Succulent

26 décembre 2020 à 9:31

Ce n’est pas tous les ans qu’on peut fêter Noël avec une série sud-africaine. C’était même ma réaction de départ lorsque j’ai appris, en septembre dernier, que Netflix avait inclus une mini-série produite en Afrique dans sa programmation des fêtes.
En fait, à ma connaissance (certes imparfaite étant donné le nombre de pays concernés et la documentation parfois sporadique sur certains d’entre eux), c’est même une première : on ne produit pas vraiment de série pour des fêtes de fin d’année sur ce continent. Ce n’est pas une tradition, pas même dans les pays à majorité chrétienne, et les standards de production ne s’y prêtent pas franchement de toute façon. Des films, parfois. Des séries, jamais.

Pourtant la voilà, cette mini-série. Elle existe, indubitablement. Elle s’appelle How to Ruin Christmas: The Wedding ; je m’apprête à vous en faire une review de saison, pardon pour le jeu de mots. Et je me dois de vous dire d’entrée de jeu que je suis révoltée. Ulcérée. Prête à prendre les armes.
Au nom du ciel, qui n’a commandé que TROIS épisodes ?!


Pourtant les premières minutes de How to Ruin Christmas: The Wedding m’avaient fait une impression bien différente. L’épisode inaugural démarre avec une intrigue digne de n’importe quelle romcom (et je suis peu friande de romcoms).
Boitumelo Sello, dite « Tumi », revient dans sa famille à Johannesburg, à l’occasion du mariage de sa sœur Beauty à un homme du nom de Sibusiso (ou Sbu). L’évènement se tient dans le cadre prestigieux du Four Seasons de Joburg, pendant 3 jours pile au moment de Noël. Les circonstances sont exceptionnelles, et ce mariage est bien la seule raison pour laquelle Tumi, qui vit à Cape Town, a pu imaginer venir passer les fêtes en famille, tant elle est le mouton à cinq pattes du clan Sello (elle se voit plus comme une rebelle, voire un esprit libre et incompris). Seul son ami de toujours Khaya, qui vient la chercher à l’aéroport et qui est son +1 pour la cérémonie, semble la comprendre.
Toutefois, tandis que les préparatifs du mariage font rage, et que dans la dernière ligne droite les familles Sello et Twala commencent à se déchirer, Tumi est confrontée à la réalité : son passif avec Khaya ne rend pas leur amitié aussi platonique que la jeune femme aime à le penser.

L’introduction de l’intrigue comme des personnages semble au départ remplir le cahier des charges d’un film gentillet mais pas très complexe, dans lequel on imagine aisément qu’en environ une heure et demie, peut-être deux heures maximum, Tumi va se lancer dans une valse-hésitation avec Khaya, vouée à se conclure idylliquement une fois que les inévitables rebondissements autour du mariage seront réglés.
Mais How to Ruin Christmas: The Wedding n’est pas un film romcom. C’est une série en trois épisodes de 42 à 53 minutes qui, quand bien même elle a de la romance et de l’humour à proposer, garde dans sa manche quelques étonnantes surprises dramatiques. Son ton va progressivement basculer, et son intrigue prendre des chemins de traverse, rendant le résultat un peu plus inattendu que je ne le prévoyais. Cela ne veut pas dire que la série est totalement imprévisible (bien que je me garderai bien de vous confirmer en quoi elle a effectivement répondu à certaines de mes prédictions !). Limite au contraire, elle connaît ses classiques. Mais parce que cette courte saison a quand même un peu plus de temps qu’un long métrage, le temps « supplémentaire » est mis à contribution pour s’offrir des nuances intéressantes, s’attacher à ne pas se cantonner au superficiel, et délivrer, au bout du compte, des moments très douloureux. A tout prendre, quitte à dresser des comparaisons, How to Ruin Christmas: The Wedding s’avère flirter plutôt avec certains des thèmes de Zeit der Geheimnisse, figurez-vous !

Au lieu de parler simplement d’amour (celui de Beauty et Sbu ou celui, qu’on devine naissant mais laborieux, de Tumi et Khaya, par exemple), How to Ruin Christmas: The Wedding utilise son mariage de conte de fées pour parler de la façon dont l’amour peut blesser.
Ainsi, au lieu de se révéler accessoire, ou pire, sous la forme d’un prétexte, la relation entre Tumi et sa sœur Beauty devient un point majeur de l’intrigue, révélant des plaies jamais vraiment cicatrisées, et donnant lieu à quelques confrontations difficiles. Initialement prête à donner à Tumi le bénéfice du doute (elle en a fait sa demoiselle d’honneur, après tout, au détriment de sa véritable meilleure amie Thando), Beauty réalise progressivement qu’elle ne peut pas compter sur sa frangine ; pire, Tumi est totalement capable de détruire sa relation avec Sbu. En fait s’il y a bien quelque chose qui se dessine à mesure que progresse la saison, c’est que Tumi est experte en sabotage, y compris le sien, mais pas exclusivement. Ses airs anti-conformistes ne sont qu’une illusion, et elle détruit en réalité tout ce qu’elle touche, faute d’accepter de se remettre en question. Les retournements de situations comiques ou romanesques de l’intrigue passent alors au second plan, et How to Ruin Christmas: The Wedding prend son titre très au sérieux… posant la question de savoir si un happy ending est réellement envisageable au final. La relation entre Beauty et Sbu peut-elle être sauvée ? Et celle entre Beauty et Tumi, carrément ? A-t-on en fait atteint le point où au lieu d’une union, on va assister à des séparations entre tous les membres de ces deux familles ?

En plus de cet axe, que les trois épisodes détaillent avec parfois une honnêteté à la brutalité surprenante, How to Ruin Christmas: The Wedding s’attache à raconter d’autres histoires de relations en danger. L’amour est cruel, y compris quand il lie (ou est supposé lier) une mère et sa fille, un couple marié de longue date, un autre qui tente de faire un enfant, et ainsi de suite.
Les non-dits s’accumulent, et les personnages se sentent incapable d’éprouver pour leurs proches confiance, joie et amour. Tout devient conflit. Le ressentiment a construit une digue au fil du temps. Naturellement, après avoir établi cela, la série oblige tout ce petit monde à se parler, à se confronter et même à risquer de se perdre, avant d’envisager une éventuelle réconciliation. En tout cas, pendant ce mariage de trois jours, la série interdit à ses personnages de continuer de prétendre que tout va bien. Les événements (en grande partie par la faute de Tumi) déclenchent des réactions en chaîne qui poussent les protagonistes à se dire ce qui a longtemps été tu. Dans le monde de How to Ruin Christmas: The Wedding, on ne construit rien si on n’est pas prêt à tout se dire… aux autres mais aussi à soi-même.
Il ne s’agit pas de mécanismes foncièrement nouveaux, mais ils fonctionnent. Et dans le tourbillon de ce mariage glamour, on s’émeut sincèrement devant cette obligation à la franchise, parce qu’au-delà des retournements de situation, des quelques situations plutôt drôles, et de l’aspect romantique, on nous parle de remise en question et d’abandon tout à la fois.


Ce qui en revanche est unique, c’est la façon dont How to Ruin Christmas: The Wedding, la culture et la langue viennent apporter des dimensions supplémentaires à ces intrigues, et à leur signification.

Revenons au mariage lui-même. Il doit en effet unir d’une part Beauty Sello, une jeune femme d’extraction modeste, qui n’a pas connu son père, élevée par sa mère (et ses tantes et oncle) ; et d’autre part Sbu Twala, le fils d’un ministre du gouvernement et conseiller de la plus haute importance, issu d’une famille richissime et influente. Ce pourrait être le conte de fée parfait, mais personne parmi les Twala ne laisse les Sello oublier qui est supérieur à qui.
La mère de Sbu est par exemple une odieuse snob pour qui rien n’est trop beau (ni trop cher), et qui considère Beauty comme une croqueuse de diamants ne méritant pas son fils. Le ministre Twala se présente quant à lui au Four Seasons, où se déroulent les noces, avec pour préoccupation principale voire unique de laisser les cameras capturer l’importance sociale de cet événement mondain, symbole de sa réussite et nouvelle occasion de se mettre en avant. Le couple, qui ne s’adresse quasiment plus la parole, est dans une quête permanente de statut, dont ils ne manquent pourtant pas. Ils s’expriment en isiZulu et en anglais, et n’éprouvent que du mépris pour l’autre moitié de la famille présente pour le mariage. C’est que, les Sello ont leurs traditions, comme par exemple préparer un curry de mouton soi-même (oui, les femmes de la famille Sello vont bel et bien entreprendre de faire leur curry elles-mêmes dans les cuisines de l’hôtel de luxe, quand bien même il y a un traiteur hors de prix à la cérémonie !), leur origines humbles, et leur langue, le setswana. C’est une famille où les malentendus ne manquent pas (par exemple Tumi a été éduquée par feue sa grand’mère, ainsi que ses tantes dont elle est plus proche, mais pas par sa mère ; celle-ci n’a incarné son rôle maternel qu’à la naissance de Beauty) mais où le principal est le respect des traditions et des membres de la famille. Par quelque miracle, Beauty et Sbu ont réussi à tomber amoureux malgré ces énormes différences, mais elles apparaissent à présent et plus que jamais comme d’immenses obstacles à la tenue des noces, et donc symboliquement, au mariage tout entier de nos deux tourteraux.
Globalement, ce sont les Twala qui ont pris la main dans l’organisation de la cérémonie. Du choix de l’hôtel (…et le règlement de ses factures) aux différentes robes prévues pour Beauty aux étapes successives des festivités, le mariage largement occidentalisé. Il transparaît que pour eux, être riche et important, c’est se comporter comme un blanc. Les humbles Sello n’ont pas trop leur mot à dire sur tout cela, mais vu que la dot a déjà été réglée, c’est trop tard pour s’imposer… toutefois, quand on sait que les deux familles n’utilisent même pas le même mot pour qualifier cette dot (lobola pour les uns, mahadi pour les autres), on comprend que les différences ne vont pas se gommer si facilement.

Chaque fois que la série rappelle à ses protagonistes à plus de bon sens et d’authenticité, va s’opérer une transformation : les Twala et les Sello vont embrasser la diversité de leurs cultures, au lieu de les opposer, et mettre de côté les signes extérieurs de richesse occidentalisés pour privilégier un retour aux sources plus traditionnellement africain. Lorsque finit la série, il n’y a jamais eu autant d’habits, de chants, de langues africaines dans un même plan ; les familles se parlent chacune dans leur langue au lieu de se forcer à communiquer en anglais. Le melting pot sud-africain (pays qui compte 12 langues officielles, et de multiples autres plus ou moins courantes, après tout) a repris la main.
Symboliquement c’est magnifique de voir tout cela se manifester sans qu’à aucun moment, la série ne cherche à prêcher quoi que ce soit. C’est traité comme une conséquence naturelle de ce que ces personnages ont fait pendant trois épisodes, soit accepter qui ils sont, et accepter qui sont ceux qui les entourent, pour mieux s’aimer dans tous les sens du terme. Tout simplement glorieux.

Il n’est donc pas étonnant que j’aie complètement craqué : How to Ruin Christmas: The Wedding est ce qu’on fait de mieux en la matière. Sa façon de mélanger les codes de la romcom et de la fiction de Noël (même si très franchement, ça ne se sent vraiment que sur la fin que la série se déroule le 25 décembre) est délicieuse, et son attachement à dépeindre des relations réellement en danger de rupture, puis de forcer les personnages à se montrer authentiquement à leurs proches, est touchante. A cela encore faut-il ajouter les costumes (il y a des robes à se damner dans cette série), le décor idyllique (la série a été tournée en plein confinement intégral, pendant 3 semaines, dans un hôtel de luxe), la réalisation ou encore les dialogues. Tout est excellent dans cette production dont les standards ont visiblement été très élevés. Je suis, en outre, totalement tombée amoureuse de Busi Lurayi, qui brille dans tous les registres avec son incarnation de Tumi.
Ce n’est pas très étonnant quand on sait qui est derrière la série, pourtant. Les co-créateurs Katleho et Rethabile Ramaphakela sont un frère et une sœur qui ont démarré comme interprètes et sont désormais auteurs et producteurs de fictions sud-africaines plébiscitées par le public. Un troisième adelphe, Tshepo Ramaphakela, est en outre producteur exécutif de How to Ruin Christmas: The Wedding. (ils n’en sont pas à leur coup d’essai : tous les trois sont à la tête de Burnt Onion Productions, et leur première série My Perfect Family date déjà de 2015). Cela explique sûrement la façon dont les rapports de fratrie sont si bien étoffés au fil des trois épisodes !
J’en veux néanmoins beaucoup aux Ramaphakela parce que, eh bien justement, leur série ne compte que trois épisodes. Plus le temps passait plus je me disais que je ne voulais pas me séparer de ces personnages que je n’avais aucun mal à adorer, et que j’ai eu tant plaisir à voir s’étoffer. Fort heureusement, les Ramaphakela ont tout prévu : How to Ruin Christmas: The Wedding s’achève sur un cliffhanger qui devrait inciter Netflix à renouveler la série. C’est tout le mal que je nous souhaite collectivement ; franchement, après l’année qu’on vient de passer, on mérite d’en conserver l’une des rares choses positives.


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

1 commentaire

  1. Tiadeets dit :

    Oh, il va falloir que j’aille mettre la série dans ma liste à voir sur Netflix !

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