Plus dure sera la chute

19 février 2015 à 13:04

En 1932, les seules personnes en Inde à partir en vacances étaient les riches Britanniques. Indian Summers nous emmène à Simla, une ville au pied de l’Himalaya où les familles les plus aisées se retrouvent invariablement chaque été. On est dans l’entre soi le plus total, on se connaît, on se voit tous les ans. Évidemment, ce n’est pas les vacances pour tout le monde : dans l’Inde coloniale, le personnel indien est réduit à la servilité, et n’a pas une minute pour souffler lorsque commence l’été…

…Oh, pardon, ce pitch vous semble familier ? Si beaucoup d’amateurs de fiction anglophone auront eu une pensée pour Downton Abbey, la série Indian Summers dont je vous parle aujourd’hui a aussi voire surtout une dette envers Badehotellet, la série historique danoise.

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Indian Summers pose clairement sur la table son ambition de parler avant tout de la transition de l’Inde coloniale. Une mission d’autant plus importante que peu de séries occidentales s’y engagent, à plus forte raison sur le long terme ; or Indian Summers est loin d’être une mini-série : elle ambitionne, si elle trouve le succès, de compter un total de 5 saisons pour s’étendre sur plusieurs années (vraiment, ça ne vous rappelle rien ?).
But avoué, donc : couvrir les mutations de l’Inde jusqu’à son indépendance en 1947, certes avec un point de vue majoritairement européen (à l’impossible nul n’est tenu). Mais pas seulement. Car après une première guerre d’indépendance qui n’aura pas donné les résultats escomptés pour les Indiens, la population locale est de plus en plus animée par des mouvements nationalistes, et un certain Ghandi donne de l’espoir. Les protagonistes d’Indian Summers n’ont pas vécu la première lutte de 1857, mais ils font l’expérience de ses conséquences, dans un pays où le pouvoir des Britanniques s’effrite progressivement et où la colère monte.

Pour chroniquer tout cela, Indian Summers avance masquée derrière des airs de soap. Cela semble être une solution de facilité (et cela explique aussi les comparaisons faites avec Downton Abbey), mais à bien y regarder, derrière les romances et les manigances, les passions et les jalousies, absolument aucune intrigue n’est vraiment indépendante (si vous me passez l’expression) de la situation politique et sociale du pays. En outre, il se passe difficilement une scène dans laquelle on ne nous rappelle pas tout le mépris et le dégoût, tout le racisme soyons clairs, des Britanniques pour les Indiens. Mais un racisme systémique avant tout : si certains Britanniques affichent un dédain plus évident que d’autres, le racisme colonial s’exprime ici surtout par des limites physiques, économiques, hiérarchiques, voire symboliques, imposées aux Indiens.
C’est primordial dans ce que la série essaye d’accomplir. Il faut en effet garder à l’esprit que Simla n’est pas juste une destination estivale : depuis 1876, l’administration britannique s’y déplace presqu’entièrement. La ville de montagne devient de facto, pendant la saison de la mousson, la nouvelle capitale de l’Inde.
Simla est donc au centre des changements qui se jouent à l’époque. Ce que veut raconter Indian Summers n’est surtout pas comment les riches, coupés des réalités du pays, ont vécu le passage vers une Inde indépendante, de loin ; mais bel et bien comment ceux qui se croyaient invulnérables se sont au contraire trouvés aux premières loges. Et ça c’est nouveau.

Ce dimanche, Indian Summers devait démarrer sur Channel 4 face à The Casual Vacancy, une série de la BBC adaptée d’un roman éponyme de JK Rowling et co-produite par HBO ; la première a attiré 2,5 millions de spectateurs… quand la seconde en captivait 6,6 millions. Mais si de loin, cela ressemble à une déculottée, en réalité Channel 4 a réalisé là le meilleur démarrage pour un drama depuis la mini-série Elizabeth I, il y a déjà 10 ans. Et il y aurait intérêt, car Indian Summers est la production la plus onéreuse jamais commandée par la chaîne, pour un total rondelet de 14 millions de livres.
Je vous rassure, ça se voit ! Entre les costumes, les décors et la réalisation, c’est un vrai régal pour l’œil ; on a tout le loisir d’admirer les fantastiques extérieurs, espérons qu’on passera un peu de temps aussi à l’ombre des murs de Chotipool et des autres résidences cossues. Les musiques ne sont pas en reste, et le cast, pléthorique, est épatant.

Tout cela rend Indian Summers quasiment irréprochable. En fait, je voudrais vous dire qu’il y a un bémol quelque part, mais j’ai été passionnée de bout en bout pendant ce premier épisode.
C’est une vraie grande production historique, parce qu’elle n’est pas simplement une fresque glamour, mais aussi une série politique et sociale décidée à ne jamais s’éloigner longtemps de son sujet. Et si j’en crois l’aperçu du reste de la saison, diffusé à l’issue de cet épisode inaugural, je vais encore passer de nombreuses heures dans les hauteurs de Simla…

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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