Political play

9 août 2019 à 12:19

Fin juin, Designated Survivor était annulée par Netflix au terme de 3 saisons (dont 2 passées à la télévision américaine sur ABC), mais quelques semaines plus tôt débutait son adaptation sud-coréenne, à la fois sur la chaîne tvN et sur…Netflix : 60 il, Jijungsaengjonja (soit Designated Survivor : 60 Days de son titre anglophone, puisque pour une raison qui m’échappe l’appellation internationale a décidé d’inverser les mots). En dépit d’un premier épisode relativement correct, j’avais fini par être très déçue par la série originale, dont j’ai à grand’peine fini la première saison avant de jurer qu’on ne m’y reprendrait plus.
Mais quelque chose dans l’existence-même de 60 il, au fond, me fascinait. Peut-être parce que les séries politiques sont rares en Corée du Sud. Peut-être parce que Designated Survivor est un concept qui me semble profondément américain. Peut-être parce qu’encore une fois Netflix avait fourré son nez dans notre affaire. Sûrement un mélange de tout cela à la fois.

A l’origine, Designated Survivor repose sur un principe inscrit dans la Constitution américaine : lorsqu’un événement regroupe tous les membres du gouvernement des Etats-Unis ainsi que les élus les plus importants du pays (à l’instar de l’Etat de l’Union), l’un des membres de l’administration est volontairement placé à distance. En cas de problème causant l’incapacité ou la mort des personnalités au sommet de l’Etat, cela garantit de minimiser le chaos : la ligne de succession est sauve, chose d’autant plus importante que la loi américaine ne prévoit absolument pas ce qui doit se produire dans l’éventualité où il n’existe aucun survivant.
Or, cette règle n’existe pas à l’identique en Corée du Sud.
A la place, la Constitution sud-coréenne (article 71, nous informe le premier épisode) prévoit que si le Président est dans l’incapacité d’exercer son pouvoir pour quelque raison que ce soit, le Premier ministre ou un autre membre du gouvernement peut prendre la relève par intérim. Mais il n’est pas choisi par avance : il n’existe pas de protocole basé sur cette éventualité.

La nuance semble subtile sur le papier, mais dans les faits ça change tout ! Et c’est bien ce qui fait l’intérêt de découvrir une adaptation comme celle-ci, en fait : dans les grandes lignes, il existe peu de différences entre les intrigues des deux séries. En revanche, leur signification est radicalement changée par le contexte politique… et par les habitudes culturelles en termes de fiction, tout simplement.
Alors reprenons : Moon Jin Park est marié, père de deux enfants, et un ministre mineur dans le gouvernement du Président Yang. Mais un jour de mars, alors que le gouvernement tout entier est réuni à l’Assemblée nationale à l’occasion d’un discours majeur, deux explosions détruisent le bâtiment, laissant une nation entière sous le choc. Seul le ministre Park, qui était sur le point de démissionner, a survécu, et devient grâce à l’article 71 de la Constitution le nouveau Président par intérim pour 60 jours, le temps d’organiser de nouvelles élections.
L’histoire, on la connaît, donc. Mais regarder le pilote de 60 il n’a absolument rien à voir avec celui de Designated Survivor, aussi bien concernant ses thèmes que les émotions suscitées. Dans 60 il, le fait que la totalité du gouvernement disparaisse d’un coup d’un seul est rendue encore plus tragique par le fait que personne n’a jamais envisagé cette possibilité, et que tout un pays (personnage central inclus) fasse l’expérience de la confusion découlant de cette situation atroce.

Certaines nuances qui semblent anodines à première vue deviennent donc capitales. Moon Jin Park est ministre de l’environnement (et non du développement urbain comme c’était le cas de Tom Kirkman). Voilà encore 6 mois, il était un scientifique, un universitaire, bref, un anonyme ; mais le Président Yang est spécialement venu le chercher pour lui proposer un poste dans son gouvernement. Park est ainsi devenu le plus jeune ministre ayant jamais exercé, avec, qui plus est, une totale méconnaissance du monde politique.
Alors, est-ce que c’est important que le personnage soit plutôt intéressé par l’écologie que le logement ? Eh bien en regardant 60 il, cela devient rapidement évident : l’information est essentielle. Car après une scène d’introduction reprenant les événements conduisant à l’explosion de l’Assemblée nationale, l’épisode opère un retour en arrière de plusieurs heures et, au lieu d’insister sur l’aspect thriller, va nous parler exclusivement de politique nationale et internationale pendant près d’une heure. Et donc parler d’environnement, d’accords commerciaux avec les USA, de paix potentielle avec la Corée du Nord. Mais aussi parler de politique politicienne, de compromis, d’ambitions.

En remontant quelques heures avant l’explosion, la série prend le temps de parler du Président Yang, de sa façon de gouverner, du climat politique, et plus généralement des enjeux d’une présidence. Nous ne découvrons pas ces problématiques aux côtés du ministre Park. La côte d’approbation du gouvernement fait l’objet de répliques saisissantes, qui préfigurent certes des difficultés à venir, mais adoptent une vue d’ensemble allant au-delà du simple rôle que doit jouer Park dans la suite de l’Histoire.
Le gouvernement Yang est en difficulté dans les sondages, et donc politiquement ; le Président Yang est donc fragilisé, y compris au sein de sa propre administration, et perçoit que son discours du jour peut, alors qu’il est à peine à mi-mandat, faire ou défaire son gouvernement. Il a besoin d’être rassuré et épaulé par ses conseillers dans la dernière ligne droite… Il a aussi besoin de savoir qu’il peut contrôler ses ministres. Or, Park n’est pas assez rompu à la politique pour être totalement maîtrisé. C’est un scientifique attaché aux données, aux chiffres, aux faits ; paradoxalement cela fait de lui un idéaliste !
C’est, ironiquement, ce qui lui sauve la vie… et la République de Corée avec lui.

Le premier épisode de 60 il suggère qu’en plus de la gestion de crise due à l’explosion de l’Assemblée nationale, le Président par intérim va hériter de cette situation politique instable. Qu’au-delà de son inexpérience, qui fait partie du principe de la série et sur laquelle reposent de nombreux ressorts, la question va être de savoir comment il va se mesurer au Président dont il prend la relève. Cela implique que la série est profondément consciente de devoir éduquer ses spectateurs à des problématiques politiques peu ou pas présentes dans la fiction sud-coréenne. Cela signifie également que le thriller est très secondaire dans ce premier épisode.
On ne le dira jamais assez : ce qui fait la particularité d’une série, ce n’est pas son pitch, mais toujours son traitement. 60 il montre bien avec cet épisode introductif qu’il y a eu un véritable travail de fond et que le scénario n’a pas été bêtement recopié sur celui de son aînée, mais qu’une véritable démarche de commentaire politique a été entreprise. Et si vous en doutez, regardez un peu ce qui se dit en filigrane sur les relations entre la Corée du Sud et les Etats-Unis pendant une large partie de cette exposition ! C’est plus que ce que je peux dire de Designated Survivor, qui en une saison ne m’aura pas autant impressionnée que 60 il en un épisode.
Vous savez ce qu’il vous reste à faire.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

2 commentaires

  1. Tiadeets dit :

    Oh, en tant qu’étudiante en sciences po, cette série m’intéresse particulièrement. Surtout si le sujet est bien traité ! Je vais aller la mettre sur ma liste !

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