Now you see her

26 janvier 2020 à 15:49

Les séries pour la jeunesse étasuniennes se décoincent, depuis quelques années. On doit ce progrès, j’ai déjà eu l’occasion de vous le dire, à l’essor des productions issues des diffuseurs non-traditionnels, qui remuent le cahier des charges strict imposé pendant plusieurs décennies par Disney et Nickelodeon. Longtemps, les jeunes téléphages n’avaient droit qu’à des sitcoms superficiels, tournés au kilomètre, évitant soigneusement d’évoquer la moindre notion émouvante ou contrariante, afin de mieux fourguer des produits dérivés au kilo. Entre ça et les séries de la WB puis CW (qui généralement sont conçues pour aussi correspondre au public YA…), il n’y avait rien.
Les choses sont bien plus intéressantes à l’international (et j’ai eu l’occasion de vous parler, au fil des ans, de productions ou co-productions canadiennes, britanniques, australiennes ou norvégiennes), où l’on s’autorise historiquement des genres plus variés, et des tons à l’avenant. Il a fallu attendre l’arrivée des plateformes de SVOD pour assister à un changement conséquent aux USA. C’est aussi vrai pour les webséries, et c’est de l’une d’entre elles dont je vais vous parler aujourd’hui.

Zoe Valentine, qui s’adresse ostensiblement aux préados et jeunes adolescents, s’avère tenter quelque chose d’unique en parlant à son public cible… de deuil.

Zoe Valentine est avant tout « l’autre Valentine », après que sa sœur aînée Cleo soit décédée des suites d’un cancer.
Toute sa vie, la cadette a eu l’impression de vivre dans l’ombre d’une jeune fille populaire, extravertie, prometteuse ; tout ce que Zoe a l’impression de ne pas être. Elle ne souffre pas seulement de la culpabilité d’avoir survécu à sa sœur : elle a aussi la conviction que la fille Valentine qui est morte n’est pas celle qui aurait dû, comme si ce genre de choses se jouait au mérite. C’est compliqué de composer avec la mort, quand on n’a que 14 ans.
Mais qu’est-ce qui n’est pas compliqué à 14 ans ? Zoe semble avoir toujours eu des difficultés avec plein de choses, et notamment dans ses relations sociales. Elle n’a qu’un seul ami, Brody, avec lequel elle a fait un pacte il y a plusieurs années maintenant, selon les termes duquel ils ne se feront jamais d’autres amis, et consacreront leur vie à la magie. Leur but : apprendre et maîtriser tous les tours possibles, pour un jour avoir leur propre spectacle à Las Vegas ! Malgré cette motivation hors du commun, Zoe pense n’avoir rien de spécial dans sa vie, quand bien même c’est une jeune fille très intelligente, qui a même sauté deux classes et suit le programme de mathématiques du niveau de… eh bien, sa sœur aînée. Toutefois, lorsqu’elle est au lycée, tout le monde (à l’exception de Brody) ne semble remarquer son existence que parce que l’absence de Cleo se fait sentir. Malgré cet état de fait (entre autres parce qu’elle est en cours de maths avec les amis de sa sœur), Zoe va progressivement faire basculer cette dynamique, tout en faisant face à ses émotions face au deuil de Cleo.

Car, rassurez-vous : Zoe a beau broyer du noir (et comment en serait-il autrement vu les circonstances ?), Zoe Valentine a en fait plein de jolies choses à raconter.

Sur Zoe elle-même, d’abord et avant tout. Ca va de soi.
La disparition de sa grande sœur éveille toutes sortes d’émotions qui ont du sens de notre point de vue, mais qui évidemment, pour elle, sont complexes. En premier lieu, elle se sent terriblement curieuse à propos de la défunte. Zoe réalise qu’elle avait pas mal idéalisé sa sœur, mais qu’en réalité elle ne la connaissait pas bien, d’autant qu’il y avait pas mal de distance entre elles, que la jeune fille avait mis sur le compte à la fois de son infériorité et sur l’impression d’avoir été rejetée par Cleo. Naturellement, c’est maintenant qu’elle ne peut plus la confronter à ce sujet que Zoe a le plus besoin de réponses ; c’est dans l’entourage de son aînée qu’elle va tâcher de les trouver.
Par chance, Isaac, le petit ami parfait de Cleo (il est évidemment membre de l’équipe de foot), l’approche à plusieurs reprises, et tente de nouer une forme d’amitié avec Zoe, dont il avait à peine semblé remarquer l’existence jusque là. Mais après tout, n’est-ce pas normal : ne sont-ils pas les seuls au lycée à comprendre ce que cela représente que de devoir composer avec l’absence de Cleo ? Il va progressivement intégrer Zoe à son cercle social, parfois un peu malgré elle, parfois un peu malgré Brody ; et par la même occasion, Zoe va, en essayant de suivre les traces de sa sœur, sortir de sa coquille. Des élèves un peu plus âgés qui jusque là n’avaient jamais interagi avec elle vont lui révéler quelle personne était Cleo, et ce faisant vont nouer diverses relations avec elle, qui vont tout simplement révéler quelle personne est Zoe.

Tout le défi est évidemment pour Zoe d’accepter de faire ces nouvelles expériences, et ces rencontres, en déterminant ce qui appartient à l’univers de feue sa sœur, et ce qui peut lui convenir. Rien ne l’oblige à être uniquement la petite nerd de service avec un seul ami, après tout… mais dans ce cas, qui est-elle ?

J’ai bien conscience que je vais prononcer les mots magiques pour nombre d’entre vous, et croyez-moi je mesure l’ampleur de mes paroles : par de nombreux aspects, Zoe Valentine m’a rappelé My So-Called Life.

Angela Chase était dans une période de remise en question et de découverte d’elle-même. Pour Zoe Valentine, c’est le cas aussi, sauf qu’il y a en sus un catalyseur très spécifique à ces développements. Au fil des épisodes, je me suis souvent fait la réflexion que les points communs entre les séries, et entre leurs héroïnes, ne donnaient toutefois pas du tout un sentiment de redite. Que Zoe Valentine parle clairement de deuil, et pas juste d’adolescence, confère à toutes les intrigues de teen drama « classiques » un ton bien particulier, une émotion supplémentaire, une vraie valeur ajoutée. Zoe est dans une phase que, même sans le deuil, elle devrait sans doute affronter de toute façon ; mais qu’elle le fasse parce qu’elle doit se familiariser avec une situation aussi terrible que la mort d’une proche ajoute une dimension incroyable à chaque articulation de l’intrigue. D’autant que, et c’est vraiment tout à son honneur, la série ne traite vraiment pas ce deuil comme un prétexte ou un détail accessoire, et ne tente pas de protéger ses jeunes spectateurs de questions ou émotions douloureuses.

Il y a un autre axe, dont je n’ai pas encore parlé, qui me ramène à My So-Called Life : la place accordée au reste de la famille Valentine. Les épisodes incluent tous, à un moment ou à un autre, des scènes ou plans rappelant que les parents (un couple interracial, au passage) ou même le petit frère de Zoe doivent aussi essayer de traverser cette épreuve. Et qu’ils n’ont pas plus que leur fille une idée précise sur la façon de s’y prendre. Les tensions entre les parents sont palpables, notamment ; sans s’appesantir sur les détails (rappelons que Zoe Valentine est une websérie dont les 7 épisodes de la saison 1 ne durent que dix à quinze minutes chacun), la série évoque la crainte que leur couple et donc leur famille s’effondre, comme tant d’autres qui doivent affronter le décès d’un enfant. Ce n’est pas explicité, mais c’est une crainte de la jeune héroïne que la série n’écarte pas.
De façon plus large, Zoe Valentine rappelle, assez subtilement, ce qui se joue dans les difficultés de communication autour du deuil, alors que chacun gère comme il peut ses émotions dans son coin, sans nécessairement être capable de partager ce qui pourtant pourrait unir les membres de la même famille. Et après tout, c’est normal : les préoccupations des parents sont nécessairement différentes de celles de Zoe ; la série mentionne d’ailleurs rapidement la dimension financière de la chimiothérapie de Cleo avant son décès. Ces incompréhensions générationnelles (qui aggravent évidemment les conflits parents/adolescente préexistants) ajoutent des touches élégantes au tableau familial et personnel de l’héroïne.

C’est bien volontiers que j’admets être facilement au bord des larmes en ce moment, mais Zoe Valentine a vraiment du mérite, en particulier étant donné son format. La première saison se regarde avec émotion, sans même y penser. Je ne dis pas que je vais regarder la deuxième saison tout de suite (oui, en 2019 Zoe Valentine a proposé deux saisons à quelques mois d’écart), parce que euh, bon, c’est pas tout le temps la rigolade quand même. Mais j’étais partie pour uniquement jeter un œil distrait au premier épisode, entre deux réécritures d’une review de série russe, et au lieu de ça j’ai tout plaqué pour Zoe, sans le moindre regret. Tu parles d’un tour de passe-passe !


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

2 commentaires

  1. Scarlatiine dit :

    La référence à « My So-Called Life »… il n’en fallait pas plus, j’achète ! *file sur YouTube*

  2. Tiadeets dit :

    Oh je l’ajoute à la liste pour la regarder entre deux autres séries en faisant la cuisine. Ça fait plaisir de voir des séries jeunesse de qualité.

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