Toutes les vies

11 octobre 2019 à 13:58

L’école Marie-Labrecque. Un établissement scolaire qui de l’extérieur ressemble à tant d’autres. Mais au sein de ses murs, on accueille en réalité des adolescentes enceintes pour les accompagner à la fois dans leur scolarité et leur grossesse. C’est le décor que s’est choisi Toute la vie, une nouvelle série dont la télévision publique québécoise a enfanté cet automne. Pardon.

Toute la vie assume parfaitement son ton de chronique, et cela signifie que le premier épisode peut sembler un peu mou pour qui a oublié ce à quoi une chronique pouvait ressembler. Qui plus est, Toute la vie assume aussi parfaitement d’être un ensemble drama, ce qui signifie qu’il y a beaucoup de personnages à présenter, que la série ne va pas se presser pour le faire, et que les téléphages s’attendant à un épisode introductif parfaitement ficelé et efficace vont probablement avoir des fourmis sur leur fauteuil. Ecoutez, vous voilà avertis.

Personnellement, ça me va tout-à-fait. Beaucoup de séries québécoises savent encore prendre le temps de se poser, de présenter des personnages, de tisser quelque chose lentement, quitte à en laisser pour la suite plutôt que d’essayer de tout formater dans un pilote propre et bien peigné. L’avantage quand on n’a pas un système à l’américaine, fondé sur des pilotes et des upfronts et des machins, eh bien c’est précisément qu’on n’est pas dans un système à l’américaine où tout doit aller vite, et rien ne doit dépasser, sous peine de n’être pas commandé.
Il faut préciser quand même que Toute la vie a aussi un immense avantage : la série est écrite par Danielle Trottier, qui vient d’achever de fournir 7 saisons à succès de la série carcérale Unité 9 sur exactement la même chaîne (et exactement le même créneau horaire). Forcément, ça met en confiance.
Bref la série démarre par une mise en place si tranquille que le choix a tout simplement été d’en faire une mise en place partielle : plusieurs intrigues sont effectivement lancées, mais il est clair à l’issue de son premier épisode que Toute la vie en garde encore beaucoup sous la pédale, tant plusieurs personnages sont à peine présentés. On nous promet même que l’un des protagonistes centraux (incarné par Roy Dupuis, à gauche sur la photo) n’arrivera qu’à l’épisode suivant, c’est vous dire si vraiment on est dans un autre tempo. La mise en place de plusieurs de ses intrigues l’occupe très lentement pendant cet épisode. J’ai quasiment envie de parler de semi-exposition ici.
C’est vous dire si vraiment, Toute la vie se comporte comme si elle avait, hm, oui, donc, bah, toute la vie devant elle.

Trigger warning : fausse-couche.

A Marie-Labrecque, la vie n’est pourtant pas tranquille. Sa raison-même d’exister fait que l’établissement est au cœur d’allées et venues permanentes entre de nouvelles arrivantes enceintes et des sortantes mères, et pour superviser ce ballet étrange, Tina Carpentier-Trudel oeuvre comme coordinatrice. Elle fait le pont entre les élèves, l’équipe pédagogique, l’équipe médicale, et le personnel qui assure le bon fonctionnement de l’établissement. Elle accueille chaque nouvelle venue, accompagne chaque parturiente dans ses contractions jusqu’à l’ambulance. Toute la vie ne nous dit pas (…ou pas encore) d’où vient sa dédication, mais en revanche nous donne toute la mesure de son engagement à accompagner, avec le plus de patience et de bienveillance possible, chacune des ses protégées.
Celles-ci ont toutes sortes de profils. Dans le premier épisode, une jeune fille fait une fausse-couche dans les toilettes, ce qui, aussi sinistre que cela puisse sembler, libère un lit pour une nouvelle venue. Ce sera Edwige, une jeune fille qui n’a plus ses parents, et que sa tante a chassée en apprenant qu’elle était enceinte ; après s’être débrouillée par elle-même pendant plusieurs semaines sans rien dire à personne, Edwige a été repérée et envoyée à l’école Marie-Labrecque alors qu’elle est dans son 2e semestre. Ballottée sans beaucoup d’explications, Edwige est méfiante, et ne sait même pas vraiment ce qu’elle fait là. Tina doit aussi assurer le suivi d’une jeune mère qui pose des problèmes d’assiduité et de dépendance aux drogues.
Pendant ce temps, loin de l’école Marie-Labrecque et même de Montréal, une adolescente d’à peine 13 ans, Anaïs, découvre qu’elle est enceinte… une nouvelle qui ne ravit pas ses parents, et pas beaucoup plus son petit ami, de 4 ans son aîné et issue d’une famille plus aisée.

Certaines intrigues de ce premier épisode semblent vouées à rester secondaires, l’accent étant mis en priorité sur Edwige et Anaïs. Mais même comme cela, Toute la vie ne souhaite pas vraiment tout nous dire de ces histoires ; il semblerait par exemple évident que l’une des premières choses dites sur Edwige soit comment elle est tombée enceinte, ou de qui, mais la choses est totalement tue. Encore une fois ce n’est pas un tort, plutôt un témoignage du rythme bien particulier que veut prendre la série, mais cela veut dire que même ce qui est central dans ce premier épisode n’est pas totalement dévoilé non plus. Non par envie de créer du suspense, mais plutôt parce que Toute la vie veut d’abord et avant tout créer des liens entre les spectateurs et les protagonistes. De l’éducatrice Tina, nous ne savons d’ailleurs rien d’ailleurs, mais nous commençons à l’apprécier tandis qu’elle se débat pour chacune de ses protégées, avec la volonté de bien faire. Toute la vie préfère prendre les choses par cet angle.

…Mais en regardant ce premier épisode, je me suis demandé : est-ce possible de n’écrire qu’un simple chronique de la vie d’adolescentes enceintes ? De ne prendre que des photographies, sans rien dire d’autre ? Je ne sais pas si c’est possible mais je n’ai pas l’impression que Toute la vie puisse le faire, en tout cas. Après tout, l’école Marie-Labrecque ne doit-elle pas son nom à une religieuse ? Et, oh, mais, quel est ce lien… se pourrait-il que cette même école soit inspirée par un établissement scolaire bien réel, l’école Rosalie-Jetté (devant elle aussi son nom à une religieuse) ? Une école financée, en partie (par le biais de bourses), par la Fondation Opti-Vie qui euh, oui, donne l’impression d’être un organisme « pro-vie ». Bon, et puis c’est pas comme si d’une façon générale, la télévision québécoise ne s’adressait pas à un public massivement catholique et plutôt conservateur. Tout ça pour dire : quand une série avec ce genre de pedigree parle d’adolescentes enceintes (dont l’une s’opposant fermement à l’avortement, contre vents et marées), il peut y avoir anguille sous bénitier.
Cela ne signifie pas que Toute la vie fait dans la prêche ; c’est pas The Secret Life of the American Teenager, ici (ah vous l’aviez oubliée celle-là, hein ?). Non, quand même pas. Quelque chose dans le ton, dans le rythme, dans l’approche de Toute la vie lui confère plus de… j’allais dire plus de gravitas. Toutefois le message, volontairement ou non, est assez clair : on ne parlera pas de sexualité mais d’erreurs, on évitera l’avortement, on essaiera de faire en sorte de donner une éducation morale à ces jeunes filles… quitte à virer un peu dans le simpliste pour l’intrigue de la jeune droguée, par exemple.

Il n’y a rien de profondément rédhibitoire là-dedans, soyons clairs. Et une série est, nécessairement, le produit de la culture au sein de laquelle elle est créée et diffusée, c’est plus que normal. Cependant, plus que la question du rythme, ou des personnages dont l’introduction est repoussée à un épisode ultérieur, c’est quelque chose que je trouve difficile à avaler sur le long terme, si cela devait se confirmer. Toute la vie est une série sur, eh bien, la vie. Son contexte-même oriente une certaine vision des choses, parce qu’une adolescente qui choisit un avortement, ou qui a des relations sexuelles parfaitement protégées, elle ne va a priori pas se retrouver là, à l’école Marie-Labrecque. Et ça me chiffonne un tantinet, à la fois par conviction personnelle, et parce que cela signifie aussi écarter toutes sortes d’intrigues d’emblée : je n’ai pas envie de voir des adolescentes « punies » (symboliquement au moins) pour leur sexualité à tous les coups. Je n’aime pas sortir la carte de « on est en 2019 quand même », mais on est en 2019 quand même.

Enfin bon, donc en somme, je suis plutôt contente du ton adopté par Toute la vie. Sa quiétude, son approche peinarde de l’exposition, sa façon de poser des personnages avant de vraiment commencer ses intrigues, tout ça, c’est du solide, et en même temps c’est bien normal, venant de Danielle Trottier. Par contre, sur le discours tenu par la série, je suis plus ambivalente et je vais me donner quelques épisodes de plus avant de décider où je me place. Je vous le disais : vous voilà avertis.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

1 commentaire

  1. Tiadeets dit :

    Oh un sujet intéressant. J’apprécie toujours de lire sur des séries québecoises avec qui on partage une langue, mais qui est quand même différente. Je serais intéressée de savoir si ce que tu dis sur le discours de la série (et d’où ça vient) continue par la suite et si l’angle continue ainsi aussi.

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