Teenage angst

4 janvier 2020 à 20:22

Pour décembre 2019, je m’étais fixé un petit défi perso : ne parler d’aucune série étasunienne.
Je ne doutais pas un seul instant d’avoir amplement de quoi parler boutique en-dehors des USA, soyons clairs : la « Peak TV » c’est partout dans le monde, quasiment tous les pays augmentent leur production en quantité ET qualité. Ya matière à parler de séries pour les 712 années à venir sans toucher une seule fois aux Etats-Unis si je veux (me tentez pas). Non, c’est surtout que j’avais envie de me libérer de l’obligation que je m’impose parfois (et on est d’accord que je suis ma propre victime) d’essayer de parler, régulièrement, de séries moins obscures que mes trouvailles thaïlandaises ou polonaises ; en général à un moment du mois, je finis toujours par me dire « bon quand même on va essayer de causer d’un truc qui donne pas des allergies de principe aux gens » et je reviens au (relatif) conventionnalisme de la fiction US. Relatif parce que si c’est pour parler de Tyler Perry, hein, on se comprend.
Alors du coup rien ne vaut l’opportunité de faire l’extrême inverse, et de me dire : ce mois-ci c’est zéro série américaine. Pis en toute honnêteté, j’étais très curieuse de voir si quelqu’un le remarquerait, aussi (pas à ma connaissance, mais je soupçonne que miser sur l’absence de réponse pour en avoir la preuve soit une méthode scientifique biaisée).

Janvier 2020, fin de la blague : on va réintégrer les séries américaines dans le menu. Et quelle plus belle occasion de le faire que de reparler des séries US en commençant par un coup de cœur ?
Et pas uniquement parce que le matériel promotionnel est violet.

Addy est une adolescente qui vit dans une petite ville des USA où il n’y a rien à faire sinon rêver de se tirer de là vite fait.
Ses espoirs, elle les a placés dans ses performances sportives au sein de l’équipe de cheerleaders de son lycée, dont elle espère secrètement qu’elles lui permettront de décrocher une bourse universitaire. Enfin… c’est le genre de rêve qu’il ne faut pas faire trop fort : dans la petite bourgade de Sutton Grove, rares sont ceux qui trouvent une porte de sortie. Le parcours de la plupart des adultes de son entourage est là pour le lui rappeler. Sa meilleure amie Beth, dont elle est inséparable, représente quant à elle le rappel inverse : meublant son ennui et son désespoir avec de l’alcool, du sexe et une rébellion sans éclat, elle semble personnifier ce qui attend Addy si rien ne se produit.
Justement, quelque chose se produit : à la rentrée, les cheerleaders ont une nouvelle entraîneuse, Colette French. C’est une faiseuse de championnes qui a aidé « ses » équipes précédentes à multiplier les victoires ; elle pourrait bosser n’importe où, mais elle est venue à Sutton Grove parce qu’elle suivait son mari, chef du développement urbain qui vient de décrocher un contrat pour faire construire un stade flambant neuf. Sa rigueur, sa perspicacité, et sa beauté, fascinent immédiatement Addy.

Dare Me est, avant toute autre chose, un teen drama ; en soi c’est déjà exceptionnel parce que les séries adolescentes, ça n’a jamais été le fort d’USA Network, et certainement pas sa vocation première. La raison pour laquelle cela se passe tout de même, dans le cas présent, est que Dare Me le genre de série qui semble plus s’attacher à parler de l’adolescence qu’aux adolescents.

C’est d’abord le cadre narratif de ce premier épisode qui m’incite à le penser : comme tant de pilotes (tous ?), Dare Me commence par un aperçu de ce qui va se produire plus tard, un flash forward qui promet quelque chose de grave, avant d’opérer le désormais incontournable retour en arrière qui nous permettra de comprendre comment on en est arrivés là. Je vous le dis comme je le pense : ce n’est certainement pas ce procédé d’une grande banalité qui m’a charmée dans ce premier épisode. Mais cet outil appuie aussi ce qu’il se dit en voix-off pendant cette scène d’introduction (ou plutôt de promesse). Dare Me s’attache en effet plutôt à disserter de la nature de l’adolescence en général que sur des ressentis d’adolescentes à l’instant T. La voix-off d’Addy, qui interviendra encore en fin d’épisode, insiste sur cette notion de recul également, en rapportant des propos abstraits qui ont fait forte impression sur la jeune fille, dépriorisant son propre témoignage.
En somme le premier épisode de Dare Me, bien qu’ayant de toute évidence une héroïne prenant toute sa place dans l’intrigue, ne veut pas parler d’elle, et assume complètement de préférer une réflexion plus large sur ce que le parcours d’Addy dit de l’adolescence en général. Avec le risque, bien entendu, inhérent à une telle généralisation, mais ayant le double de l’âge de sa protagoniste je me garderai bien de juger ce qui représente ou non une vérité ultime sur les adolescentes d’aujourd’hui.

A bien y regarder, on a l’impression d’assister au postulat en négatif de Friday Night Lights : c’est la même petite ville, les mêmes problèmes collectifs et individuels, mais le regard porté est à l’extrême inverse (c’est « amusant » parce que Peter Berg est producteur des deux séries). Au lieu de s’attarder sur les parcours individuels, Dare Me préfère que ses personnages expriment des abstractions. Blasée par cette petite vie dans une petite ville, la série ne semble pas non plus vouloir laisser à son héroïne beaucoup d’espoir sur ce que représente d’être née à Sutton Grove. Les adultes y sont globalement pathétiques, bloqués dans des existences qui les désespèrent, et les adolescents promis exactement au même avenir (à moins de s’engager pour l’armée à la grande rigueur). La collectivité ne représente aucune source de chaleur humaine ni de salut. Bref, c’est Friday Night Lights avec une sérieuse gueule de bois.

En dépit de son approche désabusée, Dare Me accomplit pourtant beaucoup. Ou peut-être grâce à elle.
A Sutton Grove, c’est précisément parce que l’avenir semble bouché que quelqu’un comme Addy nourrit des espoirs d’essor personnel. Le rêve américain existe grâce à des villes comme celle-là : si l’on ne croit pas qu’on puisse se tirer de là, précisément on ne croit plus à rien. Du coup c’est aussi souvent là qu’il meurt, ce fichu rêve américain, sauf que quand on est une adolescente, eh bien ça, on ne le perçoit pas encore. On se sent puissante, on ignore ses limites et on n’est pas encore rodée à percevoir clairement celle des autres. Ou pire, on pense qu’on peut aider les autres et les tirer par le haut, avec soi… C’est un peu ce que fait Addy, qui commence l’épisode dans le sillon de sa BFF, dont elle perçoit qu’elle ne va pas bien mais qui l’adore trop pour ne serait-ce que ce concevoir que Beth est en train de la tirer vers le bas. Alors Addy prend sa défense, prend son parti, prend son mal en patience aussi. Au moins pour le moment… gageons que Dare Me va nous faire un Can’t Cope Won’t Cope plus ou moins progressif. La façon dont Addy échange sans cesse des regards complices avec Beth, au départ, comme si elles partageaient des conversations télépathiques, se raréfie pour commencer à suivre la façon dont Addy dévore des yeux sa coach, et interroge progressivement du regard sa complice de toujours. D’ailleurs l’un des points fort de Dare Me est de retranscrire si bien l’amitié fusionnelle vécue par tant d’adolescentes enchaînées l’une à l’autre, souvent en dépit du bon sens, et que seuls les adultes qui prêtent attention (c’est-à-dire, dans le cas présent, les spectateurs… toujours cette notion de recul) voient comme vouée à l’échec à long terme…
C’est là que se joue l’arrivée de la nouvelle entraîneuse. Elle est belle, elle a trouvé le succès, elle s’est créé une vie et une attitude de battante. On sent que Dare Me veut insister (peut-être un peu confusément par moments) sur la façon dont Addy, pas franchement maîtresse de ses émotions, est incapable de déterminer précisément sur quoi porte sa fascination. Est-ce purement une question d’avoir trouvé la personnification de ses ambitions ? Est-ce amoureux ? Sexuel ? Un peu de tout cela à la fois, et je me demande dans quelle mesure Dare Me va interroger certains de ces éléments (il va sans dire que pour les ados de Sutton Grove, l’hétérosexualité tombe sous le sens…).

Si cela fonctionne dans cet épisode d’exposition, c’est parce que Dare Me utilise cela à titre introductif d’abord (posant les dynamiques entre les protagonistes), mais aussi parce que cela instaure une ambiance.
C’est cette ambiance qui scelle la fascination que moi, de mon côté de l’écran, j’ai éprouvée devant ce premier épisode. A voir les premières minutes de Dare Me, je me figure un peu (dans les grandes lignes) ce qui attend Addy, et c’est le principe… mais ça n’a pas d’importance parce que la voir se consumer devant ce qu’elle adore depuis toujours, puis devant ce qu’elle découvre, m’a totalement happée. Les désillusions et les dangers qui l’attendent sont quasiment (j’ai bien dit quasiment) accessoires quand on voit comment Dare Me traite son sujet de fond dans cet épisode.

A mon grand âge, il est très possible que cela soit l’une des rares façons pour moi de m’absorber dans des séries de ce type : me permettre d’y accéder en tenant compte de mon recul. Quand on est ado, il y a toutes sortes de choses qui paraissent évidentes, qui ne le sont plus du tout ensuite ; en parallèle, il y a toutes sortes de choses qu’on n’a pas le matériel émotionnel pour percevoir correctement, et qui conduit à des erreurs.
Il ne fait pas grand doute dans mon esprit que Dare Me a un côté un peu popcorn, mais que la série mette si tôt en place quelque chose d’aussi complexe que de me laisser regarder l’adolescence d’Addy avec mes yeux d’adultes est séduisant, et fait appel à des choses plus complexes. Je suis séduite par la perspective qu’on parle des zones d’ombre de la nature humaine lorsqu’il s’agit d’adolescentes (si souvent décrédibilisées dans la popculture… a fortiori américaine), et j’ai envie de voir où cette démarche mène. Ca me parle comme rarement.


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

4 commentaires

  1. Mila ♥ dit :

    Je t’avoue que non, en effet, je ne m’étais pas rendu compte de l’absence de fiction USA en décembre… A ma « décharge » c’est parce que sur ton blog, ça ne me choque pas plus que ça ? J’ai l’habitude que tu nous parles de tellement de pays, tellement plus que des USA, que leur absence ne m’a pas frappée… faut dire aussi que de toute façon, quand tu nous parles de séries états-uniennes, la plupart du temps, les séries dont tu parles sont aussi inconnues à mes yeux que les séries d’autres nationalités (il n’y a que quand tu parles de séries japonaises, coréennes, chinoises ou thailandaises que, dans 90% des cas, je sais de quoi on cause)… donc pour moi, ton blog, c’est un grand catalogue (à défaut d’un meilleur mot) de séries que je ne connais pas, venues d’absolument partout, où tout est un peu sur pied d’égalité, finalement. Tu es tellement touche à tout et me fais tellement découvrir de choses en général, que pour moi, c’était « business as usual » finalement… Je ne sais pas si c’est bien tournée et clair ce que je dis, mais c’est un compliment, parce que le fait que tu touches à tout (sauf l’horreur, mais bon, personne n’est parfait) et, donc, me fasse lire sur tout, c’est ce que j’apprécie le plus ici 🙂

    Même si c’est vrai que, bon, je regrette un peu ta malhonnêteté.

    Non parce que « Et pas uniquement parce que le matériel promotionnel est violet. »

    YEAH RIGHT.

    (ok, ok, j’ai lu le reste)
    (mais you’re not fooling anyone nonetheless)

  2. Scarlatiine dit :

    Ah, tiens, je ne suis pas la seule à avoir relevé le « Et pas uniquement parce que le matériel promotionnel est violet. » À qui tu veux faire croire ça, hein ? ?

    Sinon, moi non plus, je n’avais pas fait attention à l’absence de séries américaines le mois dernier. En même temps, c’est l’essence même de ton site, de nous proposer des séries de tous horizons, donc bon… (Si ça avait été dans l’autre sens par contre, je l’aurais peut-être remarqué ?)

    En ce qui concerne Dare Me, ce que tu en dit me plaît bien et m’interpelle même. J’ai pas mal pensé à My So-Called Life en te lisant (même si Angela Chase n’habite pas une petite bourgade). Je pense que je vais laisser sa chance au pilot ^^

    • ladyteruki dit :

      Eh bah tu sais quoi, c’est marrant parce qu’une version précédente de cet article, lorsqu’il était en travaux, incluait effectivement une référence à My So-Called Life (dans le paragraphe qui parle de « plus s’attacher à parler de l’adolescence qu’aux adolescents »). Et si effectivement le ton n’est pas le même, et le contexte non plus, j’ai ressenti une proximité vraiment forte.
      (j’avais cependant décidé d’enlever cette référence parce que l’aspect sexe et popcorn induit quand même en erreur des gens qui penseraient que Dare Me est aussi « safe » que peut l’être My So-Called Life)

      • Scarlatiine dit :

        Ahah, les grands esprits, tout ça ^^

        Vraiment, en relisant la phrase « C’est un peu ce que fait Addy, qui commence l’épisode dans le sillon de sa BFF, dont elle perçoit qu’elle ne va pas bien mais qui l’adore trop pour ne serait-ce que ce concevoir que Beth est en train de la tirer vers le bas. Alors Addy prend sa défense, prend son parti, prend son mal en patience aussi. », c’est assez troublant. Tu remplaces Addy par Angela et Beth par Rayanne, et tu as les premières minutes de MSCL…

        (Rien à voir, mais il existe un moyen de suivre les commentaires d’un article ? Je n’avais pas vu que tu m’avais répondu ?)

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