Party of four

21 mai 2021 à 15:28

Lancée à la mi-février dernier, la série indienne Crashh raconte l’histoire de quatre frères et sœurs, qui se sont perdues de vue pendant 20 ans.

Trigger warning : tentative de suicide.

A l’époque elles formaient une grande famille, mais un terrible accident de la route a changé la donné. Après la mort de leurs parents, les adelphes se sont retrouvées à l’orphelinat, avant d’être adoptées chacune par une famille différente. Certaines, qui étaient encore très jeunes, n’ont probablement pas de souvenir de leur famille biologique.

Il y a dans Crashh quelque chose qui joue éminemment contre elle : elle essaie désespérément d’adapter à un nouveau médium (ALTBalaji est une plateforme essentiellement consommée sur des portables, tablettes et ordinateurs souvent portables) des recettes qui ont réussi sur d’autres. Sa créatrice de la série n’est autre qu’Ekta Kapoor, la productrice la plus influente à la télévision indienne ces 30 dernières années ; des soaps, elle en a créé ou co-créé plus d’une centaine (et même si généralement ce n’est pas elle qui les écrit, c’est elle qui les produit), alors autant dire qu’elle en maîtrise les codes. Cette série aurait dû s’appeler Krashh, d’ailleurs, puisque ça a longtemps été le gimmick de Kapoor de donner un titre en K à ses séries.
Le problème c’est que, comme j’ai eu l’occasion de vous le dire par le passé, l’arrivée des séries hebdomadaires, des webséries et des plateformes de streaming a considérablement changé la donne en Inde. Désormais, le soapie de maman n’est plus la seule option ; pour le public, en particulier s’il est jeune, il y a aujourd’hui des options en matière de fiction qui n’existaient pas il y a 10 ans à peine. Ce qu’on s’autorise à dire et à montrer a largement changé, et les exigences en matière de fiction sont différentes : on veut plus de choix, d’audace, d’inédit. Pas question de refaire la même soupe dans les mêmes marmites, donc.

Crashh semble consciente de cela, au moins à un certain degré. On y montre la mort brutale des parents des protagonistes, dans un funeste accident de voiture s’étant déroulé le soir du 14 février 2001 (…vous comprenez mieux pourquoi la série a été mise en ligne à la mi-février). On y montre des personnages qui fument, qui boivent. Il y a une tentative de suicide dans le premier épisode, amplement discutée ensuite. Dans Crashh, on sait ce qu’il est attendu d’une série moderne de plateforme.
Est-ce à dire que ça suffit ? Pas vraiment : le ton, lui, reste celui d’un soapie indien classique.

Concédons à Crashh qu’elle a essayé d’éviter certains écueils. Par exemple, rares sont les soaps à inclure une voix-off, et le premier épisode de Crashh nous en offre QUATRE, à mesure que nous allons rencontrer les différentes adelphes de la famille. Mais les tentatives pour offrir une intériorité à ses personnages échouent, faute d’être capable de leur faire prononcer autre chose qu’une exposition interminable, souvent redondante avec l’action se déroulant sous nos yeux, et une litanie de clichés débités, sans grand talent. Une scène se distingue légèrement du lot, mettant face à face deux dialogues intérieurs qui se répondent sans le savoir, et je veux croire qu’elle est porteuse d’un potentiel pour les épisodes à venir, mais je vais être honnête : je n’aurai sans doute pas la patience de tenter les épisodes suivant.
En-dehors de cela, Crashh donne dans le business as usual, avec des virages émotionnels toutes les 7,12 secondes (et changement d’ambiance musicale à l’avenant), des personnages qui parlent pour meubler les scènes, et des choses que l’on sait déjà qui nous sont répétées plusieurs fois, au cas où. L’épisode introductif s’achève sans avoir posé d’autre enjeu que celui qu’on connaissait déjà dans la première scène, c’est-à-dire que l’aîné des 4 enfants (aujourd’hui devenu flic) s’évertue à trouver sa famille, et que chacune mène aujourd’hui une vie résolument différente des autres. Voilà, je vous ai épargné 22 minutes.

Ce n’est pas que je sois fâchée envers Crashh. Pas vraiment.
C’est sûr que je m’attendais à quelque chose d’autre, et il y a des séries d’ALTBalaji, comme Code M par exemple, qui ont su innover dans une certaine mesure. En outre la série est co-produite avec la plateforme Zee5, qui elle-même est l’héritière d’une longue tradition de chaînes indiennes traditionnelles, mais qui a su proposer des séries originales et même fines (The Final Call étant sans conteste ma favorite). Au passage soyons honnêtes : beaucoup des séries issues de la fiction hebdomadaire, des webséries et de la SVOD indiennes sont beaucoup plus adaptés aux goûts occidentaux, aussi.
Mais je suis déçue parce que j’espérais, à défaut d’autre chose, un tear jerker, et même ça je ne l’ai pas eu. Les soaps ne sont pas conçus pour donner des émotions fortes, en tout cas ce n’est pas leur but principal ; cet héritage devient, pour le sujet choisi, un fardeau. En un sens Crashh est trop high concept pour un soapie traditionnel, mais elle est aussi trop pantouflarde pour être une série de SVOD réussie.
Entre les deux, il reste quoi ? Hélas pas assez.


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

1 commentaire

  1. Tiadeets dit :

    Dommage ! Ne reste plus qu’à espérer que les mélanges arrivent à prendre plus dans le futur.

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