Légende

5 mai 2014 à 9:07

Cela peut sembler contradictoire, mais en dépit de mon intérêt pour les autobiographies, que je lis régulièrement (et que, dans la mesure où une série peut être autobiographique, que j’apprécie également à la télévision, comme par exemple avec Titus), je n’ai aucun goût pour les biographies. C’est comme ça.
La différence, c’est clairement celle entre l’empathie et l’admiration hypocrite.
Cela fonctionne d’autant plus difficilement pour moi de regarder un tiers mettre en images la vie d’une personne, a fortiori célèbre, qu’il y a toujours une large part d’idéalisation, mais avançant à couvert : oui, on veut vous dire à propos de cette personnalité connue quelque chose de profond, mais pas sans essayer de prendre un ton docte et un air sérieux. C’est comme essayer de justifier le fait d’avoir commencé cette biographie, une promesse que les choses ne se bornent pas à l’admiration et que la vie de cette personne comporte des éléments qui peuvent nous émouvoir, ou plus encore, nous rapprocher d’elle. Dans le fond, cette célébrité est comme nous, bien-sûr, faite de contradictions et de parts d’ombre, c’est juré ! Mais ces contradictions et ces parts d’ombre font aussi sa singularité, et expliquent que X années après sa disparition, on en fasse encore des fictions…

En fait, jusque récemment, je n’était pas convaincue qu’il soit possible de faire un biopic sans en passer par là, par cette malhonnêteté. C’est ce qui explique que je n’ai vu, par exemple, la mini-série franco-italienne sur Dalida : ai-je vraiment envie de passer plusieurs heures à regarder l’équipe d’une série me dire combien cette personne était incroyable, talentueuse, et méritait son succès… alors que c’est la raison pour laquelle la mini-série a été commandée en premier lieu ? Ai-je envie qu’on me dise que derrière le sourire, il y avait forcément des fragilités sur lesquelles j’ai envie de verser une larme ?
Le fait de ne rien ressentir envers la célébrité portée à l’écran n’aide évidemment pas… et c’est ce qui sera sûrement le plus gros inconvénient de Ramses aux yeux de beaucoup de ses spectateurs non-néerlandais.

Ramses-MaartenHeijmans-650

Pourtant, c’est cette même relation à Ramses Shaffy qui rend le biopic Ramses si prenant. Sûrement parce que la série assume totalement sa fascination obsessionnelle pour la personnalité du personnage ; lequel semble en plus s’y prêter particulièrement. Omniprésent dans chaque scène, même les rares où il n’est pas physiquement à l’écran, Ramses Shaffy est de ces personnalités qui envoûtent sans qu’on puisse vraiment prendre de recul sur ses actions ; la série ne nous invite d’ailleurs pas du tout. Bien au contraire.

Il n’est ici pas question d’entrer dans la narration plus ou moins objective de la vie d’une personne célèbre : sa naissance (pourtant originale), son enfance (pourtant chaotique), la construction de sa personnalité (pourtant foisonnante) sont hors de propos. La mini-série débute alors que le personnage a déjà la vingtaine, et qu’il nous est délivré dans toute sa richesse et sa complexité, lesquelles sont mises à l’écran avec comme unique but de nous mettre sous sa coupe. Votre consentement à cette proposition est déterminant pour son efficacité.
Ça marche d’autant mieux que Maarten Heijmans, l’interprète qui endosse cette personnalité débordante, habite avec passion le rôle de Shaffy, auquel il consacre toute son énergie pour le rendre magnétique. Je n’ai pas encore étudié la question, mais je ne serais pas étonnée de voir l’acteur couvert de récompenses pour son travail sur le personnage.

Ramses veut nous faire vivre aux côtés d’une légende, mais ne veut pas nous la raconter.
C’est toute l’astuce : au lieu de poser des repères biographiques, la mini-série part du principe qu’on connaît déjà le factuel, et saute à pieds joints dans le subjectif. Ici, personne ne va nous expliquer comment un jeune comédien est devenu célèbre pour ses chansons, et notamment son duo avec la jeune Liesbeth List. Personne ne cherche à nous raconter vraiment pourquoi il est célèbre ; la chose est d’ailleurs acquise dans le pays d’origine de Ramses !
En abandonnant totalement l’idée d’utiliser le moindre flashback (chose rare pour un biopic), et en préférant suivre le personnage pendant des heures et des heures dans ses excès, et ils sont nombreux, la mini-série veut nous faire entrer dans le culte de la personnalité : c’est ça, son objectif. Sans chercher à accomplir quoi que ce soit d’autre, et surtout, sans nous dire pourquoi on devrait entrer dans son jeu…
Si la sauce prend, ça fonctionne vraiment. En revanche, si l’on est imperméable à la pratique et/ou au personnage, ça ne marche pas du tout. En ce qui me concerne, je suis dans le premier cas, vous l’aurez peut-être deviné.

Or, pour un spectateur français qui n’aurait jamais entendu parler de Ramses Shaffy, comme il y a de fortes chances que ce soit votre cas (ainsi que pour la majorité des festivaliers de Séries Mania), la recherche de repères biographiques et d’informations objectives devient vite une seconde nature. Dans une série sur Claude François, ça marcherait sans aucun doute sur ce même spectateur français, d’ailleurs, si une démarche similaire était adoptée. Mais ici, c’est compliqué, forcément.

Ramses fonctionnera sur ceux qui veulent juste tomber amoureux d’une personnalité explosive… comme tous les autres protagonistes de la série. D’ailleurs, chaque fin d’épisode comporte une séquence pendant laquelle les personnages secondaires ou figurants chantent une chanson d’amour vraisemblablement tirée du répertoire de Ramses Shaffy, faisant ainsi clairement référence à leur fascination pour l’individu ; un procédé osé mais qui, dans une mini-série qui ne s’excuse jamais de son adoration, prend étonnamment bien. Au moins on est averti de l’intention ! Ils en auront pour leur argent : fêtard invétéré mais capable de basculer dans les ténèbres en un claquement de doigts ; coureur de jupons bisexuel mais sincèrement épris de son compagnon au début de la série, Joop ; prisonnier de son addiction pour l’alcool et les yeux perpétuellement allumés par une fièvre intérieure… Ramses Shaffy est un authentique personnage auto-destructeur comme on n’en fait plus, envoûtant au-delà de toute raison.

Si vous voulez juste passer quelques heures avec Ramses Shaffy et lui vouer un culte pour quelques heures, Ramses est faite pour vous. Dans tous les autres cas, tenez-vous à distance, pour votre propre bien. Vous risqueriez une cruelle déception.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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