L’audace du gris

5 avril 2019 à 12:03

Ces derniers temps, les séries scandinaves que j’ai envie de reviewer ne sont pas celles qui me parviennent. Et vice-versa. Je confesse une certaine lassitude devant les séries qui obtiennent un passeport international plus facilement que les autres : les meurtres et/ou les thrillers reposent, in fine, un peu toujours sur les mêmes recettes.
Quelque part c’est bien normal, à la fois de produire plus facilement des séries qui s’exportent sans problème, et à la fois que ces exports finissent régulièrement par tous se ressembler : rien n’attire plus les producteurs comme les diffuseurs que le sentiment de sécurité, alors on répète les mêmes causes dans l’espoir d’obtenir les mêmes effets.
Une fois de temps en temps je fais encore un effort, que je crois sincère autant qu’aléatoire (mais je peux me tromper ; sitôt qu’on sélectionne quelles séries on teste, tout un ensemble de biais invisibles entrent nécessairement en jeu), pour découvrir une série scandinave qui, ok, d’accord, semble s’inscrire dans cette tendance… mais ça ne signifie pas qu’elle est prévisible. Ou en tous cas ça ne devrait pas le signifier.

Entre en scène Gråzon.

Sur le papier, Gråzon a toutes les caractéristiques de la série scandinave livrée avec un passeport pré-tamponné. La série commence en effet alors qu’un camion est intercepté à la frontière entre le Danemark et la Suède avec à son bord, dans un compartiment caché, rien moins qu’un missile militaire. La découverte ne se fait pas sans heurt, l’un des conducteurs étant abattu sur place et l’autre prenant la fuite, au grand désarroi d’Eva Forsberg, la détective des services secrets suédois qui était sur la piste de cette cargaison. Pour comprendre les tenants et aboutissants de l’affaire, la voilà qui doit donc remonter la piste de ce camion jusqu’au Danemark, où elle va avoir besoin de s’appuyer sur l’expertise Jesper Lassen, un agent du renseignement danois mis sur la touche jusque récemment, mais dont le réseau d’informateurs sera un atout non-négligeable. D’autant qu’il apparaît que ce n’est pas une, mais deux ogives militaires qui ont été dérobées…

Bon alors, on récapitule : une série suédo-danoise qui se déroule entre la Suède et le Danemark, forçant une enquêtrice suédoise et un enquêteur danois à collaborer, sur fond de thriller haletant… bon sang ça me rappelle quelque chose mais quoi ?
Je vous entends déjà me dire : « ouiii, mais ladyyy, t’exagèèère, ya pas de meuuurtre, c’est pas un crime drama classiiique ». Bon déjà arrêtez de prendre cette voix, c’est super irritant. Et ensuite je n’ai jamais dit de Gråzon qu’elle était une copie exacte de tout ce qui lui a précédé, je dis juste que les recettes sont, dans le fond, les mêmes. Évidemment que Gråzon incorpore quelques ingrédients plus spécifiques, encore heureux, il ne manquerait plus que ça.

Toutefois, même ces ingrédients ne sont pas si originaux : en parallèle de l’enquête d’Eva Forsberg, on va ainsi suivre l’ingénieure danoise Victoria Rahbek, qui en apparence n’a rien à voir avec le vol de missile (SAUF QUE CA NE SAURAIT DURER NATURELLEMENT), alors qu’elle assure la promotion d’un drone qu’elle a conçu avec son partenaire. Les affaires ne vont pas fort et la proposition de rachat par la compagnie ZUW, spécialisée en matériel militaire, tombe à point nommé (CA ALORS DU MATÉRIEL MILITAIRE). Qui plus est, tout au long de l’épisode, Victoria est approchée par un ancien camarade d’université, Iyad Kassar, qui est aujourd’hui un journaliste spécialisé dans la tech et qui rêve de l’interviewer (MAIS IL A UNE BARBE ALORS ON SAIT QUE CE N’EST PAS SI SIMPLE).

Ah oui, ce serait bête d’oublier que Gråzon, outre son absence totale d’originalité, manque aussi dramatiquement de finesse. A la place, le premier épisode de la série est plutôt…
…Hm, c’est quoi le terme que je cherche ? Raciste ?!

Du début à la fin de l’épisode inaugural, chaque fois qu’un personnage vaguement maghrébin se présente à l’écran, il est présenté comme suspect ou, à tous le moins, ambivalent. C’est le cas de celui des deux chauffeurs du poids lourd qui finit par être tué dans la fusillade de début d’épisode. C’est le cas du type à la soupe populaire où travaille Jesper. C’est le cas du chauffeur du taxi qui ramène Victoria chez elle après son voyage d’affaires. Et c’est surtout le cas d’Iyad, dont à peu près chacun des gestes est appuyé par le travail de réalisation comme pour nous indiquer quelque chose, on ne sait pas quoi, mais quelque chose, même quand il s’agit simplement de prendre la carte de visite de Victoria.
Ce que ces hommes ont en commun est d’autant plus évident que personne d’autre à l’écran ne partage leurs traits.
Alors on peut utiliser des termes techniques et dire qu’il s’agit de foreshadowing… ou bien on peut appeler les choses comme elles sont et parler de racisme. De toute façon c’est pas mutuellement exclusif.
Les signaux envoyés par Gråzon sont clairs et honnêtement, c’est ça aussi le passeport de la série : elle surfe sur les mêmes clichés racistes où qu’elle soit diffusée.

L’épisode inaugural de Gråzon s’interrompt avant d’enfoncer plus de portes ouvertes encore. Nan mais dites, vous faites bien, hein, il faut en laisser pour plus tard !
Et je suis désolée, mais quand je vois ce premier épisode de Gråzon, je n’arrive pas à convoquer la patience nécessaire à la rédaction d’une review laissant le bénéfice du doute à la série. Peut-être que celle-ci s’améliore par la suite, mais honnêtement, quelles sont les chances ? Avec un cahier des charges comme le sien, et un premier épisode aussi scrupuleux pour le suivre, Gråzon n’a vraiment aucun atout à ce stade. Et c’est comme ça qu’en l’espace d’un an, la série a été vue en Suède et au Danemark, mais aussi, sous le titre de Greyzone, en France, au Royaume-Uni, en Australie et en Nouvelle-Zélande. Il n’y a pas de secret : les mêmes causes ont les mêmes effets.

A un moment, ça me met en colère, ce genre de combines. Peut-être que j’ai mal choisi mon pilote à découvrir ; peut-être aussi que si on arrêtait d’exporter toujours le même type de séries, on sortirait des clichés (et par la même occasion, des clichés racistes). Certes, on ne peut pas forcer les producteurs et les diffuseurs à prendre des risques ; ce n’est pas dans leur ADN. Mais en tant que spectateurs, on peut au moins faire l’effort de bouder ce genre de productions, et leur préférer celles qui osent un peu plus. Très franchement, ça ne devrait pas être difficile à trouver.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

1 commentaire

  1. Mila ♥ dit :

    MAIS C’EST QUE CA A L’AIR SUPER DIS DONC (non).

    J’ai lu ton échange avec Patrik sur twitter, alors je sais qu’après l’épisode 1 il y a des chances que les choses s’améliorent, mais ta description ne fait tellement pas envie, et c’est tellement pas une série qui me tente à la base… Même l’affiche m’inspire de l’ennui… donc on va dire que ça va rester pas une priorité.

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