Lèse-majesté

21 septembre 2016 à 23:51

1837. Alexandrina Victoria devient à l’âge de 18 ans à peine Victoria, reine du Royaume-Uni, de Grande-Bretagne et d’Irlande. Nul ne s’attend à ce que l’adolescente ne se révèle être une monarque émérite, et beaucoup espèrent au contraire, plus ou moins secrètement, qu’elle sera malléable.
Elle va les décevoir.

Victoria est un biopic dont on ne cachera pas qu’il est visuellement grandiose. La série prend grand soin de retranscrire l’élégance de la vie dans les palais du royaume, de Kensington à Buckingham, moyens à l’appui. Et même si l’illusion est de temps à autres obtenue avec des bouts de chandelle (ou des coquillages peints en or), on peut difficilement nier tout le travail effectué autour de l’esthétique de nombreuses scènes, pour ne même pas mentionner les costumes.
C’est le lot de toute série historique, pour ne pas dire l’une de ses missions principales. Mais au-delà, qu’a à proposer Victoria ?

Victoria-UK-650

Eh bien ce premier épisode laisse un peu à désirer en matière de profondeur, hélas. Au juste je ne serais capable de définir si le problème vient plus de l’écriture, de l’interprétation, ou simplement des thèmes soulevés, voire d’une combinaison des trois. Reste qu’on n’a pas le sentiment de se trouver face à une oeuvre qui a autant à dire qu’elle en a à montrer.

Ainsi Victoria semble un peu glacée (et je ne parle pas que des lentilles colorées de Jenna Coleman, bien que celles-ci n’aident guère), voire monolithique. Ayant établi très tôt dans l’épisode inaugural sa volonté d’être intellectuellement indépendante, de régner en adulte et non en gamine supervisée par ses proches, et de faire des choix justes mais rigoureux, la jeune reine a du mal à raconter quoi que ce soit de plus sur elle-même pendant ce premier volet. Peut-être aussi n’est-elle pas suffisamment placée dans des situations qui l’encouragent à exhiber devant les spectateurs d’autres facettes de sa personnalité, toujours est-il qu’on n’a pas l’impression de lui être intimement proche, ni de comprendre totalement ce qui peut l’animer ; moins encore de le ressentir avec elle.
Il est fort probable qu’avoir affaire à une jeune fille si affirmée d’entrée de jeu (un peu anxieuse en certaines circonstances, mais jamais vraiment en proie au doute) ne donne pas non plus beaucoup de renseignements sur ce que le personnage peut offrir en matière de character development. Par exemple, plutôt que de raconter à un personnage la façon dont elle a réalisé (à l’âge de 13 ans seulement) qu’elle serait un jour reine, sur un ton finalement assez neutre, un flashback la présentant comme plus innocente avant cette épiphanie aurait pu être bienvenu. Cela nous permettrait de nous faire une idée de la façon dont la force de caractère de la jeune reine s’est bâtie devant la nécessité d’endosser un jour un rôle d’importance. Mais cela, Victoria ne le présente pas vraiment, quand c’est réellement le genre d’angle qui lui permettrait de rester dans la mission que la série s’est fixée… sans pour autant brader l’étude du personnage central. Si encore, à la rigueur, la série décidait de montrer que Victoria considère ces choses comme son droit de naissance, ou optait de mettre en lumière combien, comme une enfant immature , elle ne prend au contraire pas la mesure de tout ce que cela implique ; le choix s’entendrait dans les deux cas et quelques autres. Mais non, c’est la série qui envisage ce règne et cette assurance comme allant de soi. C’est autrement plus dommage.
En oubliant d’interroger la plupart des nuances de son personnage, et de l’accession au trône par celui-ci, Victoria passe à côté de l’essentiel : raconter la maturation d’une adolescente sur le point de devenir la femme la plus puissante du monde. Voilà qui n’est pas rien, ni à l’époque ni maintenant !

Au lieu de ça, on se retrouve vite avec des intrigues soapesques, essentiellement axées autour de la volonté de contrôler la reine Victoria… sans jamais nous dire les résultats de ses décisions prises indépendamment de ce contrôle, au bout du compte. La fin du premier épisode la présente ainsi en train de signer des papiers dont on ne saura jamais ce qu’ils représentent pour elle en termes de défis intellectuels ou moraux, comme si seule comptait la nécessité de garder le pouvoir, et non l’usage qu’elle puisse en faire.
Certes, nombre de ces anecdotes ont leur réalité historique pour elles (comme l’affaire avec Dame Flora), mais n’apportent pour le moment pas grand’chose au portrait brossé. Pas plus que les tentatives peu discrètes d’apporter une touche de romance à une intrigue royale qui très franchement aurait pu s’en passer. Victoria aurait pu ambitionner de prendre plus de hauteur.

Il faut préciser que les personnages qui entourent la reine éponyme dans Victoria ne sont pas tellement mieux lotis qu’elle. Ce que Lord Melbourne apporte au spectateur est, pour l’essentiel, fourni par la densité magnétique de Rufus Sewell, pas franchement par le scénario. Le reste de l’entourage de sa Majesté est d’ores et déjà renvoyé à ses limites, en obligeant sa mère comme Sir Conroy à revivre encore et encore les mêmes scènes (…dés le premier épisode, ce n’est pas spécialement bon signe).

Pourtant j’ai envie d’aimer Victoria ! Je le crois possible du moment que je n’en attends rien d’émouvant, et me contente de fixer Jenna Coleman dans le bleu des yeux, ou d’apprécier les efforts de l’équipe en charge des lumières, par exemple. Sitôt qu’on en attend plus qu’une romanesque reconstitution, il devient plus difficile de lui accorder beaucoup de crédit.
Ses défauts ne font pas, loin s’en faut, de Victoria une mauvaise série, mais ils façonnent une fiction dont tout le potentiel a peu de chances d’être exploité, la limitant à des beaux atours avares de sens profond. Bien d’autres séries historiques ont parfaitement le même travers, d’ailleurs, et c’est un risque de l’exercice. Je crois que dans le fond, je suis simplement frustrée que celle-ci, qui avait tant de moyens, soit passée à côté.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

1 commentaire

  1. Mila dit :

    Arf, c’est un peu décevant ce que tu racontes là… (sauf le coup des coquillages peints en or, car j’ai l’intime conviction depuis toujours qu’il devrait y avoir des coquillages peints en or dans toutes les séries du monde entier, ainsi que chez moi) Parce que j’aime bien Jenna Coleman, et parce que la série a l’air jolie (ce que tu confirmes, c’est déjà ça) ça me tentait bien cette affaire. Bon, après, un avis mitigé ne va pas m’empêcher de tenter le coup (même les avis supra négatifs ne m’arrêtent pas vraiment, donc bon) mais mettons que .. c’est un peu décevant, c’est tout (je pousse loin le commentaire constructif, je sais). Enfin pour le moment, entre tous les dramas, je n’ai pas vraiment le temps, mais ne t’inquiète pas Jenna, un jour, toi et moi serons réunies !
    Merci pour l’article 🙂

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