Elementaire retour aux sources, mon cher Watson

15 mai 2014 à 19:27

Vous connaissiez la version britannique, vous connaissiez la version américaine… mais saviez-vous qu’un peu plus tôt cette saison, les Russes s’étaient attaqués à Sherlock Holmes ? En novembre dernier, Perviy Kanal lançait en effet Sherlock Holmes (que c’est original), une série qui aurait pu rencontrer les meilleures audiences du pays en 2013 si Ottepel n’était pas passée par là le mois suivant.
Rha, qu’est-ce que je fais, je vous en touche un mot ? Bon allez, c’est bien parce que c’est vous.

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Ne commencez pas à soupçonner nos amis de Perviy Kanal d’opportunisme… ou en tous cas, pas trop : ce n’est pas Sherlock et encore moins Elementary qui ont incité la première chaîne russe à se lancer dans cette version, mais plutôt la franchise cinématographique de Guy Ritchie : le projet russe Sherlock Holmes est lancé dés 2009. Mais là où les Russes savent être si prompts à adapter une série étrangère en deux temps, trois mouvements, il leur faudra quatre ans avant de réussir à finir leur projet et le diffuser.
Au terme de ce long parcours, il faut quand même bien avouer que Sherlock Holmes est réussie. D’abord parce que la série s’inscrit dans la grande tradition des reconstitutions historiques de la Russie, un domaine dans lequel la télévision nationale a toujours brillé (mais si vous avez loupé mon article à ce sujet, je vous l’ai remis en fin de review). Car, comme son inspiration, la série russe ne cherche pas à moderniser le contexte dans lequel vivent Sherlock et Watson, et se déroule au 19e siècle ; l’introduction du pilote toute entière est jalonnée de repères historiques pour bien nous le rappeler.

Ainsi le Docteur Watson est-il déchargé après avoir été blessé pendant la première guerre anglo-afghane. Revenu à la vie civile, il arrive à Londres en espérant pouvoir y ouvrir un cabinet ; mais surtout, et cette enjeu est placé d’entrée de jeu, il veut écrire. Incarnation très proche du livre, donc, de ce médecin qui ne fait pas que jouer les observateurs ou les petits bras pour Holmes, mais qui en tire un véritable bénéfice personnel : du contenu pour ses écrits. Le pilote met très rapidement cet élément en place de façon explicite, pour ensuite assez peu revenir sur la question autrement que par petites touches. Ainsi, Holmes fume la cigarette, et c’est Watson qui fume la pipe (il en a plusieurs qu’on le voit installer dans sa chambre le jour de son emménagement au 221B Baker Street) ; le détective n’est pas non plus très adroit dans un face à face, alors que Watson va mettre K.O. quatre hommes d’un coup dans ce pilote (il possède également des gants de boxe). D’une façon générale, et en-dehors de ces traits iconiques que la série renverse en leur attribuant l’imagination de Watson, pour épaissir le personnage sur lequel il écrit, de nombreuses scènes s’attarderont plus longuement sur ce qu’observe ce cher Docteur, et sur ce qu’on peut deviner de ses pensées, que sur l’action elle-même, et moins encore que sur ce que fait Holmes.

Car ne vous y trompez pas : Sherlock Holmes est ici un personnage presque secondaire. L’essentiel de ce premier épisode tourne autour de Watson (il est, bien-entendu, le narrateur en voix-off de plusieurs scènes, et d’une façon générale, son point de vue est privilégié), et Holmes apparait comme une espèce d’étrange personnage qui certes, est le moteur de l’action, mais qui n’est justement là que pour ça.
Ce n’est pas dans Sherlock Holmes qu’on va trouver de quoi idolâtrer le personnage éponyme ; il est dépourvu de charme (et je ne parle pas juste physiquement), et même d’éducation dans une certaine mesure. Quant à l’argent, ici, il est assez clair qu’il en manque tout comme Watson : les deux hommes logent chacun dans une petite chambre de la pension de Mrs Hudson, avec salle d’eau sur le pallier. Ce n’est pas un homme très raffiné, si ce n’est sur un plan intellectuel, ce à quoi il tient plus qu’à toute autre chose : dés ses premières apparitions, il insiste rapidement sur la beauté de la déduction logique. Sur le reste, il n’est pas regardant, et se montre d’ailleurs jovial voire chaleureux avec les personnes les moins fortunées qu’il croise (ses rapports avec la police sont en revanche tendus, y compris avec Lestrade qui le raille et ne rêve que de le faire incarcérer, et il semble avoir une nette propension à se méfier par défaut des puissants). Là où le Holmes britannique est froid et asocial, et l’Américain auto-centré sur sa dépression, notre Sherlock russe est facile d’accès, du moins si l’on parvient à survivre à son hyperactivité et ce qui ressemble à un trouble de l’inattention (même si en réalité ce point est assez brouillon dans le pilote, et un rien incompatible avec son goût pour l’observation et la déduction logique). En fait, s’il existe un équivalent masculin de la Manic Pixie Dream Girl, dont les excentricités sont au service du narrateur, Sherlock Holmes en propose quasiment un…
Cela permet en tous cas d’apporter un peu d’énergie à des scènes parfois un peu longues, parfois un peu contemplatives, et également d’insérer une ou deux séquences vraiment drôles (des changements de ton bienvenus quoique légèrement tardifs dans l’épisode). A ce sujet, l’amitié entre Holmes et Watson est bien mise en place, et surtout immédiatement mutuelle : clairement, les deux hommes apprécient de passer du temps ensemble, bien que pour des motifs différents. La séquence de « leçon » de boxe est hilarante de par l’ambiance de camaraderie un peu mesquine entre eux ; elle renverse aussi le côté récurrent de la dynamique dominé/dominant qu’on voit souvent sur le tandem, Watson ayant clairement le dessus sur Holmes… et s’en réjouissant ostensiblement. Il faut d’ailleurs noter que dans cette version, Watson est plus âgé, et Holmes fait quasiment figure de jeune chien fou à ses côtés.

Pour ce qui est de l’enquête de ce premier épisode, je vais être brève (ce qui nous changera), à plus forte raison parce que les enquêtes de Sherlock Holmes tiennent chacune sur deux épisodes ; je n’en connais donc pas la conclusion. Peut-être que si certaines séquences étaient raccourcies, ça n’aurait pas lieu d’être, mais bon.
Ici, tout part du meurtre en pleine rue d’un homme qui s’avère être un pickpocket connu des services de Scotland Yard ; bien que ses poches aient été fouillées (ce qui incite la police à croire à un simple vol qui a mal tourné), Holmes découvre sur lui des lettres qui semblent être de grande valeur. En les lisant ensuite, il découvre qu’il s’agit de lettres d’amour entre une jeune femme de bonne famille promise à un riche époux… et un homme qui n’est pas ce futur riche époux. Les lettres auraient-elles été dérobées pour faire chanter la famille de la jeune femme ?
Parce qu’elle commence par le meurtre du pickpocket, l’enquête de Holmes et Watson semble commencer à rebours ; personnellement j’ai eu un peu de mal à suivre comment on en était arrivé jusqu’à la famille riche qui occupe le duo en fin d’épisodes, et il m’a fallu un petit revisionnage de la scène-clé pendant laquelle Holmes saute dans tous les sens (et joue très mal du violon) pour comprendre comment on en était arrivés là. Alors je sais pas si c’est le russe, le jeu de l’interprète de Holmes, ou l’écriture, mais franchement j’ai été semée pendant plusieurs minutes.

Je ne suis pas ultra-familière du canon tel qu’écrit par Sir Arthur Conan Doyle, mais il semblerait que la quasi-totalité des intrigues de Sherlock Holmes aient été spécifiquement inventées pour la série, et ne soient pas des adaptations d’histoires publiées par lui (3 sur 8 seulement sont directement issues de l’œuvre de l’écrivain). C’est un parti pris intéressant vu le classicisme de cette adaptation, et sa fidélité à l’œuvre d’origine dans les autres domaines.
Las, en dépit de son succès, et de toutes ses bonnes idées, sans parler de sa réalisation, Sherlock Holmes n’obtiendra jamais de seconde saison : Andrei Panin, qui incarne Watson, est décédé alors que les épisodes déjà tournés étaient en pleine post-production. Ne restent donc que ces 16 épisodes pour apprécier cette nouvelle itération des aventures du détective de Baker Street… ce qui serait déjà beaucoup si on arrivait à les voir en France.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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