Deuil de l’inconnu

21 juin 2019 à 18:31

Il n’y a pas que les séries étasuniennes pour se prendre de passion pour la mort et le deuil en ce moment. En Espagne, les spectateurs découvraient voilà quelques mois El Embarcadero. Un peu comme dans Dead to Me dont on parlait quelques jours plus tôt, on y retrouve deux femmes liées par la mort d’un homme. Les comparaisons s’arrêtent là, cependant, comme vous allez le voir.

Álex et Óscar forment un couple marié auquel tout réussit. Ils ont toutes sortes de réunions et de projets, font des voyages d’affaires, et mènent une vie plus que confortable. Le jour-même où Álex décroche un contrat sur lequel elle a longtemps travaillé (la construction d’un nouveau gratte-ciel), son mari s’est envolé pour l’Allemagne ; ce soir-là, alors qu’ils se réjouissent de la nouvelle par téléphone, Óscar lui demande si elle aimerait que leur prochain projet soit d’avoir un enfant.
Évidemment ce bonheur ne saurait durer : quelques heures plus tard, Álex est contactée par la police : on lui demande de venir identifier le corps d’Óscar, retrouvé dans sa voiture, garée sur une jetée… en Espagne.

Après une saine dose de déni (son mari n’est-il pas supposé être à un voyage d’affaires en Allemagne ?!), Álex doit accepter que son époux est bel et bien décédé, une fois à la morgue. Pire : il se serait suicidé. Pourtant ce n’est que le début de ses désillusions : parmi les effets personnels du défunt qui lui sont remis, se trouve une deuxième téléphone. Dedans, des dizaines de contacts qu’elle ne connaît pas, mais surtout… des videos d’une femme.
Ces videos, en réalité, nous les avons vues au début de l’épisode introductif d’El Embarcadero. Leur douceur mais aussi leur réalisation élusive ne nous avaient pas nécessairement fait prêter attention au fait que cette femme, celle qu’Óscar n’a de cesse de caresser, celle qu’il prend dans sans bras, celle avec laquelle il passe des heures au lit… ce n’est pas Álex.
Il y a une autre femme.

Le premier épisode d’El Embarcadero suit les étapes du deuil d’Álex, et il est plutôt normal de passer par certaines d’entre elles lorsque tant de choses semblent basculer en quelques heures. Comment vivre ce deuil « normalement » (si tant est que cela soit possible !), notamment avec les obligations sociales qui sont attachées à ce genres de choses, quand on est en train de découvrir qu’on ne connaissait pas son propre mari ? Quand tout semble s’effondrer ? Quand sa vie décide de n’avoir été qu’un grand mensonge ?
La question suivante est logique : Álex veut savoir qui est cette femme. D’emblée bien-sûr, Álex la hait. A l’aide des fameuses videos de cette intimité qui n’est pas la sienne, elle remonte la piste et découvre la maison où elle vit. Mais dans sa hargne (qui doit, ma foi, bien trouver quelqu’un sur qui reporter sa colère), elle va découvrir que cette autre femme vit aussi un deuil. Pour Verónica, le monde vient de s’effondrer…

Pour l’instant je n’ai vu que le premier épisode d’El Embarcadero ; il y a des choses qui ont du potentiel, d’autres qui pourraient être un peu paresseuses.
La série tente pour le moment d’essayer d’inclure des retournements de situation (y compris un cliffhanger en fin d’épisode) qui ne m’attirent pas trop, je dois dire ; je continue de croire qu’il doit être possible, non : qu’il EST possible d’écrire une série dramatique sans se reposer sur des facilités narratives. Je sais que ça se fait parce que j’ai vu suffisamment de dorama japonais pour en acquérir la certitude : parfois, on peut tout-à-fait s’accorder à ne parler que de l’humain, et ne pas tenter de visser le spectateur à une série avec des rebondissements manufacturés par facilité (ou pire, par manque de confiance en l’intrigue principale). Donc ce premier épisode me laisse un peu une impression de méfiance.

Mais d’un autre côté, El Embarcadero se donne vraiment du mal pour suivre ce que ressent son héroïne Álex, et même en fin d’épisode, Verónica obtient un semblant d’intériorité (quand jusque là elle avait juste été vu par les yeux d’Óscar, qui la filmait dans leurs moments ensemble ; male gaze alert). Elle aussi souffre.
Je trouve intéressant (bien que pour Bechdel on repassera) que ces deux femmes se rencontrent à cause d’un homme, et qu’en quelque sorte le « mystère » induit ainsi est de déterminer qui connaissait Óscar et qui n’en avait qu’une image faussée. L’une ? L’autre ? Les deux ? Verónica était avec lui depuis 8 ans ! Mais savait-elle qu’il était marié par ailleurs ? Laquelle est « l’autre femme » ?
Plus qu’un homme, c’est peut-être même le sentiment de perte, de désorientation, de violation de leur confiance, que les deux femmes partageront le plus par la suite. En tous cas, on peut l’espérer. Ce serait l’angle d’approche le plus intéressant pour cette étrange histoire de ménage à trois.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

1 commentaire

  1. Mila ♥ dit :

    … En vrai, ton site, moi, il me met souvent la B.O. du Roi Lion dans la tête.
    Et par ça, j’entends précisément passage:

    « From the day we arrive on the planet
    And blinking, step into the sun
    THERE’S MORE TO SEE THAN CAN EVER BE SEEN
    More to do than can ever be done »

    Preach, movie, preach.
    (et oui, la télé japonaise est tellement bonne en histoires humaines ♥)

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