Less is more

16 décembre 2015 à 14:08

Que faire quand on a une idée de série plutôt originale, mais un peu soporifique ? L’équipe de The Art of More a choisi sa solution : démarrer le pilote sur une scène de suspense et d’action ! Et comment une série sur la vente d’objets d’art peut trouver le moyen d’inclure de l’action ? Mais, en faisant n’importe quoi, bien-sûr ! On s’aperçoit donc très vite du subterfuge. En fait le changement de rythme est si brutal après cette introduction,que pendant deux semaines je vais devoir porter une minerve. Or, les ennuis ne font alors que commencer.

Car outre son astuce ratée de début de pilote, The Art of More a un énorme défaut : c’est une grosse merde.

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Mais avant de poursuivre la lapidation, revenons sur ce que raconte The Art of More. Jusqu’alors conservée dans un musée de Bagdad afin d’échapper à la destruction ou au trafic courants par temps de guerre, une couronne en or est volée (d’où la scène d’action) par un certain Tommy. Il emmène ensuite le précieux objet à New York, et, sur place, le propose à un collectionneur reconnu, Arthur Davenport. L’idée n’est cependant pas de planquer la couronne dans une collection privée. Au contraire : la notoriété de Davenport permettra de mettre la couronne aux enchères à prix d’or (c’est le cas de le dire), sans éveiller les soupçons. En offrant au dit collectionneur de se faire une marge de malade, Tommy a bien-sûr une idée en tête : il veut travailler pour l’une des sociétés d’enchères d’art les plus en vue de New York, Parke-Mason ; la vente de la couronne sera sa porte d’entrée. Davenport finit par accepter que Tommy représente ses intérêts (un peu de chantage aidant aussi à le convaincre), et promet d’introduire Tommy à la prestigieuse société Parke-Mason, le faisant ainsi embaucher de facto.
Davenport est aussi intelligent et raffiné que Tommy est ambitieux et calculateur ; le premier laisse le second représenter ses intérêts, mais à la condition que Tommy abandonne ses manières mal dégrossies. Celui-ci commence alors une nouvelle vie dans le négoce d’art, sous le nom de Graham Connor. Ses complets sont mieux coupés, son langage plus châtié, et il fait désormais dans le commerce légal… mais son ambition reste inchangée.

Il ne se passe franchement rien de très captivant pendant cette exposition. Ni après. Tommy/Graham apparait dans chaque scène comme animé de la volonté de remporter les portefeuilles des plus riches et influents clients, ses dents rayent le parquet, il agace ses patrons/collègues, il tente de couper l’herbe sous le pied de sa concurrente… En l’espace d’un même épisode, la formule va se produire plusieurs fois, avec assez peu de variations : ça donne peu confiance pour la suite. On le voit accumuler les gaffes par excès de zèle, mais rien dont il ne puisse se tirer par une pirouette. Jusqu’à ce que bien-sûr son passé peu légal le rattrape (surprise ! not) et le mette sur la brèche à nouveau.

Il n’y a pas que le pitch de la série qui endort dans The Art of More. Par exemple, le refus obstiné à donner quelques intérêt que ce soit aux scènes d’enchères est un énorme problème en soi ; c’est d’autant plus perturbant que The Art of More prouve de façon assez criante qu’elle ne leur voue aucun intérêt. Elle pourrait essayer de s’en servir pour introduire des scènes d’adrénaline, pour que les enjeux placés dans des scènes précédentes se révèlent alors que la tension est à son comble ; pas du tout. Au lieu de ça, on voit des personnages dont on ne sait rien ou si peu remporter, ou perdre, des enchères dont on n’est pas trop sûrs de l’enjeu : « adjugé au personnage qui a dépensé des millions sans que ça nous intéresse un instant ! ». En fait, il est clair que The Art of More n’a absolument pas compris ce qui excitait les collectionneurs et amateurs d’art dans ces enchères, et se trouve par voie de conséquence incapable de rendre ces scènes intéressantes pour les spectateurs.
En accordant si peu aux pièces présentées aux enchères elles-mêmes, la série en fait montre vite son vrai visage : The Art of More veut parler gros sous, pas art. C’est excusable de la part de certains de ses personnages (dont Tommy/Graham), pas de la série dans son ensemble. Il ne semble pourtant pas totalement incongru d’espérer de temps à autres que des considérations artistiques interviennent dans la série. Mais The Art of More est si peu captivée par son sujet (que de toute façon elle ne maîtrise pas) qu’un des objets mis aux enchères dans ce pilote sera une voiture de sport ! Bon, dés le pilote, on est déjà dans une vision très élastique du sujet… C’est bien, ça augure du meilleur pour les épisodes suivants.

Le fait que les dialogues soient sans subtilité (les personnages explicitent tout ce qu’ils pensent et veulent à un moment ou à un autre) et les dynamiques prévisibles (aucune femme n’est introduite qui ne soit un enjeu amoureux pour au moins un personnage masculin) n’aide pas à garder les yeux ouverts dans cette débâcle.
The Art of More, série dramatique de Crackle (faisant suite à son succès planétaire, euh… et, hm… nan attendez ça c’est Hulu… bon bah, j’ai rien, désolée), a en plus une distribution de limités, de mauvais, de transparents. Quand une série confie le rôle-clé féminin à Kate Bosworth, ce ne peut être bon signe. Je sais que Crackle peut difficilement se payer mieux, mais rien ne me force à endurer ça. Plus gênant : rien ne compense ce sacrifice si je décide quand même de regarder la série.

Quant à un discours de fond, il ne faut pas en chercher : même en passant, même pour finalement passer outre, même par erreur ou faute de frappe, la série ne voit sa réflexion titillée par rien, pas même ce sur quoi repose son intrigue, c’est-à-dire le vol d’art (en particulier étranger, et par temps de guerre). Nan mais, ok, allez : elle pourrait aborder au moins le fait que les clients de Parke-Mason dépensent des millions alors que dehors c’est la crise (vu l’extraction modeste de Tommy, ce ne serait pas compliqué de glisser une remarque, en plus). Ou, allez, je sais pas, au pire, elle pourrait caser un dialogue de deux lignes sur ces collectionneurs privés qui à terme privent le grand public de l’accès à la culture. Enfin je sais pas, moi, le sujet est suffisamment rare dans la fiction pour que les options ne manquent pas.
The Art of More persiste cependant à n’avoir rien à dire… Vu qu’elle a été renouvelée ce mois-ci pour une deuxième saison, apparemment elle va ne pas le dire longtemps. Mais je ne serai pas là pour le vérifier.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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