Cure for the common western

25 juin 2015 à 12:00

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Je ne sais pas trop si vous avez remarqué, mais l’univers du western est quand même vachement viril. Vous l’aviez noté aussi ? Ouais, en même temps je vous accorde que c’est assez net ; et d’ailleurs, on le disait en début de semaine, cela fait partie des raisons pour lesquelles les westerns sont tombés en désamour dans les années 60. Les hommes (généralement blancs) ont longtemps tenu le haut du pavé dans les séries de western, enfin façon de parler parce que les routes n’étaient pas pavées, mais vous voyez le genre.
Fort heureusement, cela ne signifie pas qu’aucune femme n’a eu sa série de western. Et aujourd’hui, je vous propose de parler de ces quelques femmes qui ont réussi l’impossible : s’imposer dans un monde masculin, et dans un genre longtemps considéré comme masculin.

Et donc naturellement nous allons parler de Dr Quinn, femme médecin. Obligée. C’est que voyez-vous, Dr Quinn n’était pas qu’une série de western avec une femme : c’était aussi un immense succès public. Inutile de mâcher les mots : c’était un hit pour CBS, purement et simplement. Et à vrai dire, c’est le dernier western au long cours (j’exclus donc les mini-séries) à avoir réussi sur un network américain, à une époque où comme vous le savez, les westerns étaient devenus rares.
Que peut donc bien avoir Michaela Quinn que d’autres héros de western n’avaient pas ? Eh bien pour commencer, un sens aigu du mélange des genres. Mais ça ne devrait pas vous surprendre : vous savez désormais, cette semaine l’a prouvé, que le western se mélange de bien des façons, et qu’à partir d’un genre en apparence monolithique on peut obtenir des séries en réalité très différentes les unes des autres. Si Dr Quinn a réussi son coup, c’est grâce à son emprunt à la série familiale et à la romance.

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Et c’est visible dés le téléfilm pilote, puisqu’en arrivant à Colorado Springs de Boston où elle a toujours vécu (dans une famille aisée mais où elle n’était proche que de son père, aujourd’hui décédé), Michaela Quinn se retrouve vite avec trois enfants sur les bras, après que leur mère Charlotte ait succombé à une piqûre de serpent. L’héroïne doit donc composer avec deux adolescents et un petit garçon, qu’elle ne connaît que depuis quelques semaines, alors qu’elle ne s’est jamais vraiment imaginée être mère, et encore moins du jour au lendemain. Dr Quinn part du principe à la fois que son héroïne va essayer de construire une relation avec ces orphelins, et qu’en même temps, elle y réussira, construisant ainsi un foyer chaleureux avec les moyens du bord. Cette promesse de la série permet de bâtir un univers stable et familier, dans lequel les interactions de Michaela avec Matthew, Colleen et Brian seront parfois houleuses, mais auront toujours une chute positive.
Quant à la romance, elle se construit de façon plus qu’évidente alors que Sully, le ténébreux veuf qui désormais vit parmi les Cheyenne, lui vient en aide plusieurs fois dans ce pilote, non sans plonger silencieusement ses grands yeux bleus dans les siens. C’est beau comme du Barbara Cartland. Personne ne doute à l’issue du pilote que Byron Sully soit l’enjeu amoureux de la série, et que ces deux-là soient destinés à être ensemble… mais bien-sûr pas tout de suite, oh.

Soyons clairs : le mélange de western (véhicule par excellence de valeurs conservatrices), de valeurs familiales, et de romance surtout pas concrétisée, est une aubaine pour un network comme CBS qui courtise précisément ce public. Ce n’est pas un hasard si le network commande régulièrement des séries et mini-séries de western bien au-delà de la péremption du genre dans les années 60, et plus que tous ses compétiteurs depuis le début des années 90. Peut-être même réunis.
Mais Dr Quinn ne se veut pas rétrograde, et joue donc en permanence avec les limites des genres imposés pour prouver qu’on peut être conservateur ET avoir une vision féministe de ses personnages et ses intrigues.

Le « Dr Mike », comme on aime à la surnommer, est en effet l’une des rares femmes diplômées de médecine de son époque (une chance que Michaela attribue à son père qui a su l’encourager dans sa vocation, au lieu de chercher à l’en détourner comme sa mère), et à ce titre, la moitié du pilote consiste à expliquer que même lorsqu’ils ont besoin d’un docteur, les habitants de Colorado Springs renâclent à faire appel à une femme… quand bien même elle est venue s’installer en ville précisément parce qu’elle pensait aller là où on aurait besoin d’elle, sans préjugés.
J’ai bien dit les habitants. Pas les habitantes. C’est une constante dans cette première heure et demie de la série : Charlotte, mais aussi Maude (la femme de Loren), Myra (une des prostituées du saloon) ou encore Emily (une femme enceinte), mettent toutes leur vie entre les mains de Michaela, parfois empêchées par les hommes de la ville qui ne jurent que par Jake, le barbier local qui fait aussi les extractions de dents à ses heures perdues. Il n’est pas compétent, n’est même pas capable d’empêcher une coupure sur sa propre main de s’infecter, mais il a la confiance des hommes parce qu’il en est un également.
Il est intéressant de noter que lorsque viendra le moment de soigner un chef Cheyenne, Black Kettle, aucun homme ne fera d’histoire parce qu’elle est une femme… mais uniquement parce que la médecine qu’elle pratique est inconnue des Indiens (qui sait dire « trachéotomie » en Cheyenne ?). C’est d’ailleurs ainsi que Michaela obtiendra le titre de « Medicine Woman », justifiant le nom original de la série (Dr Quinn, Medicine Woman) et maltraité au moment de la traduction, pour changer.

Tout dans le premier épisode de Dr Quinn rappelle combien l’existence des pionniers est genrée, parfois en dépit du bon sens, et la série s’attache à décortiquer la plupart de ces évidences pour montrer qu’elles ne sont dans l’intérêt de personne, et bien-sûr surtout pas des femmes. Dans le même temps, la série renforce toutes sortes de clichés (sur lesquels reposent grandement les intrigues familiales et romanesques), et n’envisage le bousculement du cloisonnement que dans le cas de Michaela, plus particulièrement dans la sphère professionnelle. Aucun autre personnage féminin de l’épisode ne profite, ni même ne semble avoir envie de profiter, d’une quelconque équité de traitement ; les femmes sont perpétuellement ramenées à leur rôle traditionnel et s’y sont habituées. La série elle-même traite son héroïne comme une exception à tous ces égards (elle est célibataire et plus ou moins résignée à le rester, ne sait pas faire tourner une maison et encore moins dans l’Ouest sauvage, etc.). Et une exception relative : Michaela ne s’en rend pas compte, mais dans ce premier téléfilm pilote, elle va chaque fois qu’il est question d’affaires domestiques, demander de l’aide à Colleen, et en matière de sécurité, faire appel à Matthew ; Dr Mike reste une femme de son époque. Et la série, avec elle, se complait dans ces ressorts traditionnels.

Pour autant, cela n’empêche pas Dr Quinn de renverser certains clichés sur la tête. Ainsi, lorsqu’une scène montre comme imminent l’assaut des troupes de la cavalerie et des quelques Cheyennes sortis de la réserve (pour des motifs totalement louables d’ailleurs), Sully protège Michaela en l’emmenant se mettre à l’abri sur le côté, dans des fourrés ; au lieu de quoi celle-ci ce lève, arrête le cheval de l’officier, et expliquer la raison de la présence des Indiens hors de leur réserve. Leçon du jour : Dr Quinn n’a pas besoin qu’on la sauve systématiquement, elle est très bien capable de se mettre en travers du danger toute seule comme une grande, ET DE L’ARRÊTER. A l’inverse, il s’avère que Sully était un excellent mari et père de famille en devenir… du moins jusqu’à ce qu’une tragédie ne le prive de sa famille ; ce n’est qu’alors qu’il est devenu un homme d’action. Dr Quinn ne tourne pas ces deux caractéristiques en démonstrations engagées ou pédagogiques : elles sont l’expression, tenue comme allant de soi, de personnalités qui dépassent les rôles genrés. C’est acquis : ces deux personnages sont ainsi. Ils sont peut-être des exceptions, mais la série ne va pas s’acharner à l’expliciter au spectateur, et se contenant de construire leur individualité respective au fil des évènements.

En s’attaquant aux constructions sociales de l’Ouest, issues à la fois d’une époque et de circonstances particulières, Dr Quinn, femme médecin s’attaque à un thème qui dans de nombreuses séries a été soit passé sous silence, soit abordé en passant seulement. Dans les séries d’aventures, surtout si elles visaient les enfants (comprendre : les enfants mâles) et le public masculin comme aux débuts du genre western à la télévision, ces sujets n’avaient pas beaucoup d’attrait pour le public ; mais en opérant un changement de cible, la série a tout loisir de se pencher sur ces questions : discriminations sexuelles, mais aussi raciales, socio-économiques ou culturelles, sont le champ d’action de Dr Quinn en-dehors de sa romance surannée et de sa sympathique famille recomposée. La présence de Robert E. l’ex-esclave, Myra la prostituée ou encore Cloud Dancing le Cheyenne, dés ce premier épisode, en sont le témoignage.
Dr Quinn est une série très consciente de s’aventurer dans des discussions peu ou pas tenues sur l’imagerie de l’Ouest américain dans les fictions télévisée, et elle le fait avec sérieux. En une heure trente, le pilote fait très peu appel à la comédie (quasi-uniquement pour le running gag de l’inaptitude totale de Michaela avec les chevaux), et multiplie les revirements de situation sans chercher à les aérer avec de l’humour ; après tout, l’esprit de famille compense déjà pas mal. Mais étrangement on ne regarde pas le téléfilm inaugural de la série en ayant l’impression que le scénario se prend trop au sérieux (bon, Jane Seymour, parfois, si). C’est vraiment à son honneur, étant donné que Dr Quinn est clairement conçue autour de la notion de divertissement grand public.

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Comment Dr Quinn aurait pu totalement se planter pour son premier épisode ? Ça ne demande pas un gros effort d’imagination que de vous le dire : il suffit de désigner celui de When Calls the Heart, son héritière lancée l’an dernier sur Hallmark (à noter que le premier épisode de la série sert de reboot au téléfilm qui l’a précédé, en raison du changement d’actrice principale).

Coupons court au pseudo-suspense de cette review dans la review : les scénaristes When Calls the Heart ont forcément vu le pilote de Dr Quinn, femme médecin. Probablement PENDANT l’écriture de When Calls the Heart. Chaque jour. Plusieurs fois par jour.
Le repompage est total, parfois à la scène près. De la même façon, l’héroïne Elizabeth Thatcher (fille d’une riche famille ayant toujours vécu dans l’opulence) arrive en terre frontalière en diligence, et remarque en voix-off combien les dangers sont nombreux dans cette contrée. Elle arrive pourtant à Coal Valley en piteux état, et se présente à son poste avec du retard parce que ladite diligence a été attaquée et ses affaires personnelles se sont envolées. Elle vient dans cette petite bourgade parce qu’elle est hautement qualifiée (elle est institutrice), mais plus à l’aise en théorie qu’en pratique. Elle tombe presqu’instantanément sous le charme d’un homme d’action (Jack Thornton, le garde monté qui vient d’être affecté dans la même ville qu’elle). Elle se trouve également un foyer d’accueil (…où elle s’intègre après avoir brûlé le logement de fonction dés le premier soir). On a même droit à un gag sur l’incapacité d’Elizabeth à monter à cheval. Mais où sont les attaques en justice pour plagiat ?!

La constante ? Chaque fois que When Calls the Heart a vu quelque chose dans Dr Quinn pour symboliser le passage à la vie de pionnier, la série Hallmark s’est sentie obligée de ponctuer la scène (et/ou la causer) par un gag. M’est avis qu’il y a des auteurs de sitcom frustrés dans cette writers’ room ! Quant aux interactions romanesques entre Elizabeth et Jack, si elles ne donnent jamais l’occasion à l’héroïne d’être sauvée d’un danger imminent (essentiellement parce qu’en-dehors du vol au début du pilote, il n’y a PAS de danger dans cet épisode), ce qui serait un bon point, elles tournent en revanche uniquement autour de chamailleries dignes des plus grandes romcoms coréennes. Il y a du Bones et du Castle dans When Calls the Heart, et c’est à peu près la dernière chose que je souhaite à mes pires ennemis (qui, coïncidence, écrivent justement pour ces trois séries).

L’intrigue du premier épisode de When Calls the Heart est qui plus est totalement sirupeuse (ainsi que bel et bien genrée), puisque la ville minière où a débarqué Elizabeth a connu voilà quelques mois une tragédie dans laquelle de nombreux maris et fils ont trouvé la mort ; les femmes restent seules avec leur chagrin, attendant que les corps soient excavés. En cours d’épisode, les veuves vont concourir pour s’arroger la propriété d’un souvenir laissé par un défunt au milieu des décombres… sauf qu’on ignore quel défunt. Donc voilà, ça va beaucoup chialer, et quand même dire assez peu de choses, d’autant que comme d’habitude dans ce genre de séries, il faut un Vilain Méchant™, et que ça tombe comme par hasard sur le riche propriétaire de la mine. Parce qu’il est riche, on vous dit.
Il paraît que, par la suite, When Calls the Heart met les veuves dans des situations plus difficiles (essentiellement sur un plan économique), et que pour payer l’éducation de leurs enfants, à laquelle elles sont attachées, les mères de Coal Valley vont devoir quitter la vie domestique pour devenir minières à leur tour. Si j’avais la patience de me coltiner les clichés, les dialogues ridicules et les gags insupportables de When Calls the Heart, je jetterais bien un oeil par curiosité, pour voir comment tout cela s’emboîte. Nul doute qu’en préservant le métier d’institutrice de l’héroïne, la série ne prend en tous cas pas grand risque.

Au passage, dans le cadre de notre semaine thématique, notons qu’on pourrait contester le statut de western à When Calls the Heart.
La série se déroule en effet en 1910 (traditionnellement le western porte plutôt sur la seconde moitié du 19e siècle), dans une ville minière qui relève plus de Germinal que Gunsmoke. Pour l’heure (je n’ai vu que le pilote ; mais allez-y, vous, vous me raconterez), on ne trouve aucun des corps de métier visibles dans les westerns : pas de cowboy, de shérif, de marshal, de chercheur d’or (c’est une mine de charbon), et même les paysans semblent absents. Le fait qu’elle soit une série a priori située au Canada (Jack est un Mountie) n’aide pas, quoique les westerns canadiens existent aussi. Pour finir, When Calls the Heart existe pour le moment dans une étrange contrée sans First Nations d’aucune sorte et où tout le monde est blanc, blanc, blanc (sauf à être couvert de suie).
Cependant, il est bon de noter que le western ne tient pas qu’à ces éléments cosmétiques ; la série de western, comme toute la littérature du genre qui l’a précédée, a aussi voire surtout pour vocation de retracer la colonisation de terres inconnues et/ou hostiles, l’exploration de la fameuse « nouvelle frontière » (rappelons que Star Trek est inspirée des westerns et plus particulièrement… Wagon Train !) et l’esprit d’entreprise et d’aventure qu’il fallait aux pionniers pour démarrer une nouvelle vie dans un pareil contexte. Et de ce côté-là, When Calls the Heart répond parfaitement au cahier des charges : conditions de vie drastiques et vie en marge de la civilisation sont plus que présentes dans la série. Elles nourrissent non seulement les intrigues, mais surtout les gags.

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Il est non seulement possible de faire des séries de western sur (et pour) des femmes, mais il est en plus possible, à partir d’une même souche, d’obtenir un résultat très différent. Mais attendez ! D’autres explorations féminines du western sont possibles ! Rendez-vous à 18h pour le second volet de notre journée…

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

1 commentaire

  1. Mila dit :

    En ce moment, je ne suis pas inspirée par les séries récentes, alors je me suis dit que j’allais regarder ces séries dont mes amies me parlaient dans la cour de récré mais que je n’ai jamais vues, parce qu’à la maison on ne regardait pas beaucoup de télé à l’époque. J’ai commencé par Charmed, et selon le temps que dure mon envie je risque de me retrouver devant Dawson’s Creek, mais hier soir, j’ai commencé Dr Quinn. J’ai vu le téléfilm de début + trois épisodes, et j’ai été super surprise, parceque je m’attendais vraiment pas à quelque chose de bon. Je blâme le doublage français et les quelques scènes que j’ai vues en zappant à la télé dans ma jeunesse. J’avais une idée complètement fausse de la série, alors qu’en fait, ça me plait beaucoup. Et j’ai un peu flashé sur Jane Seymour, je dois dire. Du coup je suis contente d’avoir pu lire ton article~ ^-^ Et je vais continuer la série (en revanche, Charmed, après une saison, même si j’ai pas détesté, j’ai décidé que j’allais laisser de côté)(je te raconte ma vie 😀 mais aussi j’étais frustrée qu’il n’y ait pas de post consacré à Charmed… how dare you not have written extensive posts on every tv show in every country since the beginning of time ? :O)(♥)

    (J’ai aussi vu quelques épisodes de When calls the heart, mais j’avais oublié jusqu’à son existence avant de lire cet article)

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