Vers l’indigence et au-delà

2 août 2019 à 12:04

Par où commencer pour vous parler d’Another Life ? Ecoutez, pour bien faire, il aurait fallu ne pas commencer du tout… mais enfin au point où on en est, puisque j’ai fini la saison 1, autant mettre à profit mon expérience douloureuse pour vous avertir du danger. Alors je sais, ça fait une semaine que la série a été mise à disposition, ça équivaut à 712 années téléphagiques normales, tout le monde s’est rué dessus et mes avertissements arrivent trop tard. Eh bien je vais vous dire : Another Life est la énième démonstration que toute tentative de regarder une série Netflix à sa sortie est une façon moderne de se tirer une balle dans le pied. Et de payer pour le faire, en plus.

Malgré tout, lançons-nous dans une review. Peut-être en sauvera-t-on quelques uns qui n’avaient pas encore mis le doigt dans l’engrenage. Si vous n’avez pas encore regardé Another Life, les lignes ci-dessous sont à considérer comme un signal d’alarme. Foutez le camps tant qu’il est temps !

Pourtant Another Life ne commençait pas si mal ; son propos de départ est même, pour qui trempe un peu dans la science-fiction (je plaide coupable), assez avenant : lorsqu’un vaisseau spatial arrive sur Terre, et s’installe sous la forme d’un étrange amas de cristal, l’humanité entière est fascinée. Terrifiée, aussi, bien-sûr. D’autant qu’il ne semble pas exister de moyen de communiquer avec ce qui est manifestement une race extraterrestre. Le cristal, lui, communique avec l’espace, envoyant des ondes on ne sait où.
Il faut plusieurs mois aux autorités pour découvrir que ces ondes ont pour destination une étoile lointaine du nom de Pi Canis Majoris. Et pendant que les meilleurs scientifiques planchent sur une façon de communiquer avec le cristal, la meilleure équipe militaire est envoyée vers Pi Canis Majoris, dans l’espoir de déterminer ce que veulent ces extraterrestres et leur degré de dangerosité. Le voyage durera plusieurs mois, mais grâce aux technologies modernes qui permettent de plonger des humains dans un état de stase, ils arriveront frais et dispo sur place. Cela signifie que l’astronaute chevronnée Niko Breckinridge et son mari le scientifique Erik Wallace vont être séparés pendant tout ce temps, chacun ayant une mission à accomplir.
Naturellement, rien ne va se passer comme prévu. Au lieu de voyager paisiblement dans l’espace jusqu’à sa destination, l’équipage se réveille prématurément et commence à vivre un cauchemar. Niko la première, d’autant qu’en plus de diriger le vaisseau destiné à Pi Canis Majoris, elle doit aussi tenter de composer avec des remords qui datent d’une mission précédente près de Saturne, et son éloignement de son mari et leur jeune fille Jana.

Bon, en soi c’est pas bien difficile pour Another Life de feindre être alléchante : il y a de tout dans cette série. Vous prenez un grand shaker, et vous balancez tout ce qui vous tombe sous la main, paf ! ça donne Another Life. Tout l’art de la série est de vous donner un tout petit quelque chose d’une autre fiction que vous avez aimée, mais de ne jamais vraiment s’y adonner. Le début de la série, lorsqu’Erik et son équipe essayent désespérément de communiquer avec le cristal, est un parfait exemple de cela : vous avez aimé Arrival, ne quittez pas. Le problème c’est que quand on commence à balancer des ingrédients venus de tout et n’importe quoi (un épisode ressemble curieusement au pilote de Lost in Space, un autre mérite un putain de procès au cul de la part des ayant-droits d’Alien…), bah ça devient effectivement du n’importe quoi.
Another Life voudrait très fort nous faire croire qu’il y a un véritable univers derrière tout cela. Pourtant ses tentatives déplorables de se dérouler dans le futur et donc de nous raconter quelle Histoire nous attend, quels changements culturels nous attendent, quelles technologies nous attendent, relèvent plus du cache-sexe que d’une réelle intention. Dans le futur, l’armée n’a plus de hiérarchie ni d’uniforme !!! Ouais, et donc ? Et donc rien, mais eh, sur le coup, avouez que ça en jette. Pire, la Terre du futur ressemble trait pour trait à celle d’aujourd’hui, strictement rien n’ayant changé en dépit des catastrophes climatiques et/ou économiques, ces informations n’étant balancées que pour servir vaguement de contexte, voire même de bête anecdote, aux protagonistes qui l’un dans l’autre n’en sortent pas plus différents.

On voudrait nous faire croire, d’ailleurs, que les personnages vivent toutes sortes de crises personnelles, tordus de douleur par leurs doutes, leurs regrets, leurs déchirures. Mais il en ressort deux évidences, intimement liées : ces portraits sont totalement superficiels car jamais (en-dehors éventuellement du personnage central de Niko, et encore) ces tiraillements ne manifestent la moindre vie intérieure, et Another Life n’en tient de toute façon pas compte si ça ne l’arrange pas (« ce personnage est épouvantablement retors, irrespectueux, violent et oh il vient de se sacrifier pour le reste de l’équipage »). Lorsque vient le moment inexorable d’un retournement de situation, c’est-à-dire à ma montre toutes les 7 minutes et 12 secondes… eh bien Another Life abat ses cartes. On s’aperçoit alors le scénario n’a rien à foutre de qui est qui, qui fait quoi, et pourquoi. L’essentiel était juste de se livrer à un exercice de sadisme stérile qui passe, de loin, de dos et dans le noir, pour de la dramaturgie.
Et encore, c’est quand Another Life a la bonté d’essayer d’écrire des semblants de personnages ; la série n’a pas toujours la politesse de prétendre. Il y a une protagoniste qui meurt dans d’atroces souffrances avant même qu’on ait pu mémoriser son nom (a-t-il seulement été prononcé avant son décès ? ça reste à prouver), une autre qui n’existe que par sa capacité à avoir un vagin (je vous mets au défi de me prouver le contraire), et une troisième qui n’est montrée à l’écran que pour mourir dans les 10 secondes suivantes (mais eh, au moins ce personnage a un nom ce qui signifie sûrement quelque chose pour la paie de l’actrice concernée et sa cotisation à la SAG, mille hourras). Ne croyez pas que les personnages masculins soient tellement plus choyés, je vous rassure (il y en a même un qui entre le premier et le second épisode a carrément changé de backstory). Et j’aime autant ne pas me lancer sur les tergiversations autour de l’intelligence artificielle, c’est pas bon pour ma tension.

Est-ce que ça se sent que je suis en colère ? Dites-vous que je n’ai encore mentionné que la moitié de ce qui me défrise dans Another Life. Tout y est paresseux ! Ok, tout, sauf la performance de Katee Sackhoff qui donne tout ce qu’elle a. Mais tout le reste !!!

Le pire c’est qu’Another Life, avec toutes ses bêtises, ne parle de rien. Ce pourrait être une occasion parfaite de parler de traumatisme, de culpabilité, de huis clos psychologique, de tout ce que vous voulez. Mais absolument pas, à aucun moment, zéro. Another Life passe 10 épisodes à rajouter des revirements à des cliffhangers… pour au final ne discuter de rien. Il n’y a aucune signification derrière ses rebondissements si ce n’est garantir que l’équipage n’arrive à rien. Les morts ne signifient rien (même le pire des deuils peut être oublié en quelques minutes). Les vies ne signifient rien (si quelqu’un meurt on a qu’à sortir son remplaçant de stase). Les romances ne signifient rien (deux personnages finissent ensemble parce que personne d’autre n’interagissait avec eux de toute façon). Chaque épisode est une litanie de personnages qui ont peur, qui ont mal, et qui sont en colère, dans l’ordre, mais dans le désordre le plus total, sans que cela n’ait la moindre conséquence. Et ça c’est quand on n’est pas carrément dans le ridicule le plus consommé ! Comment voulez-vous susciter la moindre émotion chez les spectateurs ? Bof, à vrai dire, même chez les scénaristes à ce stade la roue libre est totale. Personne ne se soucie de ce qu’Another Life raconte, et d’ailleurs le signe qui ne trompe pas, c’est que les épisodes passent leur temps à revenir sur ce qu’ils ont dit. J’ai jamais vu une série avec autant de séquences de « mais en fait ce n’était qu’une illusion » au mètre carré !
Qui peut prétendre avoir la moindre notion de ce qu’est la science-fiction et prétendre aimer Another Life ?
Si vous pensiez que j’étais furieuse devant Pandora, accrochez-vous parce qu’à côté c’était mon coup de cœur de l’été.

N’ayons pas peur des mots : Another Life est une purge totale. Un monstre sans queue ni tête piochant allègrement ses références à gauche et à droite pour éviter de réfléchir deux secondes à son histoire, à ses personnages ou à son sens. Des séries comme ça, Netflix en pond 50 semaines par an, sitôt vues sitôt oubliées, mais qui donnent l’impression de rentabiliser un abonnement.
Et la vérité, c’est qu’effectivement, dés que ma colère sera évacuée, j’aurai oublié Another Life. Croyez-moi, faudra pas me le demander deux fois.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

2 commentaires

  1. Manon dit :

    Ah quelle douche froide, je me réjouissais de retrouver Katee Sackhoff 🙁
    Je peux pardonner beaucoup à des séries si les personnages suivent, mais vu ta review ce ne sera pas le cas ici!
    Au moins, la colère passée, tu auras vite oublié.

  2. Tiadeets dit :

    Je l’avais vu passer et bien je n’irai pas la chercher, ni cliquer dessus. Ca ne donne vraiment pas envie…

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