…Et jamais ne reviens

21 décembre 2016 à 15:31

La formule est restée plus ou moins la même depuis Allan Quartermain : le monde est un endroit plein de découvertes et de dangers. Une combinaison idéale pour de la fiction ! Et bien-sûr le meilleur moyen de se retrouver confronté à ces dangers est d’essayer d’aller mettre la main sur un artéfact archéologique ou un autre.
Au cinéma, ce type d’aventure se traduit particulièrement bien, cela permet un divertissement à grand spectacle grand public ; en revanche à la télévision, on s’aperçoit vite que c’est plus compliqué. Nombreuses sont les séries d’aventure au sens large, surtout lorsqu’elles se déroulent dans des contrées lointaines (vient à l’esprit l’exemple de l’univers de Tarzan), à essayer de produire un épisode ou deux sur ce modèle… mais sur le long terme, ça a longtemps été difficile. C’est que, la série d’aventure est historiquement le royaume de l’épisode indépendant, limite formulaic ! Or au bout d’un moment, aller dans un temple perdu, récupérer une statuette, échapper à des autochtones puis rentrer en un seul morceau, et recommencer la semaine suivante, ça devient vite redondant.
Ponctuellement, une série ou une autre essaie de se frotter à l’univers des aventuriers tout en modifiant la formule (l’aventurier est une aventurière, par exemple, comme dans Sydney Fox ; ou bien l’aventurier est un étrange Élu, comme dans The Librarians…), mais ce renouvellement reste bien souvent superficiel, admettons-le, et le contenu des épisodes eux-mêmes varie peu.

C’est dans ce contexte que Hooten and the Lady tente de mettre à jour son approche de la série d’aventure archéologique, en s’attaquant en particulier au héros viril et à l’intellectuelle qui l’accompagne. Ce modèle a presque toujours eu les faveurs des séries du genre en particulier sur les écrans occidentaux (on peut suspecter Indiana Jones d’y être pour quelque chose), et repose sur une dynamique intemporelle : deux personnages que tout oppose, dont les compétences sont complémentaires, qui vont s’asticoter gentillement (peut-être même avec des sous-entendus romantiques) tout en essayant d’échapper aux dangers se dressant sur leur chemin. C’est que la série d’aventure archéologique, voyez-vous, a tendance à donner dans la légèreté.
Dans le cas de Hooten and the Lady, il s’agit d’insister sur le fait que l’héroïne, Alexandra, n’est pas impressionnée par le numéro de charmeur désinvolte de son compagnon de route. Mais surtout, l’emphase est mise sur une donnée d’importance : elle n’est pas en détresse. Lady Alex s’est lancée de façon plus que volontaire dans une expédition qu’elle sait dangereuse, et pour laquelle elle arrive préparée à plusieurs égards, quand bien même les surprises peuvent se produire. Que les amateurs de rôles genrés se rassurent, ça ne l’empêchera pas d’avoir besoin d’être sauvée une fois ou deux en cours d’aventure. Mais ce n’est pas ce sur quoi est construit la relation, en tous cas (et l’inverse peut éventuellement se produire).

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Je pense que j’aurais été plus impressionnée par le premier épisode de Hooten and the Lady si la série avait fait d’autres choix, en plus de celui-là, pour remuer un peu la poussière de la série d’aventure archéologique. Par exemple rien ne donne à penser au terme de cet épisode que la série soit feuilletonnante, ce qui aurait pu être une innovation bienvenue pour prolonger l’expédition du premier épisode sur le long terme. Pas vraiment le cas ici. On aurait aussi pu imaginer que les personnages principaux ne passent pas leur temps à s’engueuler, histoire de varier un peu l’ambiance, mais non.

Mais le plus important à mes yeux, c’est le changement de perspective qu’a induit sur moi le visionnage de Daomu Biji plus tôt cette année. Je vous ai parlé de cette série chinoise cet automne, et je crois avoir relevé, sinon je le fais à présent, qu’un passage sur la motivation du personnage principal m’avait impressionnée. Formé en archéologie, le héros Wu Xie s’interroge en effet sur le fait que des artéfacts historiques chinois se retrouvent dans des musées européens sans que personne ne s’émeuve de leur absence au sein du patrimoine chinois. Bien-sûr dans le cas de Daomu Biji, non seulement la motivation de Wu Xie mais une bonne partie de la mythologie reposent sur cette problématique, ce que souligne bien son spin-off Lao Jiu Men, mais la question mérite quand même d’être posée, non ?
J’ai eu beaucoup de mal à ne pas repenser à cet élément pendant mon visionnage de Hooten and the Lady, à plus forte raison parce que la série insiste beaucoup sur la quête de Lady Alex, ainsi que le musée en tant qu’institution (où se déroulent même plusieurs brèves scènes, et où existent quelques personnages secondaires). Il ne fait pas l’ombre d’un doute à Lady Alex que sa mission est importante, sur un plan historique, scientifique, culturel… mais ça ne la choque pas vraiment de rapporter des objets d’un autre pays dans le sien. Les implications, qui plus est pour une jeune aristocrate britannique en terre étrangère, lui échappent totalement. Désormais il semblerait que j’éprouve des difficultés, de mon côté, à ne pas le relever. Il pourrait y avoir tant de raisons de se lancer dans une quête dangereuse (la simple soif d’aventure suffirait !) sans tomber dans cet écueil… je pense à la quête de l’idée de « The Coming Thing » dans The Adventures of Brisco County Jr., par exemple, qui m’apparaît comme un superbe modèle.
Bref. Ça, plus l’éternel portrait des autochtones sauvages, ça fait quand même beaucoup de ressorts problématiques, que j’aimerais bien que ces séries d’aventure archéologique apprennent à dépasser et remplacer, au bout d’un moment. Il ne suffit pas de créer un personnage féminin qui ne soit pas une victime pour transfigurer un genre qui, par essence, a tendance à être problématique.

On est bien d’accord que Hooten and the Lady est une série avant tout conçue comme un divertissement grand public, sans la moindre complication ; sa réutilisation de nombreux clichés du genre en est la meilleure preuve. Mais est-il impossible de produire une série de ce type qui se montre à la fois légère et… attentive à ce qu’elle dit ? Moderne, en somme !
Je pense qu’à tout le moins, il est permis de se poser la question. Il me sera difficile de l’éviter lors de mes prochains visionnages de séries d’aventure archéologique, en tous cas.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

1 commentaire

  1. mabo dit :

    Très intéressante réflexion qui a beaucoup envahi mon esprit la dernière fois que j’étais à Londres à visiter le British Museum. Et c’est vrai que cette quête d’artifacts a toujours prévalu sur le fait de voler les pays. D’arriver à cette idée et d’en parler ça peut permettre aux gens de réaliser quelque chose qu’ils ont intégré comme normal. Du coup as-tu vu la suite de la série chinoise ? C’est intrigant mais ça paraît bien long. J’ai recommencé The Myth qui mémange fouilles archéologiques d’un côté avec pas mal d’action et retour dans le temps. C’est assez sympa.

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