Dad jokes

20 décembre 2016 à 12:13

Depuis quelques années, la critique est (quasi-)unanime : la télévision étasunienne propose un nombre grandissant de portraits féminins complexes, dépassant les stéréotypes, et. c’est. tant. mieux ! On est loin du sans-faute, et encore bien des séries tombent encore et toujours dans les mêmes excès, mais il y a un progrès certain ; nombreuses sont en outre les séries à s’attacher à explorer les problématiques rencontrées par la vie des femmes, blanches mais aussi racisées, dans la société moderne. Ce qu’accomplissent, épisode après épisode voire saison après saison, des séries comme Sweet/Vicious, Jane the Virgin, Orange is the new black ou encore Being Mary Jane, n’est rien moins que fabuleux, quand bien même subsistent certains défauts çà et là.
Cette « révolution lente », on est encore loin de la vivre du côté des séries avec des héros masculins, toutefois.

Cet automne, ce sont pas moins de 3 comédies, en particulier, qui ont tapé dans la même réserve pourrie d’idées stéréotypées et de gags recyclés. Puisque je n’ai jamais trouvé le courage de reviewer ces trois comédies individuellement, voici donc, en cette fin de mois de décembre, une compilation de mes impressions sur les pilotes de ces séries.

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De toute façon, si je veux être honnête, ces séries ont tant en commun qu’elles n’auraient pas vraiment mérité d’avoir leur propre article individuel. Kevin Can Wait, Son of Zorn et Man with a Plan reposent toutes les trois rigoureusement sur la même idée : un père, qui jusque là remplissait (au mieux) la fonction de soutien financier. Dans chaque cas, ces hommes ont délaissé l’éducation de leur(s) enfant(s), dont la charge est alors revenue à, surprise-surprise, la mère. Une mère qui pendant des années a tout géré, tout organisé, tout surmonté. Dans ce panorama, seul Son of Zorn est différent puisque les parents se sont séparés et que la mère a refait sa vie ; dans les deux autres cas, la mère a continué d’être une bonne épouse, apparemment sans jamais piper un mot au long des années.
En tous cas dans chacun des trois pilotes, un évènement perturbateur pousse cette dynamique à être changée : dans Kevin Can Wait, le héros prend une retraite anticipée ; dans Son of Zorn, il cesse temporairement de casser du monstre (c’est un barbare) pour venir dans le quartier pavillonnaire où vit son fils ; dans Man with a Plan, son épouse qui jusque là était restée à la maison reprend le travail. A partir de là, chacun de ces trois pères va être forcé d’assumer des responsabilités qu’il avait écartées les années précédentes.

D’ailleurs, « forcé » est bien le mot : l’humour de ces pilotes tourne en grande partie autour des réactions indignées de pères découvrant la réalité du quotidien de parent… et essayant par un moyen ou un autre d’échapper à leurs responsabilités. Comme si les années précédentes n’avaient pas été assez ! Et surtout, comme si on pouvait négocier avec l’éducation d’un enfant.
Man with a Plan y consacre le plus de temps dans son épisode inaugural, démontrant comment Adam, son héros, tente à la fois de se simplifier la vie, de s’imposer auprès de ses enfants, et d’être félicité pour ses initiatives. Sa démarche est d’autant plus évidente que ses enfants sont assez jeunes et que la liste des tâches de notre héros est assez longue ; ce n’est pas le cas du protagoniste éponyme de Kevin Can Wait qui cherche à mettre en place un personnage de père qui arrive vraisemblablement après la bataille, alors que sa fille aînée est déjà à la fac. Ce qui certes ne va pas durer. En fait il apparaît même que Kevin n’est pas vraiment forcé de prendre en main quoi que ce soit dans le foyer, sa femme gérant tout à la perfection ; mais étant à la retraite avec désormais beaucoup de temps libre, et surtout, se sentant obligé d’intervenir dans la vie de ses enfants (et, si l’on en croit le pilote, surtout dans la vie de la plus grande d’entre eux) en dépit du fait qu’il les méconnaît, il va avoir l’impression que le ciel lui tombe sur la tête. Quant au héros de Son of Zorn, il est à la base uniquement en train de payer une visite à son fils, mais il n’a aucune intention de prendre la moindre responsabilité ; ce n’est qu’en réalisant que son ex-femme va se remarier et que son fils et lui n’ont qu’une piètre relation (au mieux) qu’il décide de rester et essayer d’assumer son rôle de père, quoi que cela puisse signifier. Il en est moyennement sûr, pour être honnête, en particulier parce que le père et le fils n’ont pas du tout la même culture et donc la même conception de ce rôle.

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Belle brochette d’incapables.
Dans les trois cas, être père, c’est quelque chose qui s’apprend. Qui s’apprend sur le tard, d’ailleurs. Il y a cette idée qu’il n’est jamais trop tard pour s’y mettre. Après tout c’est pas comme si ces enfants avaient un véritable besoin de parent, puisqu’ils ont déjà une mère.
Et en effet dans chacune de ces trois séries (sans parler de toutes celles, similaires, qui les ont précédées… dit-elle en coulant un regard noir à Tim Allen), la mère est celle qui a systématiquement pris les choses en main pendant les années précédentes. Et cependant une dizaine d’années minimum, selon les séries (pas loin de deux dans le cas de Kevin Can Wait !). Forcément les pères tombent un peu sur leur séant lorsque soudain ils découvrent l’ampleur d’une tâche dont il ne se sont presque jamais soucié de l’exécution jusqu’à présent. Et puisque l’effort leur semble incommensurable, ils espèrent être félicités pour leur travail, ou pour être plus précise : pour la manifestation du désir de peut-être se frotter à ce travail… à condition que ça n’ait pas d’impact sur leur vie, leurs habitudes, leur confort.

Une fois de temps en temps, j’aimerais bien qu’une de ces séries se penche sur les (ex-)épouses de tout ce petit monde. Qu’on se demande comment ces femmes ont géré, seules, l’éducation de leur(s) enfant(s), comment elles ont fait des sacrifices parce qu’elles n’avaient pas le choix (notamment parce que le père a refusé de s’impliquer) souvent sans se plaindre, parce que c’était considéré comme naturel par elles et/ou leur entourage, comment elles ont jonglé entre les responsabilités tout en apportant leurs qualités d’écoute, d’empathie, de patience, et toutes ces propriétés qu’on dit typiquement maternelles et qui ne sont en fait que la marque d’un bon parent ?
Peut-être que les épisodes ultérieurs de ces trois comédies le font, d’ailleurs, mais je n’irai pas vérifier tant ces pilotes m’ont épuisée.

En fait, certaines autres séries s’attachent à parler de ces mères, de la complication de leur quotidien déjà chargé par toutes sortes de pressions sociales ; c’est le cas cette saison de la délicieuse American Housewife. Mais un point qui m’apparaît comme cruellement évident est que, quand bien même la difficulté du rôle de mère est décrite, il reste tenu pour acquis que ce « job » ne s’apprend pas. Or on ne naît pas mère, on le devient ; chose qui n’est jamais mise en évidence dans ces comédies où quelle que soit la charge de travail physique ou émotionnel, la mère sait ce qu’elle est supposée faire. Qu’elle fasse des entorses aux règles de la parentalité, par choix ou incapacité, ne change pas les faits : elle sait, comme de façon innée, ce qu’elle doit faire.
Comparez si vous le voulez avec les trois hommes de Kevin Can Wait, Son of Zorn et Man with a Plan, mais aussi avec d’autres pères de télévision. Pour autant que Black-ish tente de se moquer de Dre, il est rare que la série déconstruise le fait que son personnage central de père est souvent incapable de comprendre les besoins de ses enfants ; c’est presque systématiquement à Bow de le rappeler aux réalités (souvent après que Dre ait été prendre conseil auprès d’un autre père qui tente de le décourager de s’engager dans ce rôle : Pops). En revanche Bow n’est, pour autant que je me souvienne, jamais placée dans une situation d’apprentissage de son rôle de mère, quand bien même elle est (tout de même !) autorisée à ressentir de la fatigue ou de la colère au sujet de ses responsabilités multiples. On ne la voit jamais aller quémander de l’aide à une autre figure maternelle, non plus (elle est au contraire régulièrement en conflit avec sa belle-mère), comme si magiquement elle avait appris à concilier tout ça à son retour de couche voilà une quinzaine d’années. Et Black-ish est une série qui essaie d’aborder la question ! Ne parlons même pas des autres…
Ou plutôt si, parlons-en ! Parce que j’y ai jeté un œil, et c’est pas brillant-brillant. Plein de séries, pour la plupart humoristiques (il faut dire que très peu de séries dramatiques s’attachent à parler du foyer et ses dynamiques quotidiennes comme le font les sitcoms familiaux), n’hésitent pas à explorer jusqu’à l’écœurement ce stéréotype de la paternité qui s’apprend. Cela s’observe par exemple dans Baby Daddy, série qui dés le pilote présente les deux femmes de la série comme naturellement aptes à s’occuper d’un bébé (y compris Riley, qui n’a jamais eu d’enfant et ne dévoilera jamais comment elle a acquis cette science) alors que pour le jeune père lui-même, en dépit de sa bonne volonté, il s’agit d’un ajustement permanent, et souvent bancal. Même dans Raising Hope, série que pourtant j’aime d’un amour sincère, l’idée directrice est que sans ses parents Jimmy serait bien incapable d’éduquer un enfant. Le trope du nourrisson qui arrive sur le pas de la porte par surprise est tout entier construit sur l’idée qu’être père est une catastrophe pour ces (souvent jeunes) hommes qui ne se sont jamais préparés à l’éventualité ; le cliché a au moins le mérite d’admettre que ces protagonistes ignoraient bien souvent leur paternité, excuse que n’ont pas les hommes quarantenaires (voire plus) de Kevin Can Wait, Son of Zorn et Man with a Plan.

Je vous rassure : cet automne, heureusement, tous les pères de série ne ressemblaient pas à ceux-ci. Il y a des pères fabuleux à la télévision aussi, et heureusement, qui tiennent leur rôle pour évident, qui ne renâclent pas à s’occuper de leur(s) enfant(s), qui s’intéressent sincèrement à ce qui se passe dans leur foyer. Mais pour une This is Us, combien de Kevin Can Wait, Son of Zorn, Man with a Plan, et bien d’autres ? Et combien les automnes prochains ? Il est un peu temps, ne serait-ce que pour varier nos fictions, que les pères de séries représentent un peu plus qu’une vaste blague.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

2 commentaires

  1. mabo dit :

    C’est intéressant de voir autant de séries perpétuer cette image du père qui d’un coup débarque alors que la mère s’est toujours occupée des gosses. Je trouve que ça excuse un peu trop tous les pères absents et ça reste dans la facilité. On espère vraiment que le paysage télé va gentiment changer par rapport à ça !

  2. maxwell39 dit :

    Ca fait plusieurs années que je ne m’amuse plus à jeter un oeil à chaque nouveauté (encore moins les sitcoms 🙁 ) La seule des trois dont je pense regarder au moins le pilot d’ici mai est Son of Zorm, enfin, surtout pour l’originalité du « concept » animation/réalité que pour la qualité supposé du programme.
    Sinon, je me pose une question, pourquoi dans les séries, une femme travaillant, se doit d’être une femme forte pour concilier travail et vie de famille alors qu’on ne se pose jamais cette problématique quand il s’agit d’un homme…

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