Timecop

26 décembre 2015 à 22:31

Depuis que je me suis engouffrée dans The Expanse, j’ai un appétit dévorant de séries de science-fiction, c’est assez dément. Même la déception de Childhood’s End ne m’en a pas sevrée. Résultat, il ne me fallait vraiment pas grand’chose, une vague association d’idées à peine, pour me remettre devant Continuum. La série s’étant en plus achevée cette année au terme de sa 4e saison, les circonstances sont vraiment idéales pour se lancer dans un marathon. Comme en plus je n’avais reviewé que le pilote, bah vous êtes bons pour une petite prose sur la première saison de Continuum.

Alors reprenons : en 2077, les membres d’un groupe terroriste, Liber8, sont sur le point d’être exécutés. Mais juste avant que la sentence ne soit mise à exécution, avec une aide extérieure, ils parviennent à programmer un retour dans le temps afin de s’enfuir en 2012. Dans l’explosion qui s’en suit, une Protectrice qui assurait la sécurité pendant l’exécution et qui a tenté d’intervenir, Kiera Cameron, est également renvoyée dans le passé.

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Curieusement, Continuum va à partir de là parler assez peu de science-fiction, et au contraire utiliser son concept de départ pour nous parler d’activisme sous toute ses formes.

Ainsi, quand la série nous parle du futur, la majeure partie du temps c’est pour nous rappeler sa situation politique et économique : deux termes qui ont fusionnés, vu qu’en 2077 ce sont les grandes multinationales qui ont remplacé les gouvernements. Désormais la police assure donc non pas vraiment la sécurité des citoyens, mais en premier lieu celle des corporations et de leurs intérêts. Les libertés civiles se sont amenuisées à mesure que la démocratie a cédé, mais cela ne semble préoccuper qu’une minorité de militants, les fameux Liber8. Une fois revenus en 2012, ceux-ci vont donc tout mettre en œuvre pour que le futur qu’ils ont fui n’ait jamais lieu. Avec leur connaissance des évènements qui ont forgé l’avenir corporatiste de l’Amérique du Nord, ils ont bien l’intention de modifier le cours de l’Histoire. Comment ? Eh bien ce sera la grande question : quand certains de ses membres pensent immédiatement à des actions radicales et violentes, d’autres pensent que créer un mouvement contestataire avant même que les grandes compagnies ne forment une coalition anti-démocratique (ce qui doit se produire en 2065). En reprenant le problème à la racine et en mobilisant très tôt le grand public, les gouvernements resteront peut-être en place.
On va aussi assister à d’autres formes de militantisme, hors de la sphère de Liber8 (ou entrant en collision avec celle-ci au cours de la saison 1). Ainsi Roland Randol, le beau-père d’un personnages principaux, est-il un homme très engagé à gauche dans les organisations anti-corporatistes. Cela étant, c’est aussi un profond pacifiste, qui tient des réunions dans son salon où l’on disserte et où l’on s’éduque mutuellement sur le système et ses (déjà en 2012) défauts. Une façon de faire qui n’est pas assez ancrée dans l’action au goût de son fils, Julian, qui finira par prendre les armes au nom des exacts mêmes idéaux.
Un épisode va également nous montrer comment en 2012, la politique et le syndicalisme peuvent s’entrechoquer, lorsqu’une élection syndicale majeure devient un enjeu dans lequel Liber8 s’investit en coulisses ; ici encore, il n’est pas question de violence, et pourtant ce militantisme-là n’est pas forcément montré comme étant très propre.
La question préoccupe énormément Continuum, donc, qui s’interroge sur la méthode la plus effective, la plus pacifiste, la plus honnête, la plus noble, la plus réfléchie… sachant que généralement, les opérations montrées dans un épisode ne remplissent pas plus de deux de ces critères.

C’est un choix d’autant plus courageux de la part de Continuum que la série a d’emblée décidé de placer les Liber8 dans la position des « méchants », face à une héroïne principale, Kiera Cameron, qui se place systématiquement du côté des forces de l’ordre. Quelque chose que ni elle, ni la série ne remet en question dans cette saison : dés son arrivée en 2012, elle se saisit de l’opportunité de rejoindre la police de Vancouver pour continuer à pister les Liber8 (et résout au passage quelques enquêtes annexes ; fort heureusement, cela se fait toujours en lien, fut-il ténu, avec les thématiques ou la mythologie de la série, et on évite le strictement procédural). Sa mission à elle est décrite comme sous le coup d’une évidence : les Liber8 ont été condamnés pour terrorisme en 2077, donc il faut les arrêter, et les empêcher de modifier le futur.
Cela avec, au final, peu de réflexion de sa part sur le fait que le futur qu’elle souhaite protéger n’est pas forcément si formidable que ça. Kiera n’a pas vraiment le temps de s’interroger sur leurs motivations, mais grâce à d’intéressants (bien que trop rares) flashbacks, Continuum va nous rappeler que lorsqu’elle n’a pas le nez dans le guidon, Kiera est au contraire capable de prendre du recul, et qu’elle a plus d’instinct qu’elle ne le croît.

Son travail au sein de la police va cependant provoquer quelques conflits d’intérêt pour la série ; il est clair que les membres de Liber8 ne sortent pas tous du même moule, ne pensent pas tous pareil, ne sont pas tous engagés de la même façon. Parfois Continuum se donne beaucoup de mal pour permettre à Kiera de se lancer sur leur piste et en ralentir voire stopper quelques uns, sans trop les faire échouer dans leur ensemble. Si la saison était plus longue que 10 épisodes, ce serait même très énervant. Mais ici ça fonctionne bien, et ça permet d’ailleurs de relativiser grandement l’utilisation récurrente du terme « terroriste », que beaucoup de séries ont d’ailleurs utilisé mais que peu ont su explorer de cette façon. Peut-on vraiment n’avoir pas une once de sympathie pour les raisons qui poussent Liber8 à lutter, bien qu’on rejette la plupart de leurs méthodes ?

En tous cas, au terme de ces 10 premiers épisodes, Continuum permet une réflexion approfondie et fascinante sur certains aspects radicalement dystopiques de sa mythologie. C’est une position assez courageuse, et une démarche véritablement originale. Elle permet en outre de disserter de façon abstraite sur des sujets sociaux d’actualité (où l’on reparle de l’échec des banques en 2010, par exemple), sans pour autant prendre totalement position… ni infléchir le sens de son Histoire.

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La série ne s’appelle-t-elle après tout pas Continuum ? Elle est d’ailleurs conçue autour d’une idée maîtresse concernant le voyage dans le temps : il n’est pas forcément possible, en 2012, de changer les évènements de 2077. Au contraire, à plusieurs reprises, la série va ouvertement se demander si ces évènements ne sont pas irrémédiablement liés à l’avenir du monde. Revenir en 2012 ne serait alors pas une distorsion de l’équilibre historique, mais un évènement qui en a toujours fait partie.
…Selon cette logique, il ne serait pas possible de changer le futur. Un propos plutôt rare de la part d’une série basée sur l’idée d’un voyage dans le temps !

C’est pourtant là le point le plus faible de cette saison : Continuum elle-même ne semble pas avoir choisi clairement un point de vue sur la question.
Ainsi, pendant l’essentiel des 10 épisodes, la dynamique va être que les Liber8 décrètent vouloir infléchir le futur, par divers moyens établis plus haut ; ces tentatives vont rencontrer la résistance de Kiera qui est attachée à préserver le futur qu’elle connaît (entre autres parce que son mari et son fils s’y trouvent, et qu’elle a l’espoir de revenir à ce futur un jour). Et je dis : ok, c’est peu courant, mais allons-y.
Sauf que parfois c’est beaucoup moins clair, à l’instar du dernier épisode, dans lequel le chef des Liber8 va prouver qu’il ne fait que suivre le cours de l’Histoire et s’assurer que ses points marquants se produisent comme prévu, et où… Kiera va essayer de l’empêcher d’agir, décidant par-là même de changer le futur. Elle veut sauver des vies dans l’immédiat, et c’est tout à son honneur, mais elle semble avoir brutalement oublié qu’en le faisant, elle risque d’empêcher le futur qu’elle voulait protéger, voire peut-être même le sien ! On est ici dans un problème qui relève moins des paradoxes temporels (la série, au contraire, en décidant que le temps est un continuum, et par diverses intrigues annexes tôt dans la saison, a bien prouvé qu’elle ne comptait pas se servir de cet outil), et beaucoup plus dans un défaut d’écriture. Il faut espérer qu’il ne soit que passager et/ou s’explique un peu mieux par la suite. Personnellement je n’avais vu que la saison 1 il me semble, donc je m’apprête à le découvrir.

Heureusement, ce qui termine de rendre Continuum très regardable en dépit de ce genre de bémol, c’est l’interprétation. Avec Rachel Nichols, la série s’est trouvée une interprète parfaite : elle est capable de rendre à la fois une certaine froideur (dans le futur, les Protecteurs sont encouragés à se reposer sur la technologie et ne pas écouter leur « instinct ») sans pour autant devenir un robot sans émotion. Au contraire, on la sent perpétuellement à fleur de peau dans cette première saison, où elle tente de jongler avec la séparation qu’elle vit par rapport à ses repères (entre autres familiaux) tout en essayant de s’adapter au mieux à sa nouvelle situation. Et même si le scénario, finalement, s’attarde rarement sur le sujet, c’est tout de même parfaitement rendu dans l’interprétation que Nichols fait de son personnage, ce qui compense au besoin. Cela rétablit aussi un équilibre par rapport à certains autres membres du cast (on ne les citera pas… mais on mentionnera au passage leur lourd et embarrassant passé dans Mutant X), beaucoup moins flexibles.

Le résultat, c’est une série de science-fiction peut-être assez limitée en effets de manche (peu d’effets spéciaux, la référence à la technologie futuriste est limitée, parfois même par le scénario lui-même qui met l’équipement en carafe, etc.), mais très intelligente et qui remplit parfaitement le contrat d’une série du genre : faire réfléchir le spectateur sur notre société, utiliser l’avenir pour parler du présent, et interroger sur la nature humaine.
Et en 10 épisodes, c’est quand même plutôt pas mal.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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