8 années nous contemplent

6 avril 2015 à 23:11

C’est une drôle de chose qu’un revisionnage. On revoit un épisode et on le regarde à la fois avec des yeux qui ne sont ni neufs ni complètement usés. C’est encore plus palpable quand, comme moi, on a tendance à faire ça avec des pilotes. Revoir un pilote, c’est pénétrer dans un monde qu’on connaît déjà, auquel on a été introduit il y a longtemps et dont on se sent familier… Et pourtant, justement à cause de cela, l’épisode inaugural revêt un caractère de nouveauté. Le terme « redécouverte » prend vraiment tout son sens.
Le plus saisissant, toutefois, c’est de se lancer dans le revisionnage d’un pilote et d’être en mesure de relire ce qu’on en a dit, le jour où on a posé les yeux dessus pour la toute première fois. Il y a une raison pour laquelle j’aime autant regarder le tout premier épisode d’une série, et il y a une raison pour laquelle je trouve plus intéressant d’écrire sur ce sujet que sur, mettons, une saison ou une série complète (les statistiques de ces colonnes en témoignent). Pouvoir mettre côte-à-côte l’avant et l’après sont une expérience qui fait vraiment questionner notre rapport à une série en particulier, et aux séries en général.

Ce que l’on a mémorisé de ces premiers instants, très souvent, est totalement différent de ce qu’on avait souligné au moment de la découverte. Même en mettant de côté la problématique, pourtant centrale dans un pilote, de l’introduction à monde inconnu (qui au revisionnage, par définition, est entretemps devenu connu voire maîtrisé), il reste que les points saillants d’un épisode inaugural ne sont pas nécessairement ceux que l’on aurait cru.

Avec l’arrivée de son terme, j’ai eu envie de me relancer dans un marathon Mad Men, une série dont je me souvenais avoir pensé grand bien, mais que j’avais lâchée en cours de route pour toutes sortes de raisons qui ne sont pas mon objet ici. En tous cas, c’était une séparation à l’amiable, et certainement pas un problème que j’aurais eu avec la qualité, les histoires ou même les personnages. Dans l’ensemble, j’aimais bien Mad Men pendant toutes ces années, juste pas au point d’avoir envie de m’y remettre. Et sûrement pas au même point que le reste de la planète, ce qui jouait aussi.
J’ai donc lancé le pilote avec un état d’esprit particulièrement bien disposé ; le pilote, je l’ai d’ailleurs vu plusieurs fois depuis que je l’ai découvert en 2007, et j’ai l’impression qu’il ne m’offrira aucune surprise. C’est juste une façon de me replacer dans le contexte, reprendre à la case départ, pour progressivement quitter les intrigues qui me sont familières et découvrir les inédits (ils le sont pour moi, en tous cas !).

MadMen-650

Mais en allant relire ma review de ce même épisode, je m’aperçois qu’en 8 ans mon regard sur cet épisode a énormément évolué.
Par exemple je suis désormais totalement insensible au charme de Don Draper, qui m’apparaît plus comme du cabotinage de la part de Jon Hamm que l’expression d’un magnétisme irrésistible. Ça peut s’expliquer par plein de choses, sûrement. Plus étonnant, l’époque de Mad Men me fait beaucoup, beaucoup moins rêver. Vu ce que nous raconte ce premier épisode, j’ai beaucoup de mal à trouver l’époque glamour ! La surenchère de cigarettes, en particulier, si elle s’explique totalement dans le contexte de la série et évidemment de l’épisode lui-même, me renvoie une image absolument contraire à ce que je qualifiais alors du « summum de la classe ». Impossible de regarder les interactions avec Don Draper sans me demander comment il ne sent pas le tabac froid, l’alcool et la sueur pendant la moitié de cet épisode, minimum. Ça n’a strictement rien de ragoûtant d’imaginer être dans son entourage olfactif.
Au-delà des questions cosmétiques, cette introduction à Mad Men ne me semble pas lente du tout. Peut-être parce que dans l’intervalle, j’ai décidé que la série s’intéressait plus à son ambiance et ses personnages, qu’à des intrigues au cordeau. Peut-être parce que, depuis juillet 2007, j’ai vu des dizaines de séries bien plus lentes encore tenter de me happer dans leur univers avec un pilote muet quant à ses intentions. Sûrement que l’expérience de narrations toujours plus diverses assouplit la téléphage.

Certaines choses ne changent pas, heureusement. J’ai toujours envie d’applaudir quand Mad Men invente, sous nos yeux, l’art de la publicité avec un Don Draper qui découvre qu’une fois qu’on fait abstraction des contraintes, les possibilités créatives sont infinies.

Je me relis et c’est comme si deux personnes différentes avaient vu un même épisode. J’ai presqu’envie de m’envoyer des SMS dans le passé pour me demander pourquoi je me suis sentie, en 2007, un peu larguée. Ou pourquoi, alors qu’elles sont tellement évidentes (et parfois pas franchement fines), les références multiples à la place des femmes dans le monde du travail, et le monde en général, ont si peu frappé la téléphage d’alors. J’ai ma petite idée sur le sujet, mais quand même, je préfèrerais en avoir le cœur net.

Relire cette review me fait penser que… c’est une mauvaise review. Pas simplement parce que je ne suis plus d’accord avec beaucoup de ce qu’elle énonce, mais surtout parce qu’elle met en avant des raisons totalement ineptes de suivre Mad Men. Le charme esthétique de la série, de son personnage principal ou de ses musiques, quoiqu’on en pense au demeurant, ne devraient pas déterminer si on va « savourer chacun sans retenue aucune » les épisodes suivants. J’y appuie peu sur ce qui fait qu’une fiction mérite d’être vue (ou non), et plus sur les raisons de la suivre presque comme un clip musical. Là où j’effleure des questions intéressantes (par exemple quant aux motivations obscures des personnages, comme Peggy), je passe aussi vite que possible sur le sujet. L’inverse aurait été beaucoup plus intéressant.
Je lis cette review et je me demande si mes reviews actuelles ont changé depuis (et même si c’est le cas, est-ce vrai pour absolument toutes ?), laissant ensuite à déterminer si c’est une bonne ou une mauvaise chose. L’enthousiasme de cette vieille review est évident, mais pas très communicatif finalement ; on en apprend ce que j’ai ressenti sur l’instant, mais pas vraiment ce qui pourrait faire de Mad Men une série au démarrage intéressant, ou non. A l’inverse de beaucoup de mes reviews d’aujourd’hui qui sont souvent verbeuses, intellectualisantes, et pas franchement électrisantes… Alors à tout prendre, bon.

C’est une drôle de chose qu’un revisionnage. On commence par revoir un épisode pour comparer nos impressions d’aujourd’hui avec celles d’hier, et on finit par comparer la revieweuse d’aujourd’hui avec celle d’hier. Il n’est pas exactement un fait nouveau que nous évoluons avec les années, et ce n’est pas une révélation non plus si je vous affirme que notre rapport aux séries évolue en parallèle. Mais en faire l’expérience reste tout de même un peu étrange.

Je me demande ce que je penserai du pilote de Mad Men dans 8 ans… Je me demande quel genre de reviews j’écrirai dans 8 ans ?

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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