Children having children

12 mars 2019 à 14:21

Par le passé, j’ai eu l’occasion de vous parler de ces séries sur des pères « modernes » qui découvrent la parentalité sur le tard. Ce trope pousse des hommes que rien n’avait préparé à être pères (…pas même le fait d’avoir des enfants) à tout d’un coup découvrir les responsabilités qui en découlent. Le ressort est moins progressiste qu’il n’y paraît : il perpétue l’idée qu’être père, ça s’apprend (souvent en répétant des bourdes « attendrissantes » et en paniquant devant les ajustements à faire dans leur vie privée), alors qu’être mère, les épouses/ex-épouses le pratiquent depuis des années sans que qui que ce soit n’ait eu l’idée de s’interroger sur comment cela s’apprend, ni la charge de travail que cela représente.
Socle de nombreuses comédies familiales, ce trope est généralement la raison d’être d’une série qui va montrer ses protagonistes masculins comme des superhéros du quotidien, parce qu’ils daignent faire un effort, même si souvent cet effort s’accompagne de soupirs, de protestations, et de bévues dignes d’un enfant de 12 ans. Ne sont-ils pas adorables, ces pères qui sont de grands enfants ?

C’est encore assez difficile de montrer des pères être des parents, au lieu de le devenir, et a fortiori dans la comédie. Et Papa Épique, une comédie en single camera québécoise lancée au printemps dernier, tente très maladroitement d’éviter les écueils du genre… tout en tombant en plein dedans.

Pourtant à la base, Papa Épique n’a pas l’air de vouloir plonger dans les pires défauts de ce type de séries : Alex est un jeune père moderne, qui dans la cuisine, un matin parmi tant d’autres, jongle entre un truc qu’il a à finir vite avant d’aller au boulot pour espérer décrocher une promotion, les questions de son fils hyperactif, le fait que sa fille refuse d’aller à l’école dans autre chose qu’un déguisement de Halloween, et les préoccupations d’emploi du temps de sa femme Valérie, encore en congés maternité mais qui essaie de planifier les vaccinations du petit dernier. Alex n’est pas sourd aux problèmes de sa famille, et essaye de discuter avec Valérie de la marche à suivre, d’égal à égal… mais il est aussi bien paniqué parce qu’il n’arrive pas à tout gérer (et qu’un bol de lait vient par-dessus le marché baptiser son ordinateur portable).
Au départ, la situation familiale est donc plutôt qu’Alex est insatisfait du stress de son existence, et semble capable de discerner qu’il n’est pas en mesure de donner à sa jeune famille l’attention qu’elle mérite.

A côté de cela, il voit son ami et voisin Fred, père d’un jeune bébé dont il s’occupe à plein temps,  sur lequel on peut toujours compter dans les situations d’urgence. Il sait toujours quoi faire, semble-t-il, même s’il est aussi un peu négligé. Alex, lui, a tant à faire qu’il ne sait rien gérer.

La situation va en quelque sorte se résoudre d’elle-même : il s’avère que sa boîte déménage au Mexique et qu’il a, comme tous ses collègues, été viré du jour au lendemain. Il prend ce changement professionnel brutal pour une opportunité de changer de vie : Alex propose à Valérie qu’il devienne père au foyer. S’occuper des enfants, les emmener à leurs rendez-vous, leur faire à manger… tout ça, ça le fait rêver. Ca tombe plutôt bien, Valérie ne brûle que de reprendre le travail au plus vite. Voilà donc l’affaire conclue : Alex va bénéficier du reste du congés parental, et Valérie retrouver la vie active.

Jusque là, Papa Épique avait donc réussi à éviter le pire : la situation d’Alex est voulue par lui, il a envie de partager les tâches du quotidien (dont il n’a pas une vision trop idéalisée, d’ailleurs) avec sa femme, voire de toutes les prendre en charge. Il fait preuve d’un sens des responsabilités qui laisse entendre qu’il sait dans quoi il se lance.
Mais le vrai test commence pour la première journée d’Alex, dés le lundi suivant, quand Valérie doit absolument décoller et qu’elle le laisse seul avec son programme. Celui-ci, qui consistait à passer la journée dehors et célébrer son nouveau job de parent avec les enfants, est très vite compromis : sa fille découvre une mouffette dans le garage, laquelle l’arrose copieusement. Plus question de sortir, il va falloir s’adapter l’urgence, qui consiste en grande partie à respirer par la bouche. Valérie indique à Alex qu’elle a organisé l’intervention d’un exterminateur dans la journée (…tiens, tiens). Il faut donc attendre que celui-ci arrive et faire contre mauvaise fortune bon cœur, tout en isolant la petite qui même après un bain d’extrait de vanille pur, continue de sévèrement schlinguer.

Problème : Alex est un HOMME.
Et Alex a donc décidé qu’avec Fred, il allait prendre les choses en charge et se débarrasser de la mouffette lui-même. Le plan a l’efficacité qu’on imagine, et les deux grands gaillards se retrouvent, à leur tour, arrosés par la mouffette. Celle-ci a quitté le garage, ce qui a priori est une bonne nouvelle… mais s’est réfugiée dans la maison. Ne reste plus pour Valérie, en rentrant, qu’à rappeler l’exterminateur qui avait été annulé par Alex dans un excès de confiance.

Papa Épique prouve ainsi qu’Alex n’a en fait rien d’un parent ; il reste avant tout un grand adolescent qui, s’il fait le vœu de s’occuper de ses enfants, n’en a absolument pas la capacité. De son plan d’origine, il ne reste déjà plus rien à la fin de la première journée, et pas uniquement parce qu’il y a eu un imprévu mais parce qu’il n’a pas su gérer cet imprévu. Au lieu de s’amuser avec leur père, les enfants sont restés cloitrés à la maison ; pire encore, sa fille a été traitée en paria toute la journée à cause de l’odeur de mouffette se dégageant d’elle, le fils a été ignoré, et le bébé euh, on sait pas tiens d’ailleurs maintenant que j’y pense.
Pire : c’est à Valérie de non seulement appeler un service de dératisation, mais en plus de le faire DEUX FOIS. Lorsqu’elle rentre le soir, toute la charge mentale et le travail domestique lui reviennent parce qu’Alex n’a pas du tout réfléchi à quoi que ce soit.

On est, dans ce premier épisode, dans la structure absolument typique des séries que je décriais plus tôt. Personne ne s’interroge sur comment Valérie arrive à penser à ce qu’il faut faire en toutes circonstances. Alex ne lui demande évidemment pas conseil, d’ailleurs (par contre son premier réflexe et de vouloir envoyer Valérie acheter un produit à l’épicerie). Et paf, à la fin de la journée, ça ne rate pas, toute la maison pue la mouffette. Beau boulot.

L’épisode se conclut sur les deux hommes, se douchant dans le jardin avec le tuyau d’arrosage, échangeant un regard piteux mais complice. Le regard qu’on a tous lu dans les yeux de ceux qui savent qu’ils ont merdé, oui, mais qu’ils ont merdé entre potes. Papa Épique n’esquisse même pas une tentative de conclusion (qu’a appris Alex ? que fera-t-il de mieux une prochaine fois ? est-ce un déclic pour lui ?), démontrant que son intention est surtout de rire de toutes les façons dont Alex va merder.
Sans vraiment s’interroger sur le fait que quand Alex merde, c’est à Valérie de passer derrière… et ça tout de suite, c’est moins épique.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

2 commentaires

  1. Mila ♥ dit :

    C’est complètement con parce que j’ai lu le début de l’article avant de lire le milieu de l’article (je suis prévisible comme ça) et pourtant malgré tout en te lisant sur le début de la série, j’ai ressenti de l’espoir, tout ça pour que ça se casse la gueule, exactement comme tu avais dit que ça allait se casser la gueule….
    Mon optimisme est apparemment épique, lui 😀 (pour tourner ça de façon gentille)

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