The Uterus Monologues

12 janvier 2016 à 17:56

La saison nippone de l’hiver 2016 démarre à peine (le taiga dorama Sanada Maru a débuté dimanche, mais l’essentiel des nouveautés est pour les prochains jours), il est donc encore temps pour moi de glisser un mot sur une série de l’automne sans passer pour totalement has been. Pour être tout-à-fait sincère, j’avais repéré assez peu de séries japonaises dans les grilles du trimestre automnal, et celles qui me plaisait n’ont pour la plupart pas été sous-titrées de toute façon. Regarder Kounodori (c’est d’elle qu’il s’agit aujourd’hui) était à la base un plan de secours.

Kounodori-650

Au Persona General Medical Centre (un centre hospitalier pré-, péri- et post-natal), le docteur Sakura Kounotori est un gynécologue obstétricien plutôt doué, mais surtout, il a énormément de cœur. Profondément investi dans le service qu’il fournit à ses patientes, il est attentif non seulement à leur situation médicale, mais aussi psychologique, et n’hésite jamais à prendre une initiative qui pourrait améliorer la vie, au sens large, des parturientes qu’il croise. Naturellement ce n’est pas un trait de caractère que la série va laisser inexpliqué, et Kounodori fournit un background « à la japonaise » pour justifier ce comportement : Kounotori était ainsi un orphelin qui a grandi dans un foyer ; ses souffrances d’enfant, il a décidé une fois adulte de les employer pour alimenter sa passion des bébés, afin que chaque petit être venant au monde ait le plus possibles de chances dans la vie.
Le personnage n’est pas tellement nuancé plus que ça dans le premier épisode, et de vous à moi, je ne suis pas totalement convaincue qu’il ne soit plus au-delà ; on lui a rajouté quelques excentricités (c’est évidemment quelqu’un d’assez indépendant qui n’hésite pas à prendre des décisions dans le feu de l’action même quand ses collègues auraient tendance à être plus réservés, par exemple, et surtout c’est aussi un pianiste de génie qui exerce dans des bars sous le pseudonyme HYPER ORIGINAL de « Baby »… si je vous dis que Kounodori était à la base un manga, vous me croyez, non ?), et ça s’arrête à peu près là. De toute façon, Sakura Kounotori est un héros simpliste qui est juste là pour servir d’interlocuteur aux cas médicaux/sociaux/psychologiques qui vont se présenter à lui, donc on ne ressent pas tellement le besoin d’aller beaucoup plus loin dans l’exposition de son caractère ou de son histoire.

Et dés ce premier épisode, Kounodori nous montre de façon décisive que son objectif est vraiment là : de parler des patientes, et de leurs circonstances. Deux cas vont ainsi occuper le premier épisode.
Le premier est un couple tout ce qu’il y a de plus classique : un mari et sa femme, qui attendent leur premier né, lequel est attendu de façon imminente puisque les contractions ont commencé. Le problème qui se pose est simplement que le travail est très lent, et qu’au bout du compte, la naissance ne se produira qu’au bout de 24 heures. Kounodori utilise ce temps pour montrer la souffrance de la future mère, mais aussi pour interroger le rôle du père pendant ce temps. Pas franchement dégourdi (quand sa femme lui demande entre deux contractions « de l’eau ! », cet imbécile s’hydrate, quand même), et mis face à une situation où il ne s’investit que de loin (il passe énormément de temps en salle d’attente à tenter de piquer un roupillon), mais absolument convaincu de savoir mieux que tout le monde (il accuse le personnel médical de retarder l’accouchement de sa femme volontairement), il va passer l’essentiel de l’épisode à prouver que ce n’est pas parce que les pères modernes sont aux côtés des mères pendant l’accouchement, qu’ils ont nécessairement la maîtrise du rôle qu’ils ont à jouer. Kounodori va livrer pas mal de petites scènes au long de ces 24 heures tout en faisant le choix de ne pas finir sur une conclusion moraliste ; mais ce n’est pas un problème : le trait est suffisamment appuyé pour que l’épisode n’en ait pas besoin de toute façon. Au final, le papa n’a pas exactement pris une leçon (une fois son fils né, il est ravi comme s’il n’avait pas tout foiré les 24h précédentes), mais les spectateurs ont quand même saisi le message.
Cependant, l’intrigue majeure de cet épisode introductif est celle d’une femme célibataire (la veinarde) enceinte jusqu’aux yeux, qui est amenée en urgence. Le problème : elle n’a pas de carnet de maternité (un livret systématiquement délivré aux femmes enceintes japonaises pour assurer leur suivi pré-natal), ce qui indique qu’elle n’a eu aucun suivi médical avant cet accouchement. Il n’existe donc aucun examen, aucune prise de sang, rien, qui puisse permettre de savoir quelles décisions prendre pour cette naissance. Elle pourrait être porteuse d’une maladie ou d’une infection, et personne n’en saurait rien. Pire encore, l’accouchement ne se présente pas super bien. Kounotori, qui évidemment est aux premières loges pour intervenir, décide de tout de même accepter la patiente (vu sa situation difficile, l’ambulance qui la transporte a été refusée par déjà deux autres hôpitaux) et de pratiquer lui-même l’accouchement. Ce sera finalement une césarienne, et l’enfant naît en excellente santé, mais les problèmes ne font que commencer. Car la maman n’a pas d’argent, pas d’entourage, et pas non plus envie de garder le bébé. Et elle va nous raconter tout ça en détail, face à une équipe de soignants qui soudain soignent en se taisant, en se figeant, et en écoutant. Kounodori va passer énormément de temps à nous raconter pourquoi cette femme est prête à abandonner son nouveau-né, et si l’épisode prend alors une tournure plus bavarde que médicale, cela donne vraiment toute sa sève à celui-ci. On s’intéresse vraiment à la femme, et pas à l’utérus (au pire) ou au zoli bébé (au mieux). La femme enceinte est une personne ; et comme la structure-même de la série semble vouloir mettre ses personnages régulier au service de cette personne, eh bien ça marche malgré le gros changement de rythme. L’épilogue de l’épisode sera d’ailleurs plus nuancé que je ne le prévoyais, la maman n’étant pas contrainte de repartir avec son bébé sous le bras, mais sans être pointée du doigt ni par le scénario, ni par les autres personnages.

Franchement, je ne m’attendais pas à apprécier Kounodori du tout. Mais les faits sont là. Et ils sont là aussi parce qu’autour du personnage central, il y a une galerie de personnages sympathiques. Le gynécologue obstétricien Haruki Shinoma, qui a fait ses classes en même temps que Kounotori, est par exemple un cas intéressant ; il passe l’essentiel du temps pour un pisse-froid, incapable de sourire et incapable de faire preuve de flexibilité ; mais d’un côté, il ne fait pas chier quiconque pourvu qu’on le laisse faire son job de façon psychorigide, et de l’autre la série entame une explication un peu plus nuancée que celle qui préside au style de Kounotori. Quelque chose a été cassé chez le Dr Shinomiya et j’ai envie de voir dans quelle mesure c’est irréparable, si la série veut bien me le montrer. En tous cas c’est une façon un peu nuancée de parler du métier de soignant. A l’inverse, la sage-femme Rumoki Komatsu, vétérane des services d’obstétrique et qui avait pris Kounoutori et Shinomiya sous son aile pendant leur formation, est une force vive. Mais on découvre que sa bonne humeur et son sourire constants sont en fait un véritable choix professionnel : en irradiant cette confiance, elle rassure les patientes et met à l’aise l’équipe médicale autour d’elle. C’est quelque chose qu’on la verra inculquer à une jeune interne en dernière année, Kae Shimoya. Cette jeune femme peu sûre d’elle a tendance à hésiter énormément, alors que les patientes la considèrent comme un médecin : dans ces conditions, comment prendre la bonne décision sans effrayer les familles, mais en connaissant ses limites ? J’aime particulièrement Shimoya parce que son interprète Mayu Matsuoka arrive à insuffler suffisamment de nuance pour qu’elle ne passe pas pour une naïve. C’est une jeune femme compétente, mais compétente pour une interne, et c’est vraiment bien rendu alors qu’il serait si simple de faire de grands yeux et pousser des oh et des ah comme certaines autres actrices qu’on ne citera pas. Un autre membre de l’hôpital Persona que j’aime bien est Takayuki Imahashi, le responsable de l’unité néo-natale. Il est patient, toujours d’humeur égale, doux, compréhensif ; et en même temps il réfléchit très vite et a une excellente compréhension de ce qui se passe dans son unité, ou dans les autres où l’activité est plus intense. Il semble avoir conscience qu’il a parfois un rôle de support en cas d’urgences, et il n’a aucun problème d’ego. C’est une belle présence dans la série. Il faudrait aussi mentionner l’assistante sociale, Mme Mukai, qui ne manifeste aucun trait de caractère significatif en-dehors du fait qu’elle est totalement ouverte, à l’écoute et d’une immense patience, ce qui me semble être une configuration déjà bien parfaite.
D’autres personnages peu approfondis peuplent encore les couloirs de Persona, et je ne doute pas que certains pourront prendre de l’importance si une intrigue se présente (un interne au service néo-natal, un infirmière, etc.), mais je veux aussi mentionner le petit rôle du directeur de l’hôpital, le Dr Osawa. Alors lui, je n’ai pas lu le manga mais je suis prête à mettre ma main au feu qu’il est ultra-fidèle. C’est une caricature ambulante. Mais ça le rend hilarant sans que la série ne se force à tomber dans le totalement comique, ce qui finalement me correspond bien. Il est l’un des seuls à savoir que Kounotori est aussi pianiste (si on savait qu’il va jouer du piano dans les bars alors qu’il est de garde, ça pourrait être mal vu), et il se caractérise par une aptitude incroyable à reconstituer des maquettes dans son bureau, et à ignorer les problèmes pratiques qui lui sont soumis. Il annonce ainsi à Imahashi et Kounotori que des places supplémentaires vont être créées pour accueillir plus de lits aussi bien pour les mères que pour les bébés, mais est soudain absorbé dans le positionnement d’une fenêtre de sa maquette lorsqu’on lui demande si cela signifiera des postes de soignants en plus. Bon c’est pas incroyable, mais comme je le disais ça fonctionne. Et ça renvoie une fois de plus à ce que je vous disais sur les séries médicales asiatiques qui aiment bien quand même rappeler que plus que des soignants, il y a un système de soin.
En-dehors du Dr Osawa, ce qui est appréciable c’est que tout le monde travaille ensemble. Ça ne signifie pas qu’il n’y a pas de tension, mais Kounodori veut clairement éviter que les intrigues interpersonnelles des soignants prennent plus d’importance que les cas rencontrés. Au pire, on s’accroche une minute, la tension retombe et on revient à l’essentiel, et ça c’est quand même le plus important aussi bien pour la vie de l’hôpital, que pour les spectateurs, qui évitent ainsi de partir dans des intrigues soapesques vues et revues.

Ah, et pour finir : je disais plus haut que Kounodori voulait parler des patientes. La vérité, c’est qu’elles veut aussi leur parler. Et ça c’est un truc plutôt atypique : quand la série parle d’une procédure médicale, elle propose un… schéma. Genre, si l’enfant se présente de telle façon, et qu’on sort un terme médical spécifique, eh bah hop, on a dans le coin de l’écran un petit dessin qui apparait pour nous dire de quoi il est question. C’est plutôt original. Ça donne en tous cas vraiment l’impression que Kounodori prend très au sérieux sa vocation d’information, voire de prévention. Si ce n’était pas diffusé par TBS, je dirais que c’est de la série médicale de service public.
Si vous ne craignez pas de verser quelques larmes, ça peut donc valoir le coup de lui donner une dernière chance, avant qu’un flot de nouveautés hivernales ne vienne l’ensevelir dans l’oubli.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

1 commentaire

  1. akito dit :

    C’est vrai que Kounodori a une vocation pédagogique, avec les petites animations pour illustrer le plus souvent les cas d’accouchements anormaux, d’autre part les professionnels expliquent aux familles ces problèmes d’une façon très claire et je dirais neutre, nullement romancée, parfois même avec une tablette à la main où se joue l’animation. On a dans ces moments l’impression d’une campagne d’information mêlée au drama !
    Bon par contre, je trouve que l’ambiance fraternelle et surtout passionnée des médecins, sage-femmes etc. qui s’investissent corps et âme dans leur métier, est franchement romancée. Je ne dirais pas que cette passion n’existe pas dans la vraie vie, ni qu’on ne peut pas être ami avec ses collègues bien sûr, mais dans ce drama les personnages ont une candeur, une innocence qui n’est pas très réaliste. Bon après tout on est en pédiatrie, c’est un peu le monde des bisounours par rapport aux services d’adultes, mais faire copain-copain avec l’anesthésiste et l’urgentiste, ça c’est de la fiction 😀
    Kounotori-sensei représente bien sûr le personnage le plus candide de l’équipe, et reste constant durant les 10 épisodes, il est finalement sans surprise une fois qu’on l’a cerné au bout du premier épisode. Interrompre son récital pour assister à un accouchement « juste » car 2 ans auparavant la patiente a dramatiquement perdu son bébé, alors que visiblement il n’est pas de garde… Mouais. Lui comme ses confrères semblent avoir mis leur vie personnelle de côté pour passer le plus clair de leur temps à l’hôpital. Imahashi-sensei qui loupe l’anniversaire de sa fille et les fêtes de fin d’année, Arai-sensei qui plante son jules qui était en train de lui faire sa demande en mariage pour rejoindre ses collègues soi-disant pas assez nombreux… Il a d’autre part le syndrome des médecins des jdrama : il est traumatisé parce qu’il n’a pas pu sauver un patient dans le passé, il est hanté par ce jour maudit et bien sûr il se promet que ça n’arrivera plus. Comme Mizuno-sensei dans Ichi Rittoru no Namida ou Takanashi-sensei dans Mioka (souvenirs !).
    Je dirais par ailleurs que ce qu’il y a en plus dans la vraie vie, c’est le fait qu’on travaille aussi en gardant au quotidien dans un coin de notre tête, la « peur du procès ». Particulièrement dans cette spécialité.
    Et pour ce qui est des cas d’accouchements anormaux, on est servi. C’est l’occasion de se plonger dans les problèmes, les démons des soignants, des médecins, et bien sûr des mères et des pères, qui tous traînent leurs casseroles. En ça l’histoire est variée, d’ailleurs tout ne se termine pas bien. Des bébés ne s’en sortent pas, des mamans non plus. Kounodori est orchestré à première vue comme d’autre drama qui dépeignent un milieu professionnel, à ceci près que je l’ai trouvé beaucoup plus réaliste sur ces dénouements. Certainement parce que c’est un hôpital !

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