For glory, God and gold, and the Virginia Company

27 avril 2017 à 13:00

« En 1607, l’Angleterre a envoyé des hommes coloniser la Virginie. Douze ans plus tard, des femmes ont traversé l’océan pour les rejoindre ».
C’est sur ce rappel historique que démarre Jamestown, car, ainsi que Here Come the Brides nous l’avait appris (non sans frissons désagréables), il ne s’agirait pas de commencer une vie au Nouveau Monde sans perpétrer les horreurs de l’ancien : la traite des femmes a donc mené bon train parmi les Européens venus s’installer de l’autre côté de l’Atlantique. Bienvenue dans la série qui va en parler en tentant une approche pseudo-féministe (certains scénaristes osent tout, c’est à ça qu’on les reconnaît).

En coulisses de Séries Mania, il était possible de découvrir en avant-première Jamestown, une série britannique qui fera ses débuts dans quelques jours sur Sky, et qui suit trois des jeunes femmes ainsi envoyées pour être mariées à des inconnus (oui, donc vendues, hein) en Amérique. Et plus précisément à… Jamestown, c’est bien, j’aime voir que vous suivez.

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Nous voilà donc en 1919, si je sais bien compter, et après un rude voyage à fond de cale dans un bateau pas spécialement agréable (toutes les femmes montées en Angleterre n’auront pas nécessairement la chance d’arriver à Jamestown…), voilà Alice, Jocelyn et Verity qui débarquent à Jonestown où leur avenir a déjà été scellé. Leur passage a en effet été payé par des hommes dont elles ignorent tout, et qu’elles vont épouser quelques jours plus tard.
En conséquence de quoi :

Je ne sais pas trop à quoi d’autre je m’attendais, dans le fond, vu le point de départ de la série.
Toutefois, les trois jeunes femmes sont promises à une destinée bien différente : Alice est mariée au violent Henry Sharrow, un fermier qui mène d’une main de fer sa fratrie ; Jocelyn est promise au doux et riche Samuel, un administrateur ; et Verity se retrouve flanquée de Meredith Rutter, un ivrogne qui tient une taverne.
Chacune à sa façon va devoir survivre dans ce nouvel univers, même si nos trois héroïnes sont loin d’être égales devant le scénario. En l’espace d’un seul épisode, Jocelyn est d’ores et déjà en pleine possession de ses moyens ; cette femme d’origine vraisemblablement noble a tôt fait d’intriguer et de manipuler aussi bien son futur époux que le gouverneur de Jamestown pour asseoir son pouvoir dans la région, et elle fait montre d’ambition à défaut de démontrer beaucoup de finesse dans son approche. Verity, elle, refuse d’épouser Meredith, et envisage même de prendre la fuite pour rallier une autre ville de Virginie dans l’espoir de trouver un meilleur parti. Alice, elle, tombe immédiatement sous le charme de Silas, le frère de son fiancé, et est violée le soir-même de son arrivée par Henry, avant même d’avoir été unie légalement à lui ; cela créée un triangle amoureux sans subtilité, en plus de la scène bien gratuite de viol.

A cela faut-il encore mélanger, en arrière-plan (et essentiellement pour rajouter des enjeux aux destins de ces femmes) des imbroglios autour de la possession de terres à Jamestown, la menace de quelque péril distant qui ne manquera pas de se manifester dans les épisodes suivants, et des seconds rôles caricaturaux comme la servante de Jocelyn, qui a droit à quelques monologues risibles, à se demander si elle tourne dans la même série que les autres.
Dans Jamestown, tout semble tourner autour de ces femmes, et pourtant rien ne les autorise à devenir des personnages complexes et nuancés. Sortie de son rôle d’intrigante, Jocelyn n’existe pas (elle a beau prétendre s’inquiéter du sort d’Alice qui l’avait encouragée pendant la traversée, en réalité tout sera lié à ses manigances), par exemple, et c’est elle la moins lourde des trois. Verity fait preuve de fougue mais s’agite sans réel but tout au long de l’épisode. Quant à Alice, sortie de sa tragédie grecque dont le point de départ est son viol, elle ne semble pas réellement avoir de consistance…
A ce stade je vous prends certainement par surprise en vous annonçant que la série est créée par Bill Gallagher, un scénariste qui écrit pour la télévision depuis la fin des années 80, et donc particulièrement concerné par le destin de trois jeunes femmes…

Je conclus ma review par la liste non-exhaustive des choses dont Jamestown, qui dit se dérouler en 1619, se garde bien de causer :
– l’annihilation des Amérindiens (la tribu Paspahegh, totalement rayée de la carte) par les colons de la Virginia Company au bout de 3 ans à peine, alors qu’initialement les autochtones avaient aidé les Européens à s’installer. Je vous rassure, quelques Amérindiens présentés comme de dangereux sauvages font leur apparitions en cours de pilote, mais sans dire un mot ;
– les colons non-Britanniques arrivés pendant les années précédentes (des Allemands, des Polonais, des Slovaques, et quelques Portugais, nous précise Wikipedia ; rien de tout ça dans Jamestown) ;
– le premier bateau amenant des esclaves d’origine africaine en Virginie (tous les visages de Jamestown sont blancs ; il n’y a qu’à espérer que cet événement se produise rapidement pendant la première saison) ;
– la grève des artisans polonais, qui a changé les règles démocratiques à Jamestown.

Bref, Jamestown ne s’intéresse pas à la création de cette colonie, au déroulé historique de son établissement, et aux minorités qui ont été piétinées pour que la ville sorte de terre ; et surtout, elle ne le fait certainement pas par les yeux de ses personnages féminins, mais uniquement à travers leur marchandisation.
Le fait que ses trois héroïnes se rebiffent et/ou tentent d’obtenir un certain contrôle sur leur existence (toutes proportions gardées) ne change rien à la vision tunnel de la série : celle-ci a décrété qu’elle allait montrer l’exploitation de ces femmes, et comment celles-ci persistaient à être des personnes dans pareil contexte. Mais il semble physiquement impossible à Jamestown de pousser plus loin son regard sur les événements, et de pousser la fresque historique au-delà des clichés.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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