Boys just wanna have fun

11 février 2019 à 16:56

La vie dans une yeshiva haredi n’est pas une partie de plaisir. Les étudiants de ces écoles religieuses sont en effet astreints à un programme, qui implique entre autres la lecture quotidienne et l’étude méticuleuse du Talmud et de la Torah. Mais parce qu’ils sont orthodoxes, ils doivent également se montrer exemplaires dans leur comportement. Ces jeunes hommes (car une yeshiva haredi n’est certainement pas mixte !) doivent d’ores et déjà appliquer les textes religieux de façon stricte, parce qu’ils se promettent à une vie de rabbinat.

Bien-sûr, toute règle a ses exceptions. En Israël, on appelle un « shababnik » l’un de ces étudiants lorsqu’il ne suit pas les codes qui lui sont imposés. Ces « bad boys » de la yeshiva n’ont pas totalement fait une croix sur les technologies modernes, les plaisirs de la bonne bouffe… ou les femmes. En hébreu, le pluriel se caractérise par la terminaison « -im ». Vous l’aurez donc compris, Shababnikim, c’est une série sur plusieurs de ces étudiants rebelles.

Sous ses apparences de comédie, Shababnikim prend à cœur de parler de la communauté orthodoxe sous un angle bien précis. Une yeshiva, presque par définition, est un lieu réservé à un sous-groupe social de cette communauté, qui a pour vocation d’apprendre à en représenter le meilleur. C’est forcément un milieu idéal pour observer et pointer du doigt certaines contradictions ou difficultés vécues par les orthodoxes au sens large qu’a trouvé la série. On n’est donc pas du tout ici dans le registre de Srugim, qui essayait de décrire la vie de plusieurs jeunes orthodoxes, mais plutôt dans une démarche ouvertement destinée à former une satire d’une communauté donnée. Avoir choisi pour héros des jeunes hommes ayant décidé de ne pas courber l’échine devant les codes rigoureux de l’apprentissage qu’ils font en est le signe supplémentaire.

Au départ, on pense pourtant que le héros n’est pas un shababnik, mais un élève plutôt obéissant. Gdalia a même tout du premier de la classe ! Il passe son temps à annoter sa Torah, a pour seul ami l’un des éducateurs de sa yeshiva, et suit à la lettre toutes les règles imposées aux étudiants orthodoxes comme lui. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il est infoutu de trouver une femme qui accepte de passer plus de deux minutes avec lui, et moins encore de l’épouser… Cela fait 3 ans maintenant qu’il essaie, et son mentor le rabbi Bloch qui pourtant est plutôt ouvert d’esprit commence un peu à désespérer de le caser un jour (il faut dire que la « pick-up line » de Gdalia est très particulière). Pour le décoincer, le rabbi Bloch décide donc de lui faire changer ses habitudes sous un prétexte quelconque : pendant un mois, Gdalia doit quitter sa chambre pour emménager dans une autre… avec trois élèves de sa yeshiva.
Gdalia découvre des camarades de chambrée qui n’ont pas, comment dire ? Son application. Avinoam, Meir et Dov Laser sont des jeunes hommes de leur époque, qui aiment bien fumer, écouter de la musique, aller sur internet, bref, s’amuser. Rien de criminel mais rien, non plus, qui n’entre dans les rigoureuses obligations suivies par les élèves d’une yeshiva haredi. Le choc passé, il va pourtant commencer à apprécier leur compagnie.

La bonne idée de Shababnikim, c’est d’avoir commencé par donner le ton en montrant une séance de seder (un type de cours, ici dispensé par le doyen de la yeshiva) qui tourne à la fois au tragique et au ridicule, puis d’avoir, après cette entrée en matière magistrale, mis la pédale douce et abordé les choses avec plus de finesse. Ainsi, au-delà de l’introduction, tout l’épisode de Shababnikim est fondé sur une ambition : mêler les outils narratifs à un début de propos. Pas une seule scène qui ne remplisse ce double engagement !
Les portraits des 4 héros permettent ainsi non seulement de mettre une intrigue en mouvement, mais surtout de donner le ton quant à certaines petites hypocrisies ayant cours au sein de la yeshiva. Une scène sportive dans la seconde moitié de l’épisode va non seulement souligner une première piste d’évolution pour Gdalia, mais aussi montrer que ce qui sépare cette petite bande n’est pas aussi significatif que ce qui les rassemble en tant que haredi. Cette efficacité redoutable fait que ce premier épisode de Shababnikim ne donne jamais l’impression de se limiter à de l’exposition, parce que tout commence déjà à avoir une signification. Nous savons non seulement qui sont les personnages et vers quoi, globalement, se dirige l’intrigue, mais aussi ce que Shababnikim veut nous signifier à plusieurs niveaux. Il ne s’agit ni totalement de critiquer Gdalia, ni de l’ériger en modèle, et c’est la même chose pour ses nouveaux camarades de chambrée. En fait, l’objectif, c’est de décrire à travers eux des codes qui semblent appartenir à un autre âge, mais sont porteur de sens pour les plus orthodoxes de la yeshiva. Ces codes sont-ils compatibles avec la modernité, dans le fond ? Et comment ? On a l’impression que le rabbi Bloch a trouvé un bon équilibre, mais ce dernier va se trouver ébranlé à la fin de ce premier épisode…

Shababnikim écorne au passage une partie de sa population, mais surtout ses habitudes figées… sans toutefois se montrer prescriptrice. Gdalia a des choses à apprendre de ses nouveaux amis, mais l’inverse est vrai aussi. Un premier échantillon nous en est donné lorsque les quatre colocataires se retrouvent à étudier ensemble, faisant la démonstration de l’intelligence de celui qui jusque là avait été montré comme un peu naïf voire benêt. On ne rit de personne, mais avec les personnages ; en fait on ne rit pas souvent, et Shababnikim, si elle n’était pas si clairement attentive à ironiser sur certaines questions religieuses, relèverait plus de la coming of age story.
On les connaît toutes pour les avoir vues cent fois, ces histoires de jeunes hommes qui accèdent à l’âge adulte en faisant des conneries (ici sans gravité pour nous, mais sévèrement jugées par la communauté haredi), en se marrant ensemble, en allant draguer, bref, en s’amusant « comme des hommes ». C’est ainsi qu’on en devient un. Dans Shababnikim, cet apprentissage de la masculinité est certainement présent, mais il s’oppose à l’apprentissage religieux. A charge pour ses héros de trouver un juste milieu s’ils veulent conserver leur place dans leur yeshiva. A mon grand regret, Shababnikim (au moins dans son premier épisode) passe plus de temps à louer cette virilité joyeuse qu’à l’interroger autant qu’elle ne le fait pour les codes orthodoxes, cependant. Le pilote inclut ainsi une scène dans une boutique de capsules de café où Avinoam, Meir et Dov ont repéré une jeune femme qu’ils veulent draguer sur son lieu de travail ; si Gdalia se moque ouvertement d’eux ensuite (et de façon plutôt avisée), cela ne fait l’objet que d’une réplique face à toute une scène… Aussi, même si les trois copains ont des choses à apprendre de Gdalia, cela ne fait pas l’objet d’autant d’attention scénaristique dans ce premier épisode, l’accent étant plutôt mis sur l’aspect libérateur de leurs pratiques insouciantes.

C’est vraiment sur ce point que la série semble vouée à briller. Il faut noter que Shababnikim a une démarche déjà assez rare : de toutes les séries sur les orthodoxes apparues pendant la décennie passée sur les écrans israéliens, la plupart sont des dramas (il suffit de comparer le ton de Shababnikim avec celui d’Urim ve Tumim, qui se déroulait également dans une yeshiva, pour mesurer l’importance de cette nuance).
Dans le fond, c’est au moins aussi important que le reste de voir ces jeunes hommes grandir pendant leur apprentissage académique et religieux. Les orthodoxes sont ceux qui, du fait même de leurs codes, n’ont jamais leur jeunesse ni leur croissances détaillées à la télévision. Comme s’ils naissaient adultes, en quelque sorte, aux yeux du reste du monde. L’immaturité des héros de Shababnikim fait en un sens plaisir à voir… quand bien même ses jours sont peut-être comptés étant donné la tournure de l’intrigue en fin d’épisode.

C’est donc en grande partie pour son regard posé sur la communauté orthodoxe, mais pas uniquement, que Shababnikim est devenue la série la plus regardée de la télévision israélienne en 2017 (surpassant même Game of Thrones et The Handmaid’s Tale), avant d’être couronnée de succès par les Israeli Television Awards et les Seoul International Drama Awards l’année suivante. Cette réussite, elle la doit avant tout à ses choix sincères. A la frontière entre deux mondes, jamais totalement ni dans l’un ni dans l’autre, ses héros ont de quoi charmer tout un chacun.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

10 commentaires

  1. Tiadeets dit :

    Oh, il va falloir que je trouve cette série aussi ! Décidément, tu m’allonges ma pile à voir. 😛

    • Mila ♥ dit :

      … apparemment ton site n’aime pas les signes que j’ai mis après le mot « it » parce que j’avais tapé plus de trucs que cela mais c’est pas passé ^^ »

      Essentiellement, cela dit, le commentaire recyclait un peu les derniers…avec un chouïa plus de lamentations et d’accusations (cf la dernière phrase de Tiadeets) mais sinon…

  2. Sask dit :

    Bonjour- où regarder la série depuis la France

    • ladyteruki dit :

      J’ai l’impression que ce n’est plus possible ; j’avais trouvé le premier épisode sous-titré en anglais sur Youtube et je ne le retrouve pas. Dans mon souvenir il n’y avait, de toute façon, pas la totalité de la saison.

      • Ezekiel dit :

        ah, tant pis alors.. Un peu comme  »Tiadeets » j’ai déjà un certain nombre de suggestions de séries à rechercher et je n’en suis qu’à la page 2 (sur 504^^) de ta Ladytelephagie ?

  3. Marc dit :

    Dispo ici , le dl est en cours hate de voir ca :
    https://pirateproxy.id/torrent/21460036/Shababnikim.S01.720p.HDTV.x264-Yonidan

    Encore un tres grand merci pour toute ces series qu’on ne lit,voit que chez toi.

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