Lose it all

23 janvier 2021 à 22:20

C’est fascinant cette façon qu’a Leabed et Alice (Losing Alice de son titre international) de tout tourner comme un thriller alors que l’intrigue de son premier épisode est celle d’une série dramatique sur la crise de la quarantaine. A plusieurs reprises, l’introduction de cette série israélienne (diffusée par HOT3 l’an dernier, acquise par AppleTV+ qui s’est dépêchée en ce début d’année de la qualifier d’original) tente de nous faire pressentir le pire, et pourtant il n’y a pas vraiment de twist glaçant à l’horizon. Ce qui ne l’empêche absolument pas de nous dresser à rester sur nos gardes, chose qui pourra toujours lui être utile plus tard.

Alice Ginor mène pourtant une existence des plus calmes : cette réalisatrice jadis encensée par la critique pour ses films ambitieux et osés s’est désormais tournée vers des jobs plus commerciaux qui lui permettent de consacrer du temps aux trois filles qu’elle a eu avec son mari, David, un acteur populaire.
Le problème tient justement dans le calme de cette existence : elle n’a plus rien d’excitant, et cela ouvre la porte à toutes les insécurités. A mesure que se déroule cet épisode inaugural, nous découvrons qu’Alice est terrifiée par la possibilité de n’être plus que l’ombre d’elle-même, aussi bien artistiquement, relationnellement que physiquement. Elle a tant, mais cela veut surtout dire qu’elle a beaucoup à perdre. En fait, elle a tout ! Alice est la personnification de la promesse qui a si souvent été faite aux femmes d’obtenir tout ce qu’elles souhaitent. Toutefois au lieu d’apprécier ce qu’elle a, Alice est terrifiée par l’idée de le perdre. Cette pensée, nous le découvrons rapidement, devient une obsession. Le moindre signe qu’elle n’est plus le centre des attentions d’autrui est interprété par elle comme le  signal qu’elle est sur la pente descendante.

Il est évidemment très net que la vie d’Alice est la vie d’une femme de quarante ans. Une vie qui n’est plus aussi excitante (en témoigne l’aperçu que nous avons de sa vie sexuelle), plus aussi fascinante (sa rapide interview, vers la fin de l’épisode, où personne ne s’intéresse à ses projets mais uniquement ceux de David, l’indique clairement), plus aussi impressionnante (eh oui, aujourd’hui Alice tourne des pubs pour du yaourt et plus des thrillers sensuels). Mais ce n’est pas une mauvaise vie, loin de là. Après tout on ne peut pas être jeune éternellement. Cela ne veut pas dire que prendre de l’âge soit une mauvaise chose ! Forcément, cette perspective échappe à Alice.
Toujours est-il que cette paranoia ne fait que s’accentuer lorsque, dans le train, par hasard, elle rencontre Sofi, une jeune femme qui lui confesse s’être passionnée pour le cinéma grâce aux premières oeuvres d’Alice. Progressivement, Sofi explique avoir écrit son propre film, et l’avoir déjà proposé à David, qui s’est montré enthousiaste. Il n’en faut pas plus à Alice pour qu’elle se sente menacée, pour qu’elle se comporte comme si le bonheur était une denrée finie, et que tout succès acquis par Sofi lui était forcément retiré, à elle. Au stade de ce premier épisode en tout cas, je n’en suis pas si convaincue.

Qu’en est-il vraiment ? L’atmosphère de Leabed et Alice voudrait nous faire croire qu’il y a un danger. Ou en tout cas, si ce n’est de Sofi… peut-être que le problème vient d’Alice elle-même. Quelle est la part de subjectivité dans ce qui nous est présenté ? Sa perspective est-elle fiable ? La conclusion de la scène du train pourrait laisser penser qu’il y a une part d’illusion (a-t-elle imaginé Sofi ?), par exemple, mais il nous est ensuite révélé par David que ce script existe bien. D’ailleurs d’autres personnages interagissent avec Sofi plus tard dans l’épisode. Et finalement le danger n’est pas d’avoir inventé Sofi, mais qu’elle soit bien réelle…
Lors de plusieurs détours de son introduction, Leabed et Alice nous place dans des situations similaires, nous poussant à craindre que ce qui est n’est pas, ou au moins que les apparences sont trompeuses. Quelque chose se cache derrière les intentions de Sofi, elle ne peut pas être une simple scénariste montante. L’épluchage de son compte Instagram nous indique qu’il y a un secret, quelque part, une menace que seule une attention soutenue peut démasquer, pas les éléments du réel ayant inspiré la jeune femme pour son premier film. Tout est à l’avenant. Qui a tort ? Qui a raison ?

Et d’ailleurs si l’on tend bien l’oreille, on peut à plusieurs reprises entendre Alice, Sofi ou David s’interroger à voix haute sur la limite entre le réel et le fantasmé dans l’écriture de la fiction. Comme si, après tout ce temps passé sur leur propre art, il leur restait quand même encore un doute. Leabed et Alice entend bien jouer de cette ambiguïté (il suffit de voir la première et la dernière scène de cet épisode introductif) pour jouer avec nos nerfs.
Parce que, dans les faits, personne ne présente de réel danger pour le moment, et il n’y a rien d’autre à craindre que le temps qui passe.


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

1 commentaire

  1. Tiadeets dit :

    Ah les narrateurs qu’on ne sait pas si l’on doit croire ou non.
    Ca me rappelle une réflexion que je me suis faite en regardant le très, très (très, très, très, très) bon drama thaïlandais « I Told Sunset About You » quant à la relation entre Teh et sa mère ou son frère où on a toujours peur de leur réaction et en grande partie, c’est sa peur de leurs réactions qui nous est transmise à nous téléspectateurs. Quand cela est bien fait, ce genre de choses ajoute vraiment au récit, encore faut-il que ce soit bien fait.

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