Chères séries de mon enfance

10 janvier 2020 à 21:52

La semaine dernière, France3 diffusait le documentaire La saga des feuilletons et des séries, et une fois n’est pas coutume c’est de cela qu’on va causer ce soir.
La saga des feuilletons et des séries (ou LSFS par souci de brièveté) s’attelait à une tâche largement sous-évaluée : parler de la télévision française sous l’angle de son Histoire. Regardez vos bibliothèques, jetez un œil à vos librairies, faites un tour chez votre revendeur préféré : la plupart des ouvrages sur la télévision publiés en France ne concernent pas la télévision française. Convaincue d’avoir des lacunes (mais on va y revenir), tout en étant évidemment charmée par la perspective de pratiquer un peu de Tivistory, je me suis dit que cette soirée exceptionnelle allait être fascinante et ai résolu de mettre la main sur documentaire en question. Me voilà donc, une semaine plus tard, à vous en parler… du haut de toute la non-expertise de votre serviteur sur le sujet étant donné qu’on ne va pas se raconter des histoires : la télévision française, ce n’est pas du tout ma spécialité.
Le jour où France3 veut commander un documentaire sur les séries francophones hors-France, par contre, j’ai peut-être mes chances de briller.

Pas experte en Histoire de la série française, donc… et pourtant à ma grande surprise, je savais déjà pas mal de choses dites dans ce documentaire, ce qui m’a ravie. Pas parce que j’aime bien qu’on me répète des trucs que je sais déjà (au contraire), mais parce que, constatant ça, j’ai pensé : « ah, tiens, peut-être que je suis trop sévère avec moi-même dans ce domaine ».
D’ailleurs ça m’a au final beaucoup interrogée : comment cette culture télévisuelle m’est-elle venue ? On dit et répète sans cesse que notre télévision a longtemps été inondée de séries étrangères (principalement américaines). C’était en outre particulièrement vrai lorsque j’ai fait le gros de ma culture télévisuelle « de base », c’est-à-dire dans les années 80 et 90, période particulièrement propice pour acquérir le tronc commun et presque rien d’autre, surtout en l’absence d’un grand choix de chaînes et d’internet pour cultiver mes propres centres d’intérêt et pratiquer mes propres recherches, comme c’est le cas aujourd’hui. Si en plus on prend en compte le fait que j’ai grandi dans une maison où la télévision était souvent sous clé (littéralement, le meuble avait une serrure) et des parents peu disposés à considérer la culture cathodique comme, eh bien, de la culture… D’où me sont venues toutes ces informations ? Baigne-t-on à ce point dans la culture télévisuelle de notre pays sans même s’en rendre compte, au point de connaître Thierry la Fronde, Les Sainte chéries ou Les 5 dernières minutes malgré soi ?
Encore une fois, je pense que je sous-estime carrément certains facteurs, et entre autres, ma propre curiosité. Quels que soient mes problèmes avec la fiction française™ (et ce n’est ni le lieu ni le moment pour les énumérer), j’ai fait des visionnages (même si chaque année depuis 712 ans je me promets de regarder Belphégor et ne le fais jamais), j’ai fait des lectures, j’ai fait mes devoirs.

Pourquoi je ne me fais pas plus confiance ? Rien que la liste des fun facts sur la télévision française devrait me rappeler que je ne suis pas totalement ignare à ce sujet.
C’était même très amusant de m’écrier régulièrement : « oh, ça j’ai fait un fun fact dessus ! » comme si le documentaire servait de vérification à mes acquis.

 

J’ignore si d’autres téléphages ont fait cette expérience, devant le documentaire, de réaliser que toute cette Histoire n’était pas aussi étrangère qu’attendu ?

 

Une part de l’explication, bien-sûr, se loge tout simplement dans les choix faits par LSFS. Celui de n’évoquer quasiment que des « grandes » séries françaises, les plus marquantes, les plus évidentes. Il y avait une volonté claire de parler de télévision à condition qu’elle fasse écho soit à la nostalgie, soit à la culture générale, voire les deux. A mes yeux n’était obscure (et d’ailleurs un peu présentée comme telle) que la série avec Denise Fabre, Madame êtes-vous libre ? diffusée en 1971.
C’est limite un peu dommage, paradoxalement. Un documentaire d’une durée de quasiment deux heures et demies aurait eu largement le temps de parler de séries qui n’ont pas forcément autant marqué les esprits sur le long terme, mais qui n’ont pas moins contribué à notre parcours télévisuel collectif, ou ont reflété les capacités/modalités de production d’une époque, mettons. Pour prendre un exemple au hasard : La caméra explore le temps ; cette anthologie historique n’a sans doute pas eu d’impact sur notre production nationale (en France, nous n’avons pas développé un goût prononcé pour les anthologies), mais n’en a pas moins été une production majeure de son temps. Sur un angle plus « technique » je suppose, il aurait été intéressant de souligner qu’elle correspondait parfaitement aux capacités de production de la télévision française dans les années 50. Sans compter qu’à l’époque, le feuilletonnant était rarissime quel que soit le pays (ok là je veux bien admettre que ce sont mes obsessions pour la contextualisation qui reviennent !), et que l’anthologie tombait sous le sens pour un medium qui n’en était qu’à ses balbutiements.

Après c’est sûr que si on veut prendre 20 minutes pour demander à Véronique Genest si elle s’amusait sur le plateau de Julie Lescaut, on ne peut pas tout avoir. Et là vraiment j’en arrive à ma plus grosse difficulté avec LSFS : le documentaire est entrecoupé d’interviews de plusieurs grandes figures de la télévision française (…et de Dominique Besnehard dont apparemment on voulait vraiment savoir s’il trouvait que Denise Fabre ressemblait plutôt à Sophia Loren ou Audrey Hepburn, et c’est en effet hautement informatif). Qui n’ont, pour la plupart, pas des masses de choses à apporter à notre affaire. Pour beaucoup d’entre eux il s’agit juste de débiter quelques banalités, de jouer sur la corde sensible, ou de « révéler » qu’ils ont des bons souvenirs de tournage avec un acteur aujourd’hui disparu.
N’est à mon sens vraiment convaincante dans ces séquences que Corinne Touzet, laquelle parle encore d’Une femme d’honneur comme si elle était en plein tournage ou en pleine séquence promotionnelle, développant vraiment les raisons pour lesquelles elle était investie, ou sa décision d’arrêter la série… mais aussi, et ça c’était solide, de ce qui à son avis expliquait l’importance d’Une femme d’honneur dans la conscience collective. Pour le coup, voilà quelque chose qui donne un peu de grain à moudre, et bien qu’évidemment partial et bref, ça avait de la valeur. C’était aussi intéressant de revenir sur la carrière de Mehdi, l’un des premiers (et rares) enfants star de la télévision française, et d’évoquer comment il s’est construit dans ce milieu…
Bref, offrir un peu de recul, ou d’analyse (le mieux qu’on aura dans le genre sera un extrait très bref d’une vieille video de Serge July sur Dallas), était possible via ces interviews, c’est juste qu’il fallait en faire le choix et ça n’a pas été le cas. Ca donne des interventions parfois très superficielles (genre Yves Rénier qui se regarde jouer dans un extrait ou un autre, alors que précisément être autant cité pendant ce documentaire aurait dû lui permettre de parler de longévité à la télévision française, un truc donc presque personne ne cause jamais sérieusement), voire fait hausser un sourcil quand des contrevérités sont énoncées sans aucune contradiction (…ça sert à rien de prétendre avoir été la première à faire quelque chose si on vient de voir deux minutes plus tôt un exemple du contraire).

Deux autres bémols doivent également être évoqués vite fait, et sont à mon avis liés.
D’une part, le fait que LSFS ne soit pas du tout chronologique est assez déroutant. On sent que le documentaire essaie de s’orienter vers des thèmes (les sitcoms, mettons, ou bien entendu les séries policières), et cela conduit la narration à plusieurs fois opérer des retours dans le passé pour revenir aux origines de tel genre à la télévision française, et lentement retracer son évolution. Bon, je vous le dis tout net, ça n’aurait pas été ma préférence ; je trouve un article historique plus clair quand on emmène les gens d’un point A à un point B, et je regrette la structure des quelques articles historiques que je n’ai pas écrits sur ce modèle. Ca emmêle les pinceaux sans grand gain en contrepartie.
Et d’autre part, presque paradoxalement, certains genres et/ou angles sont totalement éclipsés de la rétrospective effectuée par LSFS. Où sont les séries pour ados (qui auraient pu si aisément être discutées dans la foulée des sitcoms AB, genre Seconde B ou plus récemment Skam France), ou, pire, les shortcoms, un genre presqu’exclusivement français ! Il est naturellement impossible de citer toutes les séries produites en France… mais omettre entièrement Kaamelott, l’une des séries les plus entrées dans le langage courant et la popculture moderne ? Ecoutez moi je veux bien qu’Alexandre Astier ait autre chose à branler en ce moment que de se pointer pour une interview-nostalgie dont il ne restera que 2 minutes en bout de course, mais euh, c’est pas sérieux c’t’affaire. On notera dans la foulée une autre aberration totale : aucune création originale™ de Canal+, M6 ou arte n’ont eu droit de citer. Toutes proportions gardées, leurs productions sont en effet moins anciennes que l’ORTF, la télévision publique, ou TFHein (quoique la chaîne cryptée ait commencé à proposer des séries dans les années 90, genre H, et que M6 ait diffusé son lot de sitcoms fabriqués à la chaîne), mais ça irait quand même mieux si en parallèle, LSFS ne prétendait pas couvrir, eh bien, vous savez, toute l’histoire télévisuelle française de L’Agence Nostradamus jusqu’à Plus belle la vie.

Alors encore une fois, il ne fallait pas non plus attendre qu’un seul documentaire ne durant qu’une petite soirée soit exhaustif. Sachons raison garder : produire un documentaire sur le sujet, c’est s’atteler à un gros morceau. Peut-être qu’ironiquement, La saga des feuilletons et des séries aurait dû être… une série documentaire.

Quant à moi, je vous fais la promesse solennelle qu’en 2020, je regarde et reviewe au moins l’une des séries mentionnées dans ce documentaire. C’est décidé. Laquelle ? Mystère…!


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

3 commentaires

  1. Mila ♥ dit :

    Je vote Belphégor, plize !
    Et yeeeesss, un article qui parle essentiellement de toi ! Pas que, mais beaucoup. Je ne suis qu’enthousiasme au fond de moi.
    Et en général, de toute façon, je suis d’avis que tu devrais avoir plus confiance en toi.et j’espère qu’on te contactera le jour où il faudra discuter d’histoire télévisuelle dans un autre documentaire 😉
    Je suis également assez soufflée de l’occultation de Kaamelot, pour le coup ! et des shortcoms en général… Même Un gars une fille, Caméra Café, pour moi, ça fait partie du « culte » de la tv française ? (après, j’ai peut-être une image déformée)

    • ladyteruki dit :

      Nan ils ont mentionné rapidement Un gars, Une fille (dans la prolongation des Saintes chéries, parce que les deux dressent le portrait de la vie de couple/familiale), quand même. Mais le mot « shortcom » n’a pas été prononcé et non, Caméra Café non plus. Du coup Scènes de Ménage, pourtant gros succès public, n’a pas eu droit de citer, ce qui aurait pourtant été logique… ‘fin tu vois le genre.
      Alors c’est pas ouvert au vote, mais c’est en effet sur la liste oui 🙂

  2. Scarlatiine dit :

    Ah ouais, en gros, en dehors des séries de France Télévision, TF1 et l’ORTF, point de salut ? ? Ça me rappelle il y a quelques années quand une émission de Canal + avait proposé son top des meilleures séries du moment et que les premières places étaient trustées par des séries justement diffusées sur la chaîne, quel hasard, dis donc ?

    Et moi aussi, je vote Belphégor !

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