Why have you never cared ?

5 juin 2021 à 18:22

Dimanche dernier, j’ai décidé sur un coup de tête de regarder à nouveau le premier épisode de Gilmore Girls. A ce moment-là, il était quelque chose comme 3h du matin, je n’avais même pas encore réalisé que c’était la fête des mères ! C’était juste l’effet de plusieurs semaines de lobbying pur et simple par mes suggestions Youtube (auxquelles j’obtempère systématiquement lorsqu’il s’agit de séries, comme vous le savez), cumulé à une envie de regarder quelque chose qui ne ferait pas l’objet d’une review, parce que parfois, je veux juste m’assurer que je vais regarder quelque chose pour moi plutôt que pour vous. Et aussi, c’était l’anniversaire de ma tentative de suicide, et je croyais regarder quelque chose de réconfortant…

Trigger warning : violence psychologique.

D’ailleurs, le présent texte ne sera pas une review. C’est mon ressenti conflictuel face à Gilmore Girls qui m’a interrogée.
Et ce qu’il traduit.

J’ai déjà à plusieurs reprises écrit sur (ou fait allusion à) Gilmore Girls, en particulier une review globale de la série lorsque j’ai procédé à mon premier marathon intégral, en 2012. Il y a presque 10 ans, donc, pour une série que pourtant j’avais découverte sur France2 au début des années 2000. Ce sont donc quasiment deux décennies d’histoire que j’ai avec cette série, comme toute téléphage est vouée à entretenir avec toutes sortes de fictions lorsqu’elle atteint l’âge canonique de 40 ans. Au fil des années se construisent des impressions, des sentiments, des réflexions, mais aussi des rendez-vous ratés, des visionnages gloutons, des visites ultérieures plus ou moins fréquentes, et, à l’occasion, une scène et/ou une réplique qui revient à l’esprit, comme au milieu de nulle part, parce que la série fait inconsciemment partie de nous au bout du compte, comme tout art que nous avons consommé au fil des années.

Quand je regarde le premier épisode de Gilmore Girls (et ce n’était pas le premier revisionnage), j’arrive presque à me rappeler de la première fois où je l’ai vu, et à partir de là, les vannes sont ouvertes. Toutes sortes de souvenirs reviennent à la surface. Au début des années 2000, j’entrais à peine dans l’âge adulte. Je commençais aussi à prendre douloureusement conscience de choses sur mon milieu familial, et si je n’en étais alors, mais alors pas du tout, au point de parler de maltraitance, de violences intrafamiliales, ou même de violence tout court, en tout cas l’euphémisme de « famille dysfonctionnelle » commençait à émerger dans ma façon de voir les choses. C’était nouveau et les contours étaient encore flous, parce que c’était effrayant. Je passais encore beaucoup de temps à essayer de diminuer l’impact qu’avaient eu, au fil des ans, beaucoup de mes expériences avec mes parents.
Ce n’était pas la première fois, mais ce n’était sûrement pas la dernière, que la télévision allait me servir à élargir mes horizons et essayer d’adopter des points de vue variés sur mes questionnements personnels. Certaines des séries que je consommais à l’époque, parfois depuis quelques années, servaient (bien qu’involontairement) à me représenter ce que ma famille n’était pas mais aurait pu être. C’était la raison pour laquelle j’étais autant captivée par 7th Heaven, le Dieu de la Téléphagie me pardonne. Pour moi, cette famille large mais surtout joviale, où dans chaque épisode les parents s’interrogeaient sans fin sur la meilleure façon de parler à leurs enfants pour leur donner la bonne éducation, c’était de la science-fiction. Ces parents-là n’élevaient pas la voix, ou si rarement ; mais ils étaient conservateurs, comme mes parents, et du coup ça ouvrait plein de possibilités. Ainsi ce n’étaient pas les « valeurs » de mes parents que 7th Heaven m’aidait à remettre en cause, mais juste leurs pratiques. Pour moi, 7th Heaven c’était la série qui me disait que les choses pouvaient se passer bien, sur tous les plans y compris familial, et c’était révolutionnaire ! Lorsqu’avec les saisons, le Révérend Camden a commencé à se montrer sous un jour moins positif (ha ! little did I know…), j’ai d’ailleurs été désarçonnée.

On pourrait penser que dans ce contexte, Gilmore Girls et son approche plutôt conservatrice (elle était, après tout, financée par une organisation de financement de programmes family-friendly, ce qui est une paraphrase pour du contenu regardable par toutes tranches d’âges, certes, mais aussi conservateur ; j’ai aussi évoqué dans ma review son rapport réticent au progrès et à la modernité) allaient servir la même fonction, mais pas du tout. Instinctivement, à l’époque, mon regard s’est porté non pas sur la relation entre Lorelai et Rory, qui était attendrissante mais n’avait jamais trouvé résonnance chez moi, mais plutôt sur celle qui concernait Lorelai et Emily (celle de Lane et Madame Kim était également importante à mes yeux, et suivie avec attention). Je n’étais pas capable de le formuler à l’époque, mais c’était un soulagement que de voir les différents accrochages entre les deux femmes, à une époque où moi-même je commençais à avoir des conversations déplaisantes avec mes propres parents sur notre relation. Mes premiers questionnements à voix haute étaient mal reçus, en particulier par ma mère qui (je commençais à peine à m’en rendre compte) avait passé les années précédentes à m’empêcher de poser trop de questions ; ils étaient étouffés avec une violence verbale non-contenue, dans ce style de dispute typique des parents toxiques qui en fait consiste à balancer autant d’horreurs que possible à leur fille jusqu’à ce qu’un commentaire réussisse à la faire vaciller et douter d’elle-même au lieu des parents. Bref, de la violence psychologique. Les attaques personnelles finissaient par fuser de toute part, manifestation d’un ressentiment mutuel, parce que je commençais à être capable d’encaisser les horreurs juste un peu plus longtemps qu’avant avant de m’effondrer. Le résultat, c’est que ce qui était auparavant des monologues violents devenait des « conversations » violentes, qui pouvaient ressembler un peu plus à un script d’une scène similaire ; genre certaines de celles-ci.
Avec une nuance essentielle : quand ces dialogues sont écrits par des scénaristes, ils incluent des aveux qui me manquaient cruellement. Qui est-ce que j’essaie de berner ? Ils me manquent toujours. La stratégie de mes parents et en particulier de ma mère, c’était de ne surtout pas avouer que les choses pouvaient être dysfonctionnelles ; que mes émotions étaient injustifiées, et donc irrationnelles ; et que personne n’avait donc rien à se reprocher, à part moi. Dans Gilmore Girls, pour des raisons propres à la narration, on disait à voix haute (quand bien même tous les personnages n’étaient pas forcément d’accord avec cette possibilité) qu’Emily avait foiré quelque chose dans sa relation à Lorelai, quand bien même cela ne faisait pas d’elle un monstre (et Gilmore Girls a persisté, d’ailleurs, dans son humanisation d’Emily, qui encore une fois rendait la série regardable par moi au stade où j’en étais de mes réflexions).

Au fil des visionnages, pourtant, ce rapport à Gilmore Girls a fluctué. Parce que mon rapport à mes propres parents a fluctué, j’imagine.

Au moment de mon marathon en 2012, j’avais coupé les ponts avec mes parents, et ces choses étaient moins douloureuses. Ma review fait d’ailleurs un commentaire très différent de la relation entre Lorelai et Emily, et en la relisant aujourd’hui, surtout après mon revisionnage frais du pilote… je m’aperçois que je ne ressens plus les choses de la même façon. Et qu’à nouveau, je ressens les affrontements entre la mère et la fille comme une plaie mal cicatrisée (ou rouverte, aux choix). Dimanche dernier, j’ai regardé Emily manipuler Lorelai pour obtenir les fameux dîners du vendredi soir, puis lui rappeler « you have your precious pride, I have my weekly dinners » avec un ton qu’on ne peut qualifier autrement que méchant. Et qui justifie (quoi que les épisodes ultérieurs tentent d’en dire) tout ce que Lorelai ressent de négatif envers sa mère.

J’ai cru que j’avais fait la paix avec Gilmore Girls, et que les émotions suscitées par elle étaient désormais atténuées. J’ai cru que j’avais fait la paix avec Emily Gilmore. J’ai cru que j’avais fait la paix avec ma mère. Je m’étais trompée.
Clairement ce n’est pas le cas (clairement !). Sans quoi les choses ne seraient pas aussi douloureuses. Sans quoi un simple revisionnage ne serait pas aussi douloureux. Sans quoi je ne découvrirais pas, à l’occasion d’un fondu au noir, que mon reflet sur l’écran affiche un rictus de dégoût. Je connais cette Emily, j’ai grandi avec elle (une version moins riche et élégante d’elle, mais elle quand même), et je méprise tout ce qu’elle représente. Même 20 ans plus tard.

On voudrait pouvoir dire, ne serait-ce qu’à celles qui sont aujourd’hui en train de se débattre avec ce qu’on traversait il y a 20 ans, qu’à un moment ces blessures cicatrisent, comme si c’était voué à se produire. Mais la fiction comme ici Gilmore Girls aide à révéler que non, qu’on passe par toutes sortes de phases, plutôt des oscillations, au fil des années. Avec un peu de chance, dans 10 ans je ressentirai encore quelque chose de différent devant le premier épisode de Gilmore Girls ; ou peut-être que je ne le regarderai plus jamais parce qu’à un moment j’aurai cessé ma relation avec cette série. C’est difficile à prédire.
Peut-être qu’aujourd’hui je ressens un peu moins de flou, ou moins de colère, devant les mêmes scènes ; ou peut-être que ces sentiments s’expriment juste différemment parce que je n’ai plus l’expérience du contact prolongé. Je reconnais en Emily Gilmore des choses que je ne peux pas pardonner, toujours pas après tout ce temps, peut-être jamais. La bonne nouvelle c’est que je n’y suis pas obligée. Et l’encore meilleure nouvelle c’est que je n’ai plus à dîner toutes les semaines avec elle.

Bonne fête des mères avec du retard, Emily. J’espère que de temps en temps tu as mal aussi.


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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