Love is war

27 décembre 2016 à 17:25

Au cours de mes pérégrinations téléphagiques, il m’est arrivé de me faire la réflexion qu’avec Israël, la Corée du Sud est l’un des rares pays où la militarisation se ressent profondément dans la fiction télévisée. Absolument : bien plus qu’aux USA. C’est pas peu dire ! En fait, elle se ressent dans la fiction télévisée destinée aux jeunes adultes, ce qui est assez atypique. Ma théorie à ce sujet est qu’il y a une forte corrélation entre le public-cible de nombreuses séries, et la tranche d’âge visée par le service militaire obligatoire. J’explique.

Les forces militaires sud-coréennes, fortes de plus de 3 millions et demis de soldats, deviennent une réalité pour les jeunes hommes (le service est obligatoire pour eux, mais les femmes peuvent se porter volontaire) pendant 21 à 24 mois de leur existence. Il est quasiment impossible d’y échapper légalement ; le faire serait de toute façon soumis à de lourdes conséquences sociales, parfois même économiques (les Coréens ayant une double nationalité peuvent par exemple renoncer à leur nationalité sud-coréenne… mais perdent de facto une partie de leurs droits). En fait il est tellement difficile de lui échapper que chaque année, plusieurs des célébrités masculines les plus en vue mettent leur carrière florissante en pause, au grand émoi des fans ; si vous ne me croyez pas, Wikipedia les liste même par année ! Le service militaire concerne aussi bien les spectateurs des séries que ceux qui y figurent, du coup…
A ces facteurs, encore faut-il évidemment en ajouter un autre : les tensions le long de la frontière entre les deux Corée ravivent régulièrement le besoin que la fiction interroge les missions des militaires. La télévision sud-coréenne aborde régulièrement l’Histoire et/ou les difficultés présentes entre les deux pays de la péninsule, comme l’auront prouvé par exemple IRIS ou Doctor Yibangin, entre autres. C’est bien normal : c’est aussi ce à quoi servent les séries.

Tout cela explique sûrement une partie de l’importance de Taeyangui Huye (Descendants of the Sun de son titre anglophone) cette année. L’autre partie, évidemment, c’est que Taeyangui Huye emploie toutes les recettes de la romcom sud-coréenne grand public dans toute sa splendeur.

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Il ne faut en effet pas se laisser abuser par les premières images de Taeyangui Huye, qui démarre comme une série de guerre. Au cœur de l’action, histoire de capter l’attention du spectateur, on trouve deux amis et camarades, les soldats Shi Jin Yoo et Dae Young Seo, envoyés en mission dans la zone démilitarisée entre Corée du Nord et Corée du Sud.
Dans cette petite bande de terre hautement sensible, quiconque dégaine en premier endosse automatiquement la responsabilité d’une guerre qui a besoin de si peu pour éclater. Alors quand un poste de surveillance sud-coréen est attaqué par deux soldats nord-coréens, en pleine nuit, tout le monde se crispe, forcément. Les intrus n’ont blessé personne, en revanche ils semblent attendre que la réaction sud-coréenne mette le feu aux poudres. Shi Yin et Dae Young, membres d’une unité d’élite dite « Alpha », ont précisément été dépêchés sur place afin d’éviter l’escalade, et de régler la situation sans que la Corée du Sud ne porte le chapeau quant à la suite des évènements, s’ils venaient à tourner au tragique.
Comme cette séquence, qui inclut pas mal de baston, ouvre l’épisode, je me sens autorisée à vous signifier qu’elle se conclut pacifiquement sans craindre de vous spoiler : les deux amis parviennent à éviter que ne soit tiré le moindre coup de feu, les Nord-Coréens rentrent chez eux (…pour cette fois), et tout le monde peut desserrer la mâchoire pour une journée de plus. C’est pas passé loin, dites-donc.

En réalité, il s’agit là du seul passage de ce pilote s’intéressant au travail des personnages masculins de Taeyangui Huye ; la porte est ouverte à d’autres séquences potentielles par la suite, bien-sûr, mais pour cet épisode introductif, le ton va radicalement changer.
Pour passer à la romance et à la comédie, donc.

Revenus de leur mission, Shi Yin et Dae Young profitent de ce qui ressemble à une journée de permission, et se retrouvent alors au cœur d’une course-poursuite en centre ville, lorsqu’un jeune voyou tente de voler la moto d’un commerçant. Forts de leur expérience dans l’armée, les deux compères arrêtent l’individu, lequel se rétame à leurs pieds ; Shi Yin et Dae Young, parfaitement formés à l’administration de premiers soins, exécutent sur lui un premier triage tout en informant les secours. Il leur échappe totalement que le voleur en a profité pour subtiliser le téléphone portable de Dae Young dans le feu de l’action ; lorsqu’ils s’en aperçoivent, ils se mettent sur sa piste, essayant de le retrouver à l’hôpital où l’ambulance l’a emmené.
Dans cet hôpital, où désormais l’essentiel de l’épisode va se dérouler, le voleur fait la rencontre de Mo Yeon Kang. Ce médecin énergique bosse aux urgences, et se retrouve prise dans la folie douce de cette journée mouvementée, d’autant que le voleur passe son temps à essayer de s’échapper de son lit aux urgences. C’est ainsi qu’elle va se retrouver nez à nez avec les deux militaires. La rencontre a un impact certain sur Shi Yin, qui tombe immédiatement sous le charme de la praticienne et fait dés lors son possible pour la rencontrer à nouveau, ce qui ne manque pas de se produire. Ils conviennent alors d’un rendez-vous amoureux…

Bon je vous l’ai fait brève mais vous avez l’essentiel ; de toute façon Taeyangui Huye ne se joue même pas là : Shi Yin et Mo Yeon sont séparés par le boulot à la fin de l’épisode d’introduction (l’unité des garçons est envoyée en mission à l’étranger le soir où aurait dû se dérouler leur premier rendez-vous). C’est dans un pays en guerre fictif que l’intrigue est supposée se dérouler ensuite. Au moins en partie : je n’ai fait que lire les résumés.
La série restant focalisée sur la romance entre Shi Yin et Mo Yeon, il faut donc attendre une romance un peu « exotique », plutôt qu’une série sur un conflit armé. Et c’est parfaitement valable si c’est votre truc.

Il s’avère que, comme vous le savez, ce n’est pas trop le mien. Et la déception se lisait sur mon visage (une fois de plus ? une fois de plus) pendant l’essentiel de ce premier épisode, où l’on voyait si peu d’uniformes, ou alors pas pour les raisons que j’espérais.
En fait, c’est une chance que j’aie su que la série était supposée déplacer son intrigue ultérieurement dans un pays ravagé par la guerre. Sans quoi j’aurais probablement été mise très en colère par le fait que la raison pour laquelle Shi Yin et Dae Young sont introduits comme des militaires… était uniquement de justifier des scènes de baston supposément badass (les deux amis vont même s’en prendre à un gang à un moment de leur journée de permission, parce que pourquoi pas), propres à faire la démonstration de leur invincibilité. Ceci afin que, plus tard dans l’épisode, Mo Yeon puisse être impressionnée par Shi Yin, ce qui justifie qu’elle cesse de lui être hostile et qu’elle tombe enfin sous son charme. Vous voyez la logique. Soupirs excédés.

Il y a quelques bons côtés dans Taeyangui Huye, malgré tout. Si, un peu ! Le fait que Shi Yin se montre très ouvertement intéressé par la belle docteure, par exemple, est plutôt sympathique. Ce n’est pas spécialement rare dans une romcom, pas même coréenne : dans beaucoup de ces séries, les personnages masculins ont tendance à exprimer leur attirance plus rapidement que leurs homologues féminines. Mais la façon dont on va voir Shi Yin lancer des appels du pied très tôt est plutôt sympathique dans l’ensemble, et assez dénuée d’hésitations pour rendre les minauderies des uns et des autres quasiment attendrissantes.
Il y a aussi une intrigue, traitée comme secondaire, qui unit Dae Young à une jeune femme militaire du nom de Myeong Joo. Leur lourd passif (ils ont rompu assez brutalement, même si les circonstances exactes nous échappent) est plutôt intéressant, et donne lieu à une scène assez forte, toutes proportions gardées, lorsqu’enfin ils sont confrontés l’un à l’autre, après que Dae Young ait lâchement évité de croiser Myeong Joo récemment.
J’ajoute que ces deux dynamiques sont appréciables à mes yeux car elles excluent toute forme d’interconnexion : ici, pas de triangle (ou pire, de quadrilatère) amoureux, au moins pour le moment. Chacun des couples a son histoire, une évolution plus ou moins prévisible mais qui délivre son émotion propre : on n’a pas l’impression de s’embarquer dans un énième chassé-croisé amoureux. Je ne doute pas, au fond, que ce ne soit qu’une question de temps, ne serait-ce que parce que d’autres protagonistes peuvent encore s’en mêler, mais enfin, au stade de ce premier épisode, je trouve ça plutôt rassurant.

On ne peut pas parler de caractéristiques rédemptrices, cela dit. Le cœur de mission de Taeyangui Huye reste la romance, avec ce qu’elle implique d’excitant (la rencontre) comme de plus triste (la séparation). Choses qu’on a vues mille fois. Bien malin celui qui décrètera que Taeyangui Huye raconte, sur le fond, quelque chose d’unique dans le panorama des romcoms sud-coréennes… en-dehors du fait que trois des quatre personnages centraux portent l’uniforme.

Mais justement. A bien y regarder, le contexte militaire de la romcom à lui seul dit tout de même quelque chose d’unique. J’en reviens alors à ce que je disais plus tôt sur la récurrence des conflits militaires et des soldats dans la fiction sud-coréenne.
Quand bien même les raisons sont différentes (Shi Yin et Dae Young sont membres d’une unité d’élite, ils ne font pas leur service militaire), présenter des personnages en uniforme qui sont dans la tranche d’âge des spectateurs susceptibles eux-mêmes d’être contraints d’en porter un… c’est raconter quelque chose d’essentiel. C’est presque proposer un commentaire, fût-il en apparence inoffensif et apolitique comme la plupart des romcoms peuvent l’être, sur certaines réalités ; d’ailleurs une brève scène entre Myeong Joo et l’une de ses collègues (…en fauteuil roulant ; chose rare à la télévision coréenne) va expliciter les difficultés qui peuvent se présenter lorsqu’on mélange armée et amour. Le rappel de la situation avec la Corée du Nord, en ouverture d’épisode, renvoie aussi à cela, quand bien même la suite de l’intrigue se déroule dans un pays imaginaire.

Du coup, même si  Taeyangui Huye n’est pas, loin s’en faut, un chef d’œuvre, ses particularités apparaissent comme substantielles. Bien-sûr que la scène de début est un prétexte si l’on parle uniquement de ton et de déroulé de l’intrigue. Mais dans ce à quoi cette séquence fait appel, elle pose un cadre qui parle à ses spectateurs, et à leur expérience, passée ou à venir, du monde militaire. Si ce n’est personnellement, au moins en tant que classe d’âge.
C’est sympa de s’imaginer en soldat d’élite prêt à tout affronter en restant uber-cool… ça l’est beaucoup moins de devoir mettre sa vie amoureuse entre parenthèses pour des questions d’obligations militaires, de secret professionnel, d’influence hiérarchique et/ou de rang. Voilà une interrogation amoureuse qui, à tout le moins, mérite d’avoir sa place dans la fiction.

Reste que, pour le spectateur français, qui ignore actuellement ce que peut représenter le service militaire et plus encore pour une période aussi longue que 2 ans, l’attrait est bien-sûr plus relatif. C’est sûrement aux éléments de la romance qu’il faudra alors se raccrocher, à moins d’avoir la capacité (qui me manque) à se réjouir d’une scène véritablement militaire par épisode en moyenne. Mais si on ne regardait que des séries qui parle de soi… regarderait-on des séries sud-coréennes ?

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

1 commentaire

  1. mabo dit :

    Je l’ai essayée celle-ci mais j’ai pas tenu longtemps. Le cadre militaire dans un pays étranger est intéressant mais alors le côté nianian de la romcom casse tout. Y’a de ces trucs qui se passent qui sont tirés par les cheveux et des moments bien lourds entre les personnages alors qu’on avait bien compris depuis longtemps quelle était leur relation. Bref j’ai du regarder genre 5 épisodes, ma limite avant de décider de lâcher une série. Et ça a eu un gros succès en Corée en tout cas !

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