Tu ne convoiteras pas la série de ton voisin

19 avril 2015 à 17:30

Les Israéliens n’ont pas besoin de caricatures dans les canards satiriques : ils se chargent très bien de l’humour eux-mêmes, merci. Ils le prouvent avec HaYehudim Baim (projetée à Séries Mania sous le titre The Jews Are Coming), une comédie au vitriol.

Peu de séries se lancent dans une critique de leur propre société avec autant de jouissance. On sent que la petite équipe de HaYehudim Baim s’est complètement lâchée dans cette série à sketches autour de la religion juive, la culture juive et spécifiquement israélienne, et la politique israélienne en particulier. Je m’attendais à un ton grinçant, mais ça ! Je crois que j’avais les yeux tellement écarquillés que l’un d’entre eux est tombé sur mes genoux.

HaYehudimBaim-SeriesMania-650

Le choix de la comédie à sketches rend peut-être HaYehudim Baim difficile à critiquer (chaque sketch ayant ses propres points forts et points faibles), mais il a énormément de sens. Pas besoin de s’embarrasser d’une histoire de plus de 4 minutes, de personnages réguliers qu’il faudrait peut-être même développer dans le temps, et de toute cette sorte de choses : la série peut se contenter d’explorer une idée de sketch pour fustiger le point spécifique qu’elle s’est fixé, et ne plus y revenir ensuite.

Cela donne une suite de saynètes qui voyagent dans le temps (la série s’ouvre sur un sketch dans lequel Moïse présente les 10 Commandements au peuple juif… qui ne comprend pas trop comment les mettre en œuvre et voudrait bien avoir quelques dérogations ; d’autres sketches se passent au 19e siècle ou de nos jours) ainsi que dans l’espace (l’un des sketches se déroule… en France !). On y trouve aussi bien une famille d’inconnus qui discute autour du dîner, que des figures historiques comme Adolf Eichman qui s’apprête à être la première personne exécutée en Israël.
Le seul point commun ? Le mauvais goût. Pas au sens où on regarde HaYehudim Baim d’un regard désapprobateur, mais parce que les sketches, outre leur ton critique acerbe, sont aussi truffés d’humour noir.
Alors oui, c’est drôle, hilarant pour certains passages mêmes, mais on est aussi un peu horrifié de rire de tout ça.

Serez-vous étonné d’apprendre que HaYehudim Baim a fait polémique ? Un an même avant sa diffusion dans son pays natal, une video de promotion de 19 secondes à peine a mis Channel 1 à feu et à sang. Utiliser l’argent public pour une série aussi outrancière ne pouvait que provoquer un tollé. 19 secondes, c’est tout ce qu’il a fallu faire enfermer (sûrement à double tour) HaYehudim Baim dans un fond de tiroir pendant un an.
Et il n’est pas difficile de comprendre pourquoi. Ne voit-on pas dés le pilote une famille israélienne se réjouir de tuer tout le monde pour régler ses problèmes ? Une équipe politique s’enquérir des Juifs d’Afrique noire qu’il faudrait faire venir en Terre Sainte… si on arrive à se décider sur qui va les posséder ? Une longue scène d’exécution par pendaison qui se conclut par des Juifs applaudissant un Nazi ?
Convaincus que la série était vouée à tomber dans l’oubli, Natalie Marcus et Asaf Beiser, les créateurs de HaYehudim Baim, ont alors commencé à diffuser les épisodes un par un dans un petit bar de Tel Aviv, dont la fréquentation par les professionnels israéliens de l’audiovisuel a brutalement augmenté (étrangement). La comédie s’est donc fait une réputation avant même d’être diffusée, y compris auprès des adeptes du mouvement « New Spirit » qui tente de transformer Jérusalem en une ville pluraliste et séculaire, et qui apprécient notamment l’humour de HaYehudim Baim sur la Torah.

Finalement c’est le parlement israélien qui aura dû statuer sur la diffusion ou non de la série dans les grilles de Channel 1… non sans que le parti religieux Habayit Hayehudi, outré, ait tenté de proposer qu’une série satirique représentant cette fois les idées de droite du nom de Latma, soit également imposée à la chaîne publique pour compenser (la tentative a échoué).
La diffusion de la série, à l’automne dernier, ne s’est pas faite sans vague… mais pourrait aussi bien être le début de quelque chose de plus vaste : Marcus et Beiser se sont rendus devant le parlement pour proposer la création d’un beit midrash, un centre d’études séculaire.

Au-delà de la politique et des remous causés par la comédie, il est toujours possible de rire de HaYehudim Baim, dont j’ai trouvé le premier sketch avec des sous-titres anglais. Ce n’est pas le plus dérageant du premier épisode, mais il donne quand même bien le ton.
Et très franchement, nul part ailleurs qu’en Israël je ne peux imaginer une série prenant un tel degré de liberté avec le fait religieux.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

2 commentaires

  1. amdsrs dit :

    HAN! c’est génial!
    Ça a un vrai air de Monty Python, j’adore *_*
    Merci pour l’article et la vidéo!

    (Post Scriptum un peu tatillon: « scénette » s’écrit en fait « saynète ». Je sais, c’est inattendu…)

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