe avec son assistante Rose (les hommes importants sont tellement prévisibles…).

Mais dans toute cette saga dramatique, que ne renierait pas un drama soapesque à la Revenge, à plus forte raison parce qu’elle a pour décor la demeure luxueuse du ministre par exemple, il y a tout de même des problématiques politiques.
D’abord parce que Jet a les dents longues. C’est clairement un ambitieux, qui depuis des années, fraye avec le gratin du Gouvernement (dont le ministre de l’Énergie, ami de longue date de la famille). C’est un homme affable mais qui ne trompe pas totalement le spectateur quand il essaye d’endormir ses interlocuteurs avec des propos apaisants. C’est aussi un excellent orateur qui, dans ce qui est certainement la scène la plus intéressante de ce pilote, a décidé de prendre la parole pour s’attirer l’affection du grand public. Et pour finir, il a un curieux secret sur lequel le pilote ne s’étend pas, mais qui sent mauvais.

La scène-clé de l’épisode, c’est une prise de parole devant la presse toute entière réunie, dans laquelle Jet Hlatswayo tient un discours sur lequel il a travaillé toute la nuit ; le discours est suivi par tout le pays, et End Game réussit le pari d’intégrer intelligemment les réseaux sociaux en faisant apparaitre à l’écran des tweets de spectateurs assistant à l’évènement à la télévision ou la radio, et commentant le moindre propos. L’effet livetweet d’un évènement politique majeur est très bien retranscrit, or on sait combien l’exercice est périlleux et peut sembler parfois trop cosmétique. Mais ici il montre bien comment chaque parole de Jet est écoutée, analysée, parfois appréciée, parfois moins, pour au final remporter l’adhésion des électeurs.
C’est d’autant plus intéressant que Jet est ministre de l’Environnement, mais que derrière les propos sur « chacun peut faire un effort », c’est un vrai cri de ralliement révolutionnaire que l’homme politique lance à ses compatriotes : « quit bitching and start a revolution ». Il leur propose même de le joindre à son cabinet comme à son domicile, à tout moment, comme preuve de son engagement.
Pas étonnant que quelques minutes d’épisode plus tard, une autre politicienne (qui semble être la Première ministre, ou la cheffe du parti, mais son titre n’est pas donné clairement bien qu’elle ait autorité sur Jet), peu amusée, décide d’offrir à la famille Hlatswayo les services d’un homme pour assurer leur sécurité. Jet n’est nullement dupe, mais accepte. Les Hlatswayo vont donc accueillir chez eux Thato, leur nouveau garde du corps, mais la question se pose évidemment de savoir qui il surveille et pour qui…

Dans tout cela, il y a encore une couche d’intrigue supplémentaire : Jet Hlatswayo et son assistante/maîtresse Rose travaillent sur un projet bien curieux. Ils tentent visiblement de dénicher des infos secrètes par des moyens peu légaux, et Rose, particulièrement enthousiaste, nous sera présentée dans plusieurs scènes du pilote en train d’avancer dans leur investigation commune. Cela pourrait également expliquer les relations un peu tendues de notre ministre de l’Environnement avec sa supérieure…

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Alors qu’au départ, Khosi ne suspecte pas vraiment que Jet Hlatswayo ait une maîtresse, elle nous est clairement présentée comme assez peu ravie par son existence. Sans aller jusqu’au cliché de la prison dorée (et ça fait un bien fou d’avoir évité ce piège), End Game nous montre une femme insatisfaite et frustrée, peut-être plus par ses relations avec son mari, ou absence de, que par les apparences. Le fait est qu’elle boit aussi un peu et que ça ne va probablement par arranger ses affaires.
En revanche, aucun mystère sur l’aventure de Jet n’est laissé aux yeux du spectateur. Le pilote a même littéralement commencé par une scène entièrement dénuée de dialogues, mettant en parallèle Khosi transpirant dans son club de gym, Jet et Rose transpirant dans un lit, et un pauvre homme a priori étranger à tout cela se faire battre par deux sales types. L’identité de ce pauvre homme, et sa relation avec le reste de l’intrigue, restera d’ailleurs longtemps indéchiffrable, mais à travers lui, on va avoir l’opportunité de sortir de la haute-société et de voir que, hors du monde politique, les choses sont loin d’être aussi propres et faciles à vivre. Je ne vous en dis pas plus, on ne sait jamais, des fois que.

Résultat des courses, tout cela s’entremêle avec une certaine élégance, quoiqu’un rien de lenteur aussi. C’est VRAIMENT une exposition. Les choses sont à la fois présentées comme complexes, parce que nous n’avons pas tous les tenants et aboutissants de chaque situation, mais aussi un peu simples, au sens où parfois les choses sont un peu appuyées. Par exemple Jet offre le même foulard à son épouse et à sa maîtresse, et il se sent obligé de le dire à l’écran au lieu de laisser le spectateur s’en rendre compte tout seul. Mais ça relève du détail et déjà je chipote.

Ce qui est intéressant, c’est aussi la façon dont la réalisation essaye de nous dépeindre les choses. Elles relèvent souvent de l’intime, principalement parce que nous suivons beaucoup plus le point de vue de Khosi que des autres personnages, mais elles sont montrées comme d’un point de vue extérieur, utilisant souvent diverses formes de média pour nous être montrées. De façon régulière, la cible d’un appareil photo, le timing d’une camera de surveillance, l’écran d’une télévision, celui d’un smartphone, jalonnent l’épisode pour nous rappeler que quoi qu’il se passe, cela dépasse largement les questions familiales propres aux Hlatswayo. Et cela nous dit aussi combien, finalement, la vie personnelle de ces gens est toujours observée par une ou plusieurs personnes extérieures au cercle, de l’employé chargé de la sécurité aux journalistes, apparaissant comme menaçants sans même intervenir réellement dans les scènes.
La conclusion du pilote, qui lance en fait le côté thriller de l’intrigue, ne fait que confirmer que cette menace est réelle. Avec le meurtre de Rose, les choses vont s’emballer : pour Jet, pour Khosi, pour le microcosme politique, de toute évidence.

Même si l’épisode a quelques lacunes (l’emploi totalement inutile de filtres, par exemple, ou son exposition parfois un peu bavarde), le pilote d’End Game est franchement réussi. Il parvient à décrire plusieurs niveaux d’intrigue, plusieurs sphères d’intérêt pour les spectateurs, et surtout une foule de personnages, à la fois en posant les jalons de ce qui sera ensuite un thriller, et à la fois en restant facile d’accès. C’est d’autant plus une prouesse que, comme beaucoup de séries sud-africaines, les langues s’y mélangent (même si, diffusion sur la chaîne publique oblige, tout dialogue qui n’est pas en anglais est systématiquement sous-titrés), comme ça a pu être le cas avec par exemple Intersexions ou The LAB. Jongler entre les langues quand on a déjà tant de choses à gérer m’apparait comme une preuve supplémentaire d’élégance !

Alors certes, End Game n’a pas été la série la plus populaire du pays ces derniers mois. Déjà parce que les séries politiques sont assez rares en Afrique du Sud, et que 90 Plein Street semblait avoir suffi au public, et que la comparaison n’a pas forcément aidé. Ensuite parce que le côté un peu clinquant n’est finalement pas en connexion directe avec les problématiques du grand public (à l’heure où les grèves s’intensifient dans le pays et rencontrent souvent une répression violente). Et je le conçois totalement, il y a quelque chose de glamour dans End Game qui manque parfois de prise avec la « réalité ».
Preuve que je ne cherche pas absolument à vous vendre la série (même si elle mérite votre attention, vous l’aurez compris !), je vais vous parler des audiences de la série. Là où la série avait effectué ses premières soirées devant 3,5 millions de spectateurs, End Game est passée, courant décembre, sous la barre des 3 millions. Mais elle restait quand même le 7e programme le plus regardé de la semaine de SABC1, derrière des pointures comme le soap Generations , les rediffusions de la très populaire Intersexions (la seule série sud-africaine pour laquelle les rediffs font autant que les inédits), ou la série policière Streets of Mangaung. C’est après Noël que les choses ont basculé, entre autres à cause de la coupure pendant les fêtes. Finalement, la série a achevé son unique saison devant 1,25 million de spectateurs en janvier (ouch), ce qui montre clairement qu’il y a eu un soucis… à relativiser, car la série n’était alors passée que 8e programme le plus regardé de la chaîne.

Reste que ce premier épisode est plutôt bon, avec en plus un cast plutôt solide, ce que je n’ai pas encore mentionné, alors pourquoi cracher dans la soupe ? Très sincèrement, on serait déjà très heureux si tous les thrillers politiques ressemblaient à ça.
Et pour mieux illustrer mon propos, voici d’ailleurs le trailer du premier épisode.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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