Déjà vu

14 mai 2019 à 19:07

Manifest débarque en France aujourd’hui et, ma foi, si je ne le fais pas maintenant, je vais encore oublier de reviewer le premier épisode de la série. Alors on est parti, décollage immédiat si j’ose dire, bien qu’on soit ici très, très loin de ce qu’a pu accomplir The Final Call il y a peu.

Tout donc commence à bord d’un avion qui décolle en 2013 et atterrit en 2018 ; plus de 5 années ont passé mais à son bord, les passagers comme l’équipage n’ont pas pris une ride, pour la simple et bonne raison que le vol leur a paru avoir une durée tout-à-fait normale. A ce phénomène déjà étrange, encore faut-il ajouter le fait que les occupants du MA828, une fois revenus chez eux, commencent à être la proie d’étranges « intuitions » qui guident leurs actions.

Manifest rappelle un peu des séries comme The 4400, ou Les Revenants, tout en construisant son intrigue sur les différentes disparitions d’avions ayant eu lieu ces dernières années et qui autorisent à toutes sortes de fantasmes quant au devenir de leurs passagers. Il y a donc une part non négligeable de fantastique dans la recette de la série, mais aussi quelque chose de plus ancré dans des interrogations humaines.
A vrai dire, ce délai de 5 années et demies pendant lesquelles le monde a avancé, mais les protagonistes sont restés figés, n’est pas sans rappeler les problématiques soulevées par des séries comme Back to Life, dont je vous parlais il y a quelques jours à peine. Beaucoup des angoisses utilisées à des fin dramatiques dans l’une se présentent dans l’autre.

Et pour souligner cela, il suffit de se pencher sur la structure du premier épisode de Manifest : en dépit du fait que 191 personnes étaient à bord du vol MA828, ce pilote ne se présente pas de prime abord comme un ensemble drama (on va y revenir).
L’héroïne Michaela, également narratrice ponctuelle de l’épisode, est une femme avec la conscience chargée, qui ne s’est pas pardonné un accident de voiture passé (sur lequel on nous donne assez peu de détails au-delà du sentiment de responsabilité criminelle qui pèse sur ses épaules). En 2013, elle voyage avec sa famille qui vient de passer des vacances en Jamaïque : ses parents, son frère Ben et l’épouse de celui-ci Grace, et les jumeaux qui sont ses neveux, Olive et Cal. Ce dernier est également atteint d’une leucémie qui le condamne à vivre ses derniers mois. Michaela, Ben et Cal sont les seuls membres de leur famille à avoir embarqué à bord du MA828 (leur avion d’origine ayant été surbooké), et ils sont donc les seuls membres de leur famille à faire la curieuse expérience de ne rejoindre leurs proches que 5 ans plus tard. Même s’ils sont donc trois à avoir fait cette expérience incroyable, c’est bel et bien aux côtés de Michaela qu’on apprend le décès de sa mère, par exemple, et qu’on mesure la difficulté à se réintégrer à une vie qui a changé alors que Michaela, elle, en est restée au même point. Évidemment ce retour, en plus de ne pas faire sens, pose donc des questions difficiles. Pour Michaela, qui se torturait quant à son avenir et se demandait si elle devait se fiancer avec son petit-ami Jared, la douleur est insupportable quand elle découvre que celui-ci s’est depuis marié (…à sa meilleure amie). Elle n’a plus ni appartement, ni biens d’aucune sorte ; dans l’urgence et jusqu’à nouvel ordre, elle vit donc dans le sous-sol de la maison de Ben et Grace.

L’impact émotionnel de ces 5 années d’absence n’est quasiment pas exploré chez les autres personnages. Pour Ben par exemple, curieusement, les choses semblent couler de source : il n’a plus de travail, mais cela fait l’objet d’à peine une réplique et demie. Il ne s’interroge même pas sur ce que sa femme Grace a éprouvé (…ou éventuellement expérimenté) pendant tout cela. Je m’attendais à éprouver quelque chose de similaire à ce qu’avait par exemple produit Hatufim en la matière ; mais la première nuit de retrouvailles du couple est complètement passée sous silence, et donc implicitement traitée comme parfaitement naturelle et fluide. Quel peut bien être le ressenti de Grace, qui s’est allongée aux côtés de Ben après 5 ans à le considérer comme disparu puis mort (et à nourrir contre lui, qui plus est, une certaine rancœur, comme elle nous l’apprendra bientôt) ? Nul ne le saura. Ben est-il seulement mis face à la maladresse intime de ces retrouvailles ? Non, ce serait trop demander que d’écrire un personnage masculin qui imagine la perspective de sa compagne faut-il croire. En fait, pour Ben, toute la problématique dans le pilote tourne autour de son fils Cal, qui a donc « survécu » à son diagnostic pessimiste ; mieux encore, désormais il existe un peu plus d’options pour guérir la leucémie du petit garçon, et l’absence de 5 ans s’avère finalement être une forme d’aubaine inespérée pour intégrer un programme expérimental prometteur.
Manifest explore moins encore le ressenti de Cal, aussi bien quant à son étrange expérience à bord, qu’aux implications de celle-ci désormais. Il est plus jeune que sa jumelle Olive… mais loin de nous proposer une scène qui aurait pourtant été importante sur le sujet (et qui avait été si bien réussie par Les Revenants), Manifest use la maladie du petit garçon plutôt que l’enfant lui-même. Olive a presque droit à plus de profondeur que lui. Presque. Disons que le standard est bas en tous cas.
Bref Manifest ne traite les personnages de sa famille centrale que de façon très désinvolte. Et c’est rageant parce que, voyez-vous, si c’était pour faire tourner tous les épisodes autour d’eux, plutôt que d’accorder de l’attention à tous les occupants du vol MA828, bah tant qu’à faire autant vraiment explorer leurs émotions, questionnements et trajectoires, non ? Ah bon. Bon, bah j’ai rien dit alors.

Sur la fin de ce premier épisode, Manifest dévoile brièvement n’avoir pas oublié que, ah oui tiens, en fait, elle a l’intention de traiter son intrigue sous l’angle du nombre. Mais cet effort va s’avérer bien mince et j’aime autant tuer dans l’œuf toute notion d’espoir.
Ainsi, des personnages qu’on n’avait pas vus depuis que les passagers de l’avion avaient été libérés par les autorités (après avoir été dûment interrogés, évidemment) refont soudainement surface pour nous dire que, oui, tous sont sujets à ces violentes intuitions, qui se manifestent généralement accompagnées de violentes céphalées. Et que les implications vont donc au-delà d’une seule famille.
Mais c’est aussi là que se trouve la preuve finale que Manifest n’a aucune intention de s’intéresser vraiment à l’angle dramatique de son sujet. Ce que ce premier épisode dit avant tout, c’est que Manifest va surtout se préoccuper de l’aspect fantastique, et le camoufler derrière des intrigues personnelles qui lui permettront de gagner du temps et ne pas révéler toutes ses cartes tout de suite. Bref, les expériences individuelles de ses personnages ne sont pas là pour apporter une quelconque profondeur, surtout pas, à un sujet qui aurait pu être intéressant, mais bien pour noyer le poisson et préserver le mystère aussi longtemps que possible.

D’ailleurs pour le moment, et c’est très mauvais signe, on n’a pas franchement d’explication au phénomène de ce qui s’est déroulé. Comment 5 années et demies ont-elles pu passer pour les passagers du vol, et pas le reste de la planète ? Mystère. Et ce mystère est-il scientifique ? En dépit du placement de quelques esprits cartésiens à bord de l’appareil (Ben, une chercheuse…), l’épisode introductif ne s’attarde pas trop là-dessus, balayant assez vite toute explication rationnelle comme ça c’est fait. Du coup, ce mystère est-il surnaturel ? On peut l’imaginer mais pour le moment on ne sait vraiment pas dans quelle mesure (phénomène étrange ? intervention de petits hommes gris peut-être ? allez savoir). Enfin, ce mystère est-il religieux ? Eh bien, là, quelques éléments peu subtils portent à le croire, en effet, mais ce peut n’être que l’interprétation de personnages cherchant quelque chose à quoi se raccrocher.
En somme, il ne faut pas compter sur Manifest pour nous en dire beaucoup à ce stade. Le fait que plusieurs personnages tiennent un rôle investigateur (Michaela est littéralement enquêtrice dans la police ; la chercheuse semble être un atout dans le registre scientifique ; on suit superficiellement l’enquête de la NSA) donne à penser qu’en réalité, l’enquête va prendre plusieurs visages, se dérouler sous plusieurs angles, mais aussi trainer en longueur.

Dans l’intervalle, bien que la série ait de la matière pour s’interroger sur des choses qui pourraient potentiellement parler à beaucoup de monde (et là encore je vous renvoie à ce que j’en disais au moment de causer de Back to Life), ce n’est pas du tout l’objet. Manifest a pour intention de nous river à notre siège en attendant de comprendre quelle est « l’explication », celle qu’on n’aura pas ou au moins pas avant longtemps, mais qui nous offre la clé de compréhension de ce qui arrive à Michaela, à Ben, à Cal, et accessoirement aux autres personnages. On est dans la droite lignée de Lost ; pas juste à cause de cette histoire d’avion, mais bien parce qu’il s’agit ici de faire planer (ha ha) le doute, d’y rajouter des couches de mystère, d’essayer d’utiliser la spiritualité et/ou la symbolique pour multiplier les interprétations. La seule façon pour Manifest de faire plus banal serait d’ajouter une touche conspirationniste au cours des épisodes suivants, et là on aurait vraiment le tiercé dans l’ordre. C’est tellement évident qu’on va se faire balader, si en plus un homme à la cigarette se radine dans le deuxième épisode, ça ne m’étonnera pas plus que ça.

Au final, Manifest a le potentiel de faire bien des choses. Sauf que le potentiel, ça ne fait pas tout : à l’arrivée, le premier épisode n’offre pas un quelconque espoir que la série soit capable de moins aller à l’échec que d’autres fictions s’étant essayées, avant elle, à des intrigues volontairement floues. En cours de visionnage, j’ai eu une pensée pour Flash Forward ou The Event, notamment… ce ne sont pas franchement des exemples de réussite par des séries high concept similaires. En fait il ne me vient aucun nom de série high concept ayant jusque là réussi à éviter de s’embourber.
Très franchement, peut-être que c’est moi qui suis blasée, mais j’ai le sentiment que ces séries ne cherchent même pas à nous dire quelque chose. Rien sur leurs personnages, rien sur leurs dynamiques, rien sur ce qu’ils traversent, rien surtout oh rien de rien sur le mystère mis en place, et qui doit durer aussi longtemps que possible, au point que tout le reste perde du sens. Moi, très franchement, je n’ai même pas envie de savoir pourquoi les gens de Manifest ont disparu pendant 5 ans… Et je gage que quiconque commence à regarder la série ne doit vraiment, vraiment pas avoir de grands espoirs de le savoir un jour, parce que le jour où ça, ce sera résolu, on s’apercevra que pendant tout ce temps Manifest n’avait rien trouvé à dire de tout ce qui avait été mis en place.
Mais bon, si vous voulez vous divertir gentillement cet été, allez-y, hein. Soyez simplement prévenu, non par moi, mais par les nombreux autres exemples de séries ayant tenté, et ayant raté, ce genre de recette.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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