And the city would have gotten away with it too…

2 mai 2016 à 18:00

Parfois se détachent des thèmes au cours de Séries Mania, auxquels il semble impossible d’échapper. Je ne veux ici pas simplement parler des meurtres et autres disparitions, déjà relevés plusieurs fois au fil de mes reviews sur la 7e édition, mais d’autres un peu moins évidents. Il y a eu par exemple un nombre assez époustouflant d’oiseaux morts (j’en ai remarqué dans The Kettering Incident, Cleverman, Lola Uppochner, et plusieurs autres) ou d’animaux empaillés (les plus impressionnants se trouvant dans Au-delà des murs), ainsi que plusieurs chaperons rouges (The Five, The Kettering Incident à nouveau). Mais le thème le plus marquant à mes yeux, c’est celui du projet de la dernière chance pour une communauté (généralement une petite ville). Un projet mis en péril par l’intrigue centrale de la série.

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Cet angle, on en trouve diverses variations dans Norskov, Ennemi public, WeinbergMar de Plástico, Lola Uppochner, The Kettering Incident (qui coche décidément beaucoup de cases !), et, à une échelle différente, on pourrait aller jusqu’à dire qu’il pointe son nez dans le quartier du Bronx de Feed the Beast.

Quasiment à chaque fois, l’idée de départ est qu’une petite bourgade tente de ralentir son déclin imminent, voire inéluctable, par un projet d’importance. Ce dernier a une portée aussi bien symbolique qu’économique : un projet porteur d’emplois dans Ennemi public, un centre commercial flambant neuf dans Lola Uppochner, un contrat providentiel pour la scierie dans The Kettering Incident, et ainsi de suite. Le projet divise, mais la majorité de la communauté s’engouffre malgré tout dans cette brèche d’espoir, essentiellement parce que si les choses ne changent pas, alors la communauté est condamnée à plus ou moins long terme (le dynamique est certainement la mieux détaillée dans Norskov, qui met en scène les réunions publiques avant les rencontres de hockey). C’est ça ou le néant, du moins la plupart des habitants en ont-ils été convaincus.
Ces éléments sont généralement laissés au second plan dans les séries en question : le cœur de ces fictions est plutôt de se préoccuper d’un décès, d’une disparition, d’un crime quelconque. Sauf que très vite il apparaît que l’intérêt général est en contradiction directe avec les intérêts particuliers des victimes de l’intrigue principale. Si tout le village d’Ennemi public reporte son attention sur la disparition d’une petite fille, alors c’est l’intégralité du projet économique qui peut s’effondrer ; si les écologistes parviennent à sauver les arbres de Tasmanie, la scierie de The Kettering Incident devra fermer ses portes et condamner les emplois de la région ; s’il apparaît qu’il y a un problème de racisme et d’exploitation d’immigrés dans Mar de Plástico, les exploitations agricoles de la mer de plastique devront faire une croix sur leur économie florissante. Et ainsi de suite.

Outre cette contradiction entre les enjeux communs et les problématiques personnelles des victimes (et leurs proches), ces séries mettent le personnage qui occupe la position d’enquêteur (qu’il s’agisse d’un véritable flic, comme dans Norskov ou Ennemi public, ou d’un civil s’étant saisi de la question, à l’instar de The Kettering Incident ou Weinberg) dans une position éminemment inconfortable. En cherchant à comprendre une tragédie donnée, ce protagoniste est ainsi voué à aller mettre son nez là où personne ne veut qu’il aille fouiner. Le personnage en question est alors potentiellement un traitre à sa communauté : en fouillant la vase, il peut tout faire capoter ! Et si le plan de la bourgade tombe à l’eau, certes on aura obtenu justice, mais que restera-t-il d’autre ? A une époque charnière pour tant de petites communautés, les grands principes sont-ils suffisants pour survivre ?
Très souvent, ce qui se profile dans ces séries, c’est la mise en place d’un (ou parfois, plusieurs) personnages incarnant le progrès de la ville, mais se présentant comme un antagoniste vis-à-vis de l’enquêteur. Chaque poussée dans un sens aura des conséquences désastreuses sur l’autre, et jettera de l’huile sur le feu entre les personnages qui incarnent ces deux pôles. N’y a-t-il pas de réconciliation possible quand l’avenir de toute une communauté en dépend, au risque de procéder à des sacrifices humains ?

Évidemment, comme seuls les premiers épisodes de ces séries ont été projetés pendant Séries Mania, il m’est difficile d’affirmer avec certitude que toutes les séries empruntant ce chemin débouchent sur une conclusion similaire. Je suis d’ailleurs vivement intéressée par la réponse que ces différentes séries apporteront au problème : certaines préfèreront-elles sauver les innocents, mais condamner la communauté ? Une petite ville devra-t-elle assumer d’avoir piétiné les plus fragiles pour sa survie économique ? Les personnages tenant le rôle d’enquêteur en profiteront-ils pour consommer totalement leur divorce avec cette communauté ?
Je trouve intéressant que beaucoup de séries (toutes sélectionnées la même année qui plus est) s’attaquent à cette thématique. C’est une façon fascinante d’intégrer des questions plus larges sur les retombées de la crise financière qui a touché l’immense majorité de la planète, et continue d’avoir des répercussions, tout en posant des questions morales plus vastes. Je ne dis pas que toutes les séries présentées lors de Séries Mania s’y sont attelées avec la même finesse, et pour certaines il s’agit vraisemblablement d’un aspect destiné à rester secondaire ; je ne pense pas que Lola Uppochner en fasse jamais sa préoccupation centrale, par exemple.
Mais cette constellation de séries a au moins le mérite de poser des questions sur ce que représente vraiment la reprise économique, et sur ce qu’elle peut coûter quand elle est encouragée au détriment des personnes fragiles (enfants, adolescents, femmes, et minorités ethniques, formant l’essentiel des victimes de ces séries, à titre individuel et/ou systémique ; à cet égard, on pourrait aussi citer les SDF de Springfloden, bien que le premier épisode de la série ne pose pas forcément la question dans des termes similaires pour le moment).

Toutes les séries s’intéressant à des meurtres et disparitions n’ont pas fait tant d’efforts, pendant ces 7e édition de Séries Mania, pour parler d’enjeux socio-économiques plus larges (dit-elle en glissant un regard courroucé en direction de The Five). D’ailleurs, celles qui l’ont fait n’ont pas nécessairement choisi ce dilemme philosophique et économique (Cromo semble s’être captivé uniquement pour des thèmes écologiques, par exemple). Je trouve en tous cas que cette convergence thématique est un symptôme assez intéressant de ce qui trouble des scénaristes répartis dans des pays parfois très différent, de la Tasmanie au Danemark, en passant par la Belgique.

Cela nous rappelle aussi que quand on y met de la volonté, un corps découvert sans vie ou un enfant qui disparaît, cela peut offrir un peu plus qu’une énième enquête. Un rappel nécessaire quand, en 10 jours, on a l’impression d’avoir assisté à tous les crimes de la planète.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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