They grow up so fast

24 novembre 2019 à 22:39

Elles commencent à se faire nombreuses, les séries (et en particulier les séries pour un public adolescent et/ou jeune adulte) à s’inquiéter de ce qui se passerait si le monde que nous connaissons, pour une raison ou une autre, disparaissait dans le néant, pour ne laisser que des jeunes gens s’autogérer. The Society, DaybreakThe I-Land… Bon sang, rien que cette année et rien que sur Netflix, il y en a déjà plusieurs séries anglophones, auxquelles on pourrait ajouter des titres un peu plus « anciens » et venus de networks, comme The 100. Je ne saurais dire si c’est le seul reflet d’une angoisse générationnelle, mais force est de constater que le thème est omniprésent.
Khweng, lancée ce mois-ci par Netflix sous le titre international de The Stranded, tranche dans ce panorama par un élément essentiel de son identité : il s’agit d’une série thaïlandaise. En tant que telle, elle présente quelques spécificités culturelles, mais on retombe sur le même sujet de départ, encore et toujours.

C’est le jour de la remise des diplômes dans une école huppée située sur une petite île de pêcheurs. L’établissement est une sorte d’enclave pour les enfants les plus riches du pays, et d’ailleurs un seul étudiant d’origine modeste y a suivi sa scolarité, un dénommé Kraam. Ce soir-là, alors que l’école est supposée être vide et ses étudiants en chemin vers une nouvelle vie loin de l’île, une soirée d’adieu a été organisée par les lycéens dans la cour de leur lycée, situé sur une colline. Mais la fête est troublée par un gigantesque tsunami qui submerge toute l’île.
Il s’avère que seuls les 35 jeunes gens présents dans le lycée ce soir-là ont survécu à la catastrophe, ainsi que Kraam ; Khweng s’intéresse à eux alors qu’elle démarre son intrigue 25 jours après le tsunami.

Une grande partie de l’action de la série est centrée autour de Kraam, qui lorsque Khweng commence, semble être surtout un point d’appui pour que l’intrigue puisse insister sur les différences sociales entre les lycéens, comme pas mal de teen dramas après tout. Cela va très vite évoluer en plaçant Kraam au cœur d’un mystère surnaturel dont on n’obtiendra les clés que très progressivement, et partiellement. De toute évidence, Khweng n’a pas envie de se presser sur ce plan, ce n’est pas son objet principal, bien que cela joue beaucoup sur l’ambiance et les préoccupations des personnages. Toutefois Khweng n’a pas envie de délivrer trop aux spectateurs eux-mêmes, et si parfois cela peut sembler lent voire frustrant, eh bien, au regard de la fin de saison il semble évident que Khweng a une vue à très long terme de sa mythologie, qui explique ce peu de précipitation pendant cette première saison.
Malgré le manque d’envie de la série de nous expliquer le mystère qui entoure Kraam, celui-ci va continuer de faire office de protagoniste central, en particulier parce qu’outre ses origines humbles, il est aussi fondamentalement quelqu’un de « bien ». Parfois trop, et j’aurais voulu qu’au moins une fois il dise ou fasse quelque chose de « mal », mais rien à faire. On peut supposer que l’aspect surnaturel explique, au moins en partie, pourquoi il est si « bon », mais cela reste une supposition.

Autour de lui plusieurs personnages se révèlent progressivement comme autrement plus complexes.
Il y a Anan, le leader. Honnêtement personne ne sait pourquoi il a pris la tête des opérations, ni dans la série ni devant l’écran. Anan n’est pas un meneur né, il n’a pas d’autorité, ses idées ne sont pas spécialement bonnes (quand c’est lui qui les a), et il souffre en fait d’une blessure d’ego antérieure aux événements, qui vient du manque de reconnaissance de son père. Le problème est qu’Anan est conscient de n’être pas le chef qu’il voudrait être, un extrêmement dangereux mélange. La vie d’une trentaine d’ado dépend d’un ado insécure, vous imaginez bien qu’on court à la catastrophe. Forcément, mis face à d’autres gens qui eux ont les idées, les compétences ou la capacité naturelle à se faire entendre (…mettons, quelqu’un comme Kraam), Anan va très vite péter un fusible, et Khweng fait vraiment un travail splendide pour nous montrer non seulement son peu de confiance en lui, mais aussi la façon dont il va progressivement se révéler pour ce qu’il est réellement : un être mesquin, possessif, et incapable de se regarder en face.
Hélas pour elle, May est la petite amie d’Anan, et elle va petit-à-petit être aux premières loges pour assister à sa dégringolade. On ignore si c’est la raison première pour laquelle elle prend ses distances avec lui au début (cela pourrait être dû à beaucoup de choses, dont, tout simplement, le tsunami), mais il est certain que plus la saison avance, et plus il lui donne entièrement raison de s’éloigner de lui. May a, en outre, ses propres problèmes ; fille d’un médecin et plutôt brillante elle-même, elle a été d’emblée désignée comme docteure du lycée, prenant en charge les petits bobos comme les blessures graves. Un rôle extrêmement lourd, que May prend très au sérieux ; elle est sans doute celle qui a, la première, pris de plein fouet la nécessité de devenir plus mature à cause du tsunami. N’ayant pas les compétences d’un véritable médecin, mais ayant clairement été mise dans la position d’en porter seule la responsabilité, May est terrifiée à l’idée de ne pas assez savoir faire, ce qui est évidemment un risque réel. Elle passe donc un temps non-négligeable le nez dans son manuel de médecine et à l’infirmerie du lycée. May est la raison pour laquelle je regrette que Khweng ait démarré son intrigues au bout de 25 jours : les tourments de son personnage matérialisent si bien les difficultés de la survie du petit groupe, que j’aurais vraiment voulu voir comment elle a vécu les premières heures après la catastrophe. Et parce que son souhait de bien faire n’a d’égal que sa terreur de rater, il y a de fortes chances pour que cela nous ait donné quelques très belle scènes. Pour autant, May n’est pas du tout docteure dans l’âme, et au fil de la saison, il va apparaître que c’est un rôle qu’elle endosse en dépit de ses propres inclinations.

Ces personnages vont voir leur sort se mêler à celui de toute la classe des survivants, mais, bien que secondaires, plusieurs autres vont aussi avoir leur rôle à jouer dans les développements à venir.
C’est le cas d’Arisa, traitée en paria en raison d’événements antérieurs au tsunami, mais dont l’intelligence et la technicité vont s’avérer capitales pour comprendre certaines choses à propos de l’île. Arisa s’apprête aussi à tomber sous le charme de Ying, seule survivante n’ayant pas fréquenté le lycée, qui était simplement venue ce soir-là pour accompagner à la fête son petit ami Ai (« Ice » dans la version anglophone, mes connaissances en thaï ne me permettent pas de comprendre l’origine de ce changement quand les autres personnages ont gardé le même nom), le « bad boy » du lycée qui cache un lourd secret. Il y a aussi l’étrange triangle amoureux, qui devient rapidement un triangle malheureux, entre Krit et les frère et sœur Jack & Jan ; Jack est, lorsque commence la série, atteint d’une infection à la jambe en cours de gangrénisation. Nahm est une jeune fille discrète, qui pense avoir un don de voyance, chose pour laquelle bien entendu personne ne l’a jamais prise au sérieux jusqu’ici (…jusqu’ici). Il faut aussi mentionner Joey, le seul ami de Kraam au lycée, ou le couple formé par Gun et Nat, qui sans le tsunami aurait été séparé par le cours de la vie mais qui se trouve ici offert un peu plus de temps pour vivre sa romance.

Il faut d’ailleurs noter que Khweng inclut donc DEUX couples homosexuels, écrits de façon totalement gender non-specific (leurs intrigues pourraient à l’identique s’appliquer à des couples hétéro ou autre), et une intrigue lesbienne, bien que moins réussie. D’une façon générale, l’approche de la série vis-à-vis de la sexualité est extrêmement progressiste. Ce n’est pas totalement inédit pour un teen drama thaï (The Judgement, que je peine à finir en raison de la lourdeur de son sujet, propose d’ailleurs une approche similaire), mais je n’ai pas pu m’empêcher de me demander dans quelle mesure avoir un créateur occidental, et pas moins de quatre producteurs exécutifs non-thaïlandais, jouait dans ce résultat.

Derrière l’apparente banalité du pitch de Khweng, que je ne conteste pas, et ses personnages pléthoriques aux intrigues parfois soapesques, il y a avant tout un traitement qui lui donne tout son intérêt.

La raison, à mon sens, est que les séries adolescentes, eh bien… les Thaïlandais savent les faire, tout simplement (je me tue à vous le dire depuis Hormones). Je ne dirais pas qu’ils sont les seuls ou quoi que ce soit, comprenons-nous bien. Juste que quand ils en font, ils les font bien, et en particulier ils réussissent très bien les ensemble drama. Le soin porté dans Khweng à la pléthore de personnages est palpable, et se traduit par une réelle attention à en faire des personnages dépassant les stéréotypes, complexes et, à mon avis, réalistes. Les survivants de la série ont 18 ans environ, et ils se comportent comme tels, pas comme des jeunes adultes se faisant passer pour des lycéens. Ca aide qu’une grande partie du cast ait réellement cet âge, ne nous mentons pas (et d’ailleurs il y a quelques épatantes performances au fil de la série).

C’est-à-dire que tout au long de la saison, quoi qu’il arrive, ces personnages vont hésiter réellement entre une certaine innocence adolescente et un désir autant qu’un besoin de grandir. Evidemment les circonstances font qu’il leur faut grandir de toute façon : ils sont des adolescents qui n’ont plus personne sur qui compter pour survivre. Les velléités d’indépendance typiques de cet âge prennent un tout autre sens dans ce contexte, mais n’effacent pas la réalité, qui est qu’ils sont encore grandement immatures, ce à quoi la série laisse de la place au lieu de catapulter ses protagonistes à l’âge adulte. Khweng ménage ainsi autant les passages les plus sombres que ceux, plus insouciants, d’un groupe d’une trentaine de jeunes entièrement libres de faire ce qu’ils veulent, et qui ont, parfois, juste besoin d’être des adolescents, même quand leur univers les force à grandir.
Mais plus encore, Khweng ne veut pas parler d’eux comme d’adultes, parce que la série veut aussi insister sur l’aspect grégaire de leurs dynamiques. Ils ne sont pas simplement bloqués sur cette petite île ensemble, ils sont bloqués dans leur lycée, comme une extension à durée indéterminée de leurs années lycéennes. Leur dernier jour en tant que lycéens s’étire sur plusieurs semaines à cause du tsunami ; ceux qui étaient populaires, ceux qui étaient pauvres, ceux qui étaient harcelés, et tous les autres, continuent d’être attendus dans le même rôle, à cause de ce cadre qui n’a pas changé et de ce groupe qui n’a pas changé. C’est la seule chose qui n’a pas changé, en fait, et ça explique que chacun se sente obligé de se maintenir, et de maintenir les autres, dans des positions familières. Naturellement, cela ne saurait durer, et c’est un peu de ça dont parle aussi Khweng : de ces changements individuels à marche forcée induits par le tsunami, mais auquel en tant que groupe, ils sont encore réfractaires.
S’accrochant à ce qui est familier mais en même temps incapables de cesser de grandir, surtout étant donné les circonstances, les survivants ne peuvent que vivre de nombreux tiraillements et conflits.

Ce que cela signifie, c’est que les intrigues sont souvent traitées avec beaucoup de tendresse et de finesse. Il y a une élégance appréciable dans la façon dont Khweng prend ses personnages (et leurs émotions) au sérieux, pas uniquement dans le but de divertir comme peuvent parfois se limiter à le faire d’autres séries similaires, mais bien pour offrir une vraie coming-of-age story. Je crois sincèrement que c’est avec ce genre de souci pour la question de la sortie de l’adolescence, et son traitement fin, que Khweng tire son épingle du jeu, à défaut d’avoir d’autres ingrédients fondamentalement originaux. C’est en cela que je trouve les références à Lost simplistes, voire trompeuses.

En tout cas, Khweng est à mes yeux réussie sur un plan dramatique, et c’est honnêtement tout ce que je lui demandais. Le fait que son cliffhanger de fin de saison laisse à penser qu’un renouvellement puisse l’emmener sur un terrain beaucoup plus inédit me laisse aussi pas mal d’espoirs pour la suite (même si je ne crois pas qu’elle ait officiellement été renouvelée pour le moment). Sa durée joue en sa faveur, d’ailleurs, car avec 7 épisodes Khweng n’a pas le temps de sembler longue ou répétitive ou inutilement floue ; on a l’impression d’avoir ce qu’il faut pour étudier plusieurs personnages avec soin, sans faire piétiner les choses à l’excès.
Bref c’est vraiment du solide, et si vous cherchez une série pour exorciser votre éco-anxieté tout en vous attachant à des personnages bien construits, Khweng (dispo sur Netflix sous le titre de The Stranded, donc) est vraiment celle que je vous recommande.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

3 commentaires

  1. Mila ♥ dit :

    Comme je le disais sur twitter, cette série m’avait tapé dans l’oeil. Le souci c’est que j’ai dix milliards de trucs qui me tapent dans l’oeil (en vrai, c’est cool, je préfère dix milliards que rien du tout) mais elle rassemble des tas de choses que j’aime, à commencer par cette histoire de jeunes qui doivent s’auto-gérer. De base, j’aime bien les histoires de gens qui se retrouvent coupés de la société et doivent se réorganiser, de toute façon. Et comme tu dis, il semble qu’il y en ait de plus en plus avec principalement des jeunes (et parfois quelques adultes qui trainent) laissés à eux-mêmes (j’ai regardé Daybreak y a pas longtemps, d’ailleurs), et ma foi, je ne m’en plains pas (mais mes favoris dans le genre restent Bokura no Yuuki et Long Love Letter, même si *techniquement* les deux personnages principaux de Long Love Letter sont adultes… m’en fous ça compte…VOILA).

    Et puis à côté de ça, je me suis promis d’explorer un peu plus la Thaïlande parce que, comme tu le dis, ils font de bons teen-dramas (pour le peu que j’en ai vu et le beaucoup dont on m’a parlé). J’ai été arrêtée, par le passé (mea culpa) par les qualités de production qui n’étaient pas toujours au rendez-vous, mais je ne pense pas que ce soit toujours autant d’actualité.

    Anyway, tu dis plein de bonnes choses, et comme toujours tu les dis très bien, donc yay toi ♥

  2. Céline dit :

    J’avais commencé à la regarder, justement parce que j’avais vu qu’elle venait de Thaïlande, et que c’est pas tous les jours que j’ai l’occasion de voir une série thaïlandaise !
    J’ai tenu 3 épisodes, un peu frustrée par le peu d’éléments liés au mystère, je pense que la bande-annonce m’a induite en erreur et a fait que je m’attendais à une ambiance plus surnaturelle, alors qu’on voit surtout les membres du groupe et ce qu’ils font pour survivre.
    Mais même en dehors de ça, je ne me suis pas spécialement attachée aux personnages (et même certains m’ont agacée), et je n’ai pas vu vraiment d’intérêt à continuer, m’étant ennuyée pendant l’épisode 3.
    Bref, j’ai essayé, mais c’est pas pour moi !

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